Larks and Katydids || Nuage de Papillon - abandon

— Je pense que le Clan des Étoiles a toléré ce meurtre et ces mensonges. En fait, je pense même que ça les arrangeait.

Nuage de Papillon plissa le museau, perplexe. en quoi l’arrivée au pouvoir d’un chef tel qu’Etoile du Cobra pouvait arranger le Clan des Etoiles ? Le meneur du Clan du Vent n’avait fait qu’exacerber les rivalités entre sa tribu et celle de la Rivière, poussant les combattants jusqu'à la guerre. la jolie apprentie blanche et rousse comprenait mal comment de telles atrocités pouvaient entrer dans els desseins de leurs ancêtres. Ah moins qu’ils n’y voient un lointain but pour le futur des clans ? Mais Nuage de Papillon ne pouvait, elle, se projeter aussi loin. C’est aujourd’hui et maintenant que les chats vivants avaient besoin de justice et de paix, pas dans une durée indéfinie. Elle gratta de la griffe l’herbe sous ses pattes, la situation lui déplaisait.

Les deux femelles continuaient d'avancer dans leur traversée du territoire tandis que Nuage de Papillon réfléchissait. elle en oubliait presque les paysages somptueux qui l’entouraient, concentrée sur les révélations de Vent du Nord. Elles finirent par s’arrêter au bord d’un ruisseau pour s’abreuver brièvement, la novice bicolore était toujours plongée dans ses réflexions et étrangement silencieuse.

— Tache d’If ne s’appelait pas Étoile d’If ou Étoile Tachetée pour une raison. Elle s’était détournée des Étoiles, avait interdit le passage vers la pierre de lune aux autres Clans, et mon mentor, Silence d’Hiver, avait du se débrouiller pour terminer son apprentissage en secret avec les autres guérisseurs… Elle avait aussi décidé d’apprendre aux apprentis à tuer. Lors d’un de mes entraînements, quand j’étais moi-même apprentie-guerrière, un gamin en a tué un autre par accident. Il s’est effondré d’un coup, la gorge tranchée, et c’était fini. J’étais là, et personne n'a rien pu faire.

- Je peux comprendre l’animosité à son égard, marmonna la jeune chatte à voix basse.

Nuage de Papillon frissonna en entendant l’anecdote sordide. Effectivement, peut-être que la mort de l’ancienne meneuse était un mal pour un bien. Elle ne pouvait pas affirmer qu’Etoile du Cobra était pire que Tache dIf. Elle n’avait pas vécu cette période sombre, impossible d’estimer quels chefs avaient les pires actions. Mais de son point de vue et de son époque actuel, Etoile du Cobra semblait être aussi terrible, simplement pour d’autres raisons.

— Je l’ai pas tuée, si ça peut te rassurer. J’avais quoi — 9, aller, on va dire 10 lunes à tout casser. J’étais apprentie guérisseuse depuis quelques semaines seulement. J’avais abandonné mon avenir de guerrière, et ma mentor, c’était Tâche d’If. Pendant tout ce temps, je lui avais pas parlé une seule fois, j’osais pas la regarder en face, parce que j’avais peur qu’elle me voit comme un échec. J’suis rentrée au camp, et j’étais décidée à aller manger avec elle pour la première fois depuis… bah depuis que j’étais partie chez le guérisseur. Mais tout ce que j’ai trouvé en rentrant, c’était son cadavre. Elle était déjà morte quand je suis arrivée, mais je voulais tellement pas y croire que je réfléchissais à comment la soigner. À l’époque, moi aussi j’avais cru qu’un étranger l’avait tuée. On a tous bu au mensonge de Cobra. Mais en y repensant… si t’avais vu son corps. Sa tête était dans un angle impossible, tellement le choc qui avait du lui briser la nuque avait été violent. Tout son dos était déchiré par des coups de griffes. Celui qui l’avait tué s’était acharné sur elle, c’était pas juste « un accident ».

Finalement, la jeune chatte finissait par avoir une réponse à sa réflexion plus tôt dans la journée. Elle avait craint de relancer la guérisseuse à ce sujet. Le lien particulier qui unissait Vent du Nord et Tache d’If pouvait-il influencer l’opinion de la guérisseuse envers l’ancienne meneuse et Etoile du Cobra ? Bien que les soigneurs étaient réputés pour être neutres et objectifs dans leurs avis et conseils Nuage de Papillon imaginait mal comment un chat pouvait mettre de côté tout un passé au profit de l’absence de prise de positions dans un contexte aussi difficile. A la place de Vent du Nord elle se serait d’ailleurs probablement davantage montré acerbe envers Etoile du Cobra. La novice rousse et blanche se nota mentalement qu’elle devrait apprendre à garder sa langue dans sa poche si elle espérait un jour grimper en rang au sein du clan. Une guerrière qui braille à voix haute ses idées politiques sans y mettre les formes ne verrait probablement jamais de près le sol du promontoire.

— Je le sais parce que Griffe de Boue était là quand il l’a tuée. Elle avait tout vu, et elle a tout avoué sur son lit de mort. Et quand j’ai laissé comprendre à Cobra que je le savais, il a pas vraiment eu l’air étonné. Il n’a rien nié, non plus.

Effectivement, sans témoin il semblait difficile de prouver l’assassinat. Et avec l’historique de Tache d’If, pas sûr que les guerriers du clan bronchent en apprenant la vérité. Sa disparition semblait être un mieux pour tout le monde. Mais maintenant que Nuage de Papillon connaissait la vérité elle ressentait quelque chose d’important : de la méfiance. de la méfiance envers Etoile du Cobra. Et ces révélations pourraient tout autant impacter les autres félins venteux. car un chef qui tue pour obtenir sa place, qui tue un de ses propres camarades ne pouvait être digne de confiance. Aucun motif ne permettait d'enfreindre autant le code du guerrier. La vie ne pouvait être ôtée qu’en cas de combat pour la vie.

- Que se passerait-il si le clan l’apprenait à ton avis ? Demanda-t-elle.

— Ahh, bien bonne question. Je pense que pour l’instant, tout le monde nierait la vérité. Ou alors, ils utiliseraient juste le fait que les Étoiles ont accordé ses 9 vies à Cobra pour pouvoir ne plus y penser et puis voilà. Pour l’instant.

Mais avait-il vraiment neuf vies ? Nuage de Papillon se posa la question un court instant. Non, impossible, s'il ne les avait pas eu il n’aurait jamais osé se renommer en étoile. Après tout Tache d’If avait conservé son appellation d’autant, il aurait été logique qu’il en soit de même pour Cobra. Elle se gratta l’oreille en méditant sur les paroles de la guérisseuse. Cette plongée dans l’univers politique du clan la déstabilisait. Elle se retrouvait à se poser des questions qui ne l'avaient qu'effleuré jusqu’à présent. L’entrée dans le monde des adultes peut-être, elle était un peu dégoutée que cela soit par le biais d’un chef imbus de bataille, elle aurait préféré une réalité plus douce. Mais la vie des chats sauvages n'était pas facile, n’était pas toujours belle, était même parfois franchement moche.

— S’il continue de mener des guerres futiles à droite à gauche juste pour son petit plaisir, en revanche, je pense que les gens pourraient nous écouter. C’est bien triste de devoir attendre que la moitié du Clan soit amochée mentalement et physiquement, je sais, mais rien bougera avant ça.
- C’est moche oui, approuva Nuage de Papillon.

Elle n’avait pas envie de retourner se battre. La bataille contre ses adversaires déconfits ne lui avait donné que pour sensation un vague mélange de dégoût et de devoir accompli. Au souvenir de ses griffes s’enfonçant dans la chair ennemie un frisson désagréable lui parcouru l’échine. Elle espérait ne pas avoir à revivre ces sensations avant longtemps. Le dialogue était un moyen bien plus intéressant de résoudre les conflits à ses yeux. Le combat ne devait pas être la première alternative choisie par un meneur pour arriver à ses fins. Tout du moins selon elle. Mais elle était encore bien jeune pour avoir un avis définitif sur la question, elle s’en doutait.

— Ça te dirait de m’aider ? Ta sœur a besoin de temps — j’sais pas combien de temps exactement, et je sais pas non plus quand est-ce-que Cobra lancera sa prochaine guerre, mais j’aurais besoin de quelqu’un pour m’aider, et c’est encore trop tôt pour Nuage des Lucioles. Je te force à rien hein, c’est toi qui vois.
- Oui! S’exclama aussitôt Nuage de papillon, le regard brillant. elle se força aussitôt à se reprendre. Je veux dire, bien évidemment que je peux t’aider. Tout pour toi et le clan et Lucioles. Elle avait la queue bien haute de fierté et la mine ensoleillée de bonheur. Je ferais tout ce que tu me diras de faire.

À cette proposition, Nuage de Papillon rayonna. Vent du Nord lui adressa un sourire, repensant à ce petit chaton, encore haut comme trois pomme à l’époque, appelé Petit Papillon. L’enfant qu’elle avait aidé à mettre au monde, qu’elle avait vu grandir, qu’elle avait observé franchir timidement l’entrée de son antre pour venir la voir. L’observer travailler, chercher son courage pour lui demander quelque chose. Penser à sa sœur, Petite Luciole. Ne pas oser, se sacrifier, laisser tomber.
La guérisseuse avait vu ça comme une bonne chose — il y avait tellement plus de libertés à être une guerrière ou une sentinelle. Elle était libre d’aimer, d’avoir des enfants, de faire comme bon lui semble, d’avoir son opinion sur tout. Les guérisseurs portaient sur leurs épaules la responsabilité de la bonne santé du Clan, ils passaient derrière les horreurs de la guerre pour les effacer ou les cacher tant bien que mal, ils accompagnaient les chats de leur Clan de leur naissance jusqu’à leur mort. Puis il y avait Nuage de Coccinelle, petite enfant maudite qui aimait un peu trop le soleil. Peut-être que tout cela, malgré tous ses avertissements, c’était un fardeau trop lourd à porter pour Nuage des Lucioles. Enfin, c’était quelque chose de lourde pour n’importe quel chat de la forêt, mais pour certains plus que d’autres.

— Si tu as du temps demain, je t’apprendrais des soins un peu plus poussés que ceux que vous voyez en premiers soins à votre entraînement. Ramène moi un lapin entier dans mon antre en début d’après-midi, on s’exercera dessus.

Si elle le pouvait, Vent du Nord garderait à jamais ce fardeau avec elle. Elle l’emporterait dans sa tombe, le ferait sien pour toujours et à jamais, pour s’assurer que plus jamais personne n’ait à en souffrir. Mais il était voué à rester tant que les Clans vivraient, tant que le code tenait en place, tant que les Étoiles contrôlaient tout avec une main de fer. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était les préparer au futur, pour qu’ils aient les clés en main pour faire face à ce qui les attendaient. Préparer la future génération, celle qui ferait les Clans de demain.

— Tu viens ? On a encore de la route à faire.

Nuage de Papillon se sentait subitement emplie d’un espoir nouveau en l’avenir. Elle avait cru la voie des guérisseurs fermée à tout jamais pour elle mais le chemin s’ouvrait à nouveau, brillant de lumière et de mystères. Elle n’oubliait pas que c’était un drame terrible qui lui offrait cette seconde chance : la guerre. Mais elle prit tout de même le temps de profiter de cette victoire sur le passé, elle avait au moins droit à cela. Et puis, elle n’abandonnait pas complètement ses fonctions de guerrière, cela aurait été trop dur pour elle. Parce qu’au fil des entraînements elle y avait pris gout, de courir où elle le désirait, de chasser les rongeurs jusque dans leurs terriers, de s’assurer fièrement du marquage du territoire avec ses camarades. Elle ne se sentait pas prête à délaisser tout ce pan de sa vie au profit d’un poste à plein temps de guérisseuse. Peut-être qu’un jour elle changerait d’avis, qui pouvait le prédire.

— Si tu as du temps demain, je t’apprendrais des soins un peu plus poussés que ceux que vous voyez en premiers soins à votre entraînement. Ramène moi un lapin entier dans mon antre en début d’après-midi, on s’exercera dessus.

Nuage de Papillon hocha vigoureusement la tête. Elle se demandait bien ce que Vent du Nord lui montrerait. La tête embrumée par cette discussion riche en rebondissements, elle évita de justesse de se cogner les pattes dans un rocher proéminent. Avec un petit bond de dernière minute, elle parvint à éviter l'obstacle et miaula joyeusement:

- J’adorerais ça oui ! Je préviendrais Couronne d’Epines en rentrant.

Elle ne voyait pas pourquoi son mentor s’opposerait à une requête directement venue de la guérisseuse du clan mais elle préférait venir lui expliquer de vive voix. Le matou n’était pas un mauvais bougre mais Nuage de Papillon n’était pas certaine qu’il apprécierait que son apprentie disparaisse toute une journée sans l’informer. et puis elle n’avait pas envie de faire les choses dans son dos.

— Tu viens ? On a encore de la route à faire.

Souriante, Nuage de Papillon s’élança vers la suite de leur périple, se demandant où ses pas la mèneraient dans le futur qui se profilait au loin, au-delà d’elle-même et de Vent du Nord.