la mi-temps à la piscine (avec nuage de chardon) - end

J'aime bien l'eau mais pas pour m'y baigner. Je suis un chat hein faut quand même pas exagérer, me mouiller je préfère éviter. Par contre j'aime bien regarder l'eau. Parce que même si ça a l'air de rien comme ça, c'est super intéressant l'eau. Surtout la grande grande eau qui est un peu plus loin que la forêt. Celle là, c'est la plus grande eau que j'ai jamais vu. Encore plus grande que la maxi flaque que mon équipe avait fait dans le jardin une fois parce que mon coéquipier avait oublié de fermer le robinet à eau avec le gros tuyau. Ça en avait mis partout, ça avait tué toutes les fleurs, mais c'était quand même RIEN comparé à la grande grande eau.

En fait aujourd'hui, j'essaye de voir jusqu'où ça va. Je suit l'eau, sur la berge, et des fois je m’arrête pour la regarder. Ou pour me regarder, parce que je me vois dans l'eau. Un Babe un peu flou et remué par le courant, mais un Babe quand même. Ça aussi c'est marrant. En fait au bout d'un moment, je fais carrément une pause, je m'assois sur mes fesses et je regarde mon reflet. Je lui raconte des trucs, pas vraiment une histoire, plus un test pour voir à quoi je ressemble quand je fais mon show. C'est pas super concluant, je trouve que j'ai le regard fuyant des fois, je ressemble vraiment à ça??

"Salut beau gosse, t'habites chez tes parents??"

Ah, au moins les phrases de ce genre, je les dit avec un beau sourire, ça le fait. J'en lâche pleins d'autres, parce que c'est marrant, et puis je suis peut-être le seul chat au monde à essayer de draguer son reflet c'est quand même une idée incroyable. Bon au bout d'un moment je m'imagine plutôt d'être en train de parler à une jolie demoiselle parce que c'est plus motivant mais l'idée reste la même.

"Toi, je te donne le code de ma chatière quand tu veux Princesse."

Ça fait longtemps que j'ai pas croisé de jolie fille d'ailleurs ça commence à me manquer.

"Ce soir, toi, moi, la clôture du vieux Dushnock, on miaule dessus jusqu'à pas d'heures?"

A un moment ça arrête d'être drôle, je me dis qu'un chat tout seul qui se parle tout seul et qui s'imagine qu'il est pas tout seul c'est pas si marrant que ça en fait, et je regarde mon reflet comme si c'était pas moi, comme si c'était un gars triste qui aurait besoin qu'on lui dise un truc.

"T'en fais pas ils finiront bien par revenir."

L'eau c'est rigolo mais des fois non.

Nuage de Chardon préférait la pêche à la patrouille. Dans toutes les corvées d'apprentis, de devoir coller le train à un ou deux guerriers pendant qu'ils arpentaient le territoire, c'était l'une des pires. Il n'aimait pas ça, il avait constamment l'impression de gêner plus qu'autre chose, et les guerriers avaient la facheuse tendance à un peu trop fanfaronner quand ils menaient la patrouille à son goût. Comme si il fallait être un caïd, pour pisser sur une frontière...

Pourtant, alors qu'il était censé pêcher dans son coin, en amont de la Rivière, Nuage de Chardon se retrouva plus ou moins à patrouiller. Tout seul. Parce qu'il avait senti... Quelque chose.

Une odeur de chat, sans l'ombre d'un doute, mais tellement étrange qu'elle avait tout de suite piquée son intérêt. Un vagabond, sur leurs terres? Pas question de laisser passer ça. Il s'approcha à pas feutré, longeant la Rivière car elle semblait porter l'odeur, doucement-

Salut beau gosse, t'habites chez tes parents??

Chardon pila net, manquant de marcher sur sa queue au passage. Qu'est-ce que c'était que ça...?

D'autres phrases tout aussi énigmatiques furent portées par l'eau, et quand l'apprenti recommença à bouger, il réalisa qu'elles venaient d'un gros chat noir aux poils en bataille, assis de l'autre côté de l'eau. Chardon plissa les yeux. Un chat domestique, avec un vieux collier pourri autour du cou. Un chat domestique à deux pas de la frontière, près de leur rivière.

Le jeune chat fit quelques pas furibonds vers l’intrus, restant tout de même de son côté de la Rivière. Parce que son petit accrochage avec Nuage de Souris le lui avait appris - tant qu'il n'y a pas intrusion, on reste où on est. Pas question de se ridiculiser encore une fois...

"Qu'est-ce que tu fais là?"

Téma la taille du chat!!

Le gars qui vient m'interrompre c'est un sacré morçeau, un malabar noir et blanc avec une vieille sale tête. Je crois qu'il doit pas être trop vieux, quelque chose comme moi à peu près, et il est pas non plus tellement plus grand que moi qui suit aussi un gros grand chat mais ohalala, ça sent les ennuis cette histoire.

Heureusement, moi, les ennuis, je les évite avec grâce.

"Mais quel toupet, premièrement, on se présente avant d'interpeller les gens. Deuxièmement comment ça, tu sais pas qui je suis? Jsuis une star d'où je viens moi! La renommée internationale!"

La tchatche ça marche trop bien avec les gars de la campagne. Et lui avec sa tête de sac à puces et son poil en bataille, je crois pas que c'est un citadin. C'est sûr qu'il va me laisser tranquille, si je me la raconte assez.

"Tu te rends pas compte à quel point tu devrais me remercier de t'avoir croisé. Ça va faire du barouf dans ton bled quand tu vas dire que t'as croisé LE chat qui a côtoyé les plus grandes légendes et qui est devenu l'une d'entre elles"

Moi, en faire trop? Soyez pas jaloux hein. Je sais ce que je fais c'est tout. L'autre va prendre ses pattes à son cou, c'est sûr, et je serais libre de continuer à regarder ma flaque.

Mais...

Hein??

Nuage de Chardon écarquilla les yeux devant l'étrange spectacle dont il était accidentellement devenu le témoin. Qu'est-ce que c'était que ce chat, encore? Il ne put s'empêcher de penser à Nuage de Crocs, à leur première rencontre. Là aussi, ça avait été un chat noir au poil en broussaille qui était venu lui casser les pattes en racontant n'importe quoi, mais...

C'était un chaton, à l'époque, lui. Ce chat là était adulte. Jeune, sans doute, comme Chardon sûrement, mais un chat bien trop vieux pour se laisser partir dans des délires... Complétement sans queue ni tête?

"Une... Star?" il répéta bêtement sans que le mot n'ai de réel sens à ses yeux.

L'autre chat ne prit pas la peine de s'arrêter pour lui expliquer, repartant de plus belle sur une tangente que Nuage de Chardon avait du mal à suivre. Non, Nuage de Crocs était définitivement battu, ce chat là battait tout les records.

Qu'est-ce qu'ils pouvaient bien leur donner, les bipèdes, à leurs chats domestiques, pour les rendre aussi étranges? Ça ne pouvait pas être qu'une histoire de croquettes pas fraiche. Il ne comprenait pas un mot sur deux de cet énergumène, c'était bien qu'il devait y avoir quelque chose qui clochait sérieusement chez lui.

Le curieux matou finit par faire une pause, sans doute pour reprendre sa respiration après cette tirade incompréhensible, et Chardon en profita pour demander, incrédule:

"Mais de quoi tu parles?"

Il se sentait bête de poser la question - de toute évidence, l'autre hurluberlu n'avait pas l'intention de s'expliquer plus que ça. Et normalement, quand un fauteur de trouble fait du raffut trop près de la frontière, on le chasse, point barre.

Mais bon...

Quand les gens commencent à dire "Hein quoi de quoi tu parles?" ça peut vouloir dire deux choses: soit ils en ont marre et l'histoire prend pas avec eux et il faut se mettre à courir (là c'est pas bon) soit ils sont trop déboussolés et on peut continuer (et là c'est bon). Comme je suis un garçon-chat optimiste, je choisit de croire que c'est le deuxième cas de figure donc quand le malabar en face de moi me dévisage en me demandant ce que je raconte, je surenchéris direct!

"De quoi je parle? De quoi je parle? De quoi je parle pas! Mes pattes ont foulés tout les terrains du coin, j'ai laissé mon empreinte dans l'histoire du sport de cette nation."

J'aime bien dire ça parce que finalement c'est peut-être vrai! Vous en connaissez beaucoup vous des chats qui s'intéresse autant au jeu que moi? A part Air Bud qui est même pas un chat mais un chien, je vois pas. D'ailleurs, je précise au cas ou l'autre ferait une réclamation à ce sujet.

"Comme Airbud, tsais?"

Faut rendre à César ce qui est à Airbud. Quelque chose comme ça.

"Je-"

Que répondre d'autre à ce ramassis d’inepties? Nuage de Chardon faisait de son mieux pour suivre, ou du moins pour comprendre là où ça bloquait, mais... Rien de ce que ce chat disait n'avait aucun sens? Et c'était quoi un Airbud??

Passons à autre chose, se dit le matou. C'était encore ce qu'il y avait de plus simple, quand on ne bitait rien et qu'on avait un gugusse sur les bras. Parce qu'il y avait (presque) eu infraction, quand même. Et qu'un apprenti du clan de la Rivière ne pouvait pas laisser un intrus, aussi inoffensif et confus soit-il, se balader librement aussi près de sa frontière.

"Cette rivière appartient au Clan de la Rivière. Si tu traverses, tu seras un intrus."


Deux 'Rivière' dans la même phrase, mais Chardon se dit qu'il n'était plus à ça près. Le message devrait passer, comme ça. Chat domestique ou pas, ce matou là devait bien savoir ce que ça signifiait, entrer par effraction sur le territoire d'un groupe de chats.

C'était sûrement une bonne chose qu'il lui soit tombé dessus le premier, en fait. Chardon avait beau ne pas être patient et sentir venir le début d'un bon mal de tête, il se sentait plus ou moins magnanime. Assez pour ne pas se montrer trop virulent pour chasser cet énergumène. Un autre apprenti, ou pire, un guerrier tout ce qu'il y a de plus officiel, n'aurait peut-être pas été aussi... Gentil.

Ce qui est domage, quand je fais mon numéro, c'est que des fois j'oublie d'écouter. C'est trop bête ça mais j'y peux rien, je me prend trop au jeu et il faut que j'en fasse trop.

Par exemple, là, ça aurait été un super bon moment pour filer. Malabar en face me parle de frontière ou je sais pas quoi, et ça c'est du code pour "dégage de chez moi trou de balle" ou je m'y connais pas. Mais je suis dans le rôle voilà donc ça dérape juste un poil, et je prend mon air le plus désolé du monde:

"Ah mince pardon, je savais pas!"

Je m'arrête pas là, parce que je vous le dit, je sais pas quand il faut s'arrêter, et je fais le scandalisé:

"Faudrait aussi prévenir le clan de l'herbe que j'ai marché sur leur noble gazon et abimé les fleufleurs aussi."

Je sais c'est pas méga drôle mais l'autre aussi avec son Clan de la Rivière à qui appartient la Rivière ou je sais pas quoi... Non mais c'est fou de dire des trucs pareil! Si les flaques appartenaient aux chats, le monde serait quand même bien triste. Vous imaginez le soucis quand vous voulez pisser dedans? L'incident diplomatique de folie!

Nuage de Chardon était en train de se dire qu'il était en train de se montrer un peu trop indulgent quand l'autre chat se mit littéralement à se foutre de sa gueule.

La dernière fois qu'il s'était pris le bec avec quelqu'un à la frontière, c'était avec Nuage de Souris. Il avait finit à la flotte, pour faire le caïd, et avait été franchement ridicule. Retenter l'expérience, très peu pour lui.

Mais...

Il n'allait quand même pas laisser un bête chat domestique se moquer de son clan comme ça. Pas quand Étoile Déchirée ou n'importe quel autre guerrier l'aurait déjà fait courir depuis longtemps.

Alors il plongea, traversant la rivière sans efforts. C'était peu profond, ici, mais quand même, il dût nager au moins sur un battement de cœur. C'était peut-être assez pour impressionner l'autre assez pour qu'il batte en retraite...

Quand il arriva sur l'autre rive, émergea avec un peu de difficulté car son poil épais était lourd comme pas possible avec toute cette eau, il se contenta de toiser le matou.

Et maintenant...?

"Oh!Oh!Oh!!"

C'est HORRIB, il a traversé la rivière!! Je sais même pas comment, j'ai à peine cligné de l'oeil que le voilà de mon côté. Ca nage, un chat? CA NAGE?? Première nouvelle!! Je croyais que c'était moi qui racontais les conneries, d'habitude, mais non, voilà que le plus gros retournement il vient même pas de ma bouche à moi. Je comprends plus rien. Je me retrouve avec ce gros morceau de chat mouillé devant moi, et il décroche pas un sourire depuis toute à l'heure je crois que je commence à lui taper sur le système. Et ça encore je pourrais vivre avec mais je veux pas qu'il tape sur mon système à moi vous voyez?

Je recule direct par petits bonds gracieux mais pas tant que ça, en continuant à faire des "Oh!" pour montrer que je suis chaud, même si c'est pas vrai.

"Tu fais quoi là?Fais gaffe hein moi jsuis un malade, je vais faire descendre mon équipe ici tu feras moins le mariolle, y zont des bates et tout!!"

Et oui pendant que je dis ces très crédibles menaces je recule, je recule même à fond, un peu plus à chaque petit bond, parce que mine de rien ça fait très très très longtemps que je me suis pas tapé, je suis pas sûr d'arriver à pas me faire écharper si on en arrive là.

J'ai un peu peur de me sortir le grand jeu en feulant en montrant les dents les griffes tout l'arsenal, parce que si ça escalade pour de vrai, je donne pas cher de ma peau. Et manquerait plus que je tombe à l'eau et que cet espèce de poisson-chat (ahahahaha) me finisse dans la flotte. L'horreur!! C'est horrib!!

C'était bien de l’esbroufe, finalement.

De l'esbroufe... Très compliquée à suivre, mais de l'esbroufe quand même. Dès l'instant où Chardon posa une patte de son côté de la rivière, le comportement de l'intrus changea du tout au tout, et ses nasillardes et incompréhensibles piques laissèrent leur place à... Des... Menaces?

Des menaces pas crédibles pour un sou, car le chat empestait la peur, que son poil ébouriffé avait doublé de volume et qu'il était littéralement en train de reculer en couinant ces avertissement.

Irritant, mais pas dangereux.

Chardon pencha la tête sur le côté, impressionné par la capacité qu'avait ce chat à continuer de blablater même quand il était visiblement en proie à la panique:

"T'as des abeilles dans la tête, ma parole?"

Et, un peu comme avec Crocs, décidément, ces deux là avaient beaucoup en commun, Chardon se retrouva à... S'adoucir. Pas beaucoup, il était toujours relativement agacé par cette rencontre, mais il n'avait plus tellement envie d'effrayer ce drôle de chat. Faire peur aux chats domestiques, c'était pas vraiment sa vocation. Quel honneur y avait-il à faire ça?

"Je vais pas te... Frapper. Je veux juste m'assurer que tu respectes notre frontière," expliqua-t-il en décidant de donner sa chance à ce rare élan de clémence."Les guerriers de mon clan te passeraient à tabac si il te trouvaient chez eux. Tout le monde n'est pas... Patient. Par ici."

Il s'imaginait bien ce qui aurait pu se passer si, disons, Joli Cœur ou Griffe de Jais étaient tombé sur ce fauteur de troubles avant lui. Ou n'importe quel autre guerrier un tant soit peu sanguin, en fait. Ah, ça, ils auraient pas appréciés, d'entendre ces idioties...