Je sais qui tu es [avec Petite Glycine]

♪ Apprentie Prout

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Tapie entre les feuilles et les herbes, la petite guette l'arrivée de son frère. Ses yeux sont plissés, sa queue se balance nerveusement de droite à gauche ; elle est prête à bondir. Aujourd'hui, un léger brouillard enveloppe le Clan et les cœurs des chats, il s'immisce partout, écoute toutes les conversations et pourtant il les isole en même temps. La fraîcheur forme de minuscules gouttelettes sur le pelage du chaton, qui frissonne dès lors qu'elles roulent jusqu'à sa peau sensible.
Petite Feuille sait très bien ce qu'il s'est passé hier. Elle a parfaitement entendu, l'instant de grâce, mais aussi les ragots et les histoires qui ont suivit. Elle sait que son frère a levé la patte sur Petite Tempête, mais elle n'a pas osé lui posé des questions la veille. Feuille pensait que c'était trop tôt, qu'elle allait l'embêter et remuer la griffe dans la plaie. Et maintenant... Feuille attend le bon moment pour le confronter.
Mais qu'il se détrompe en l'instant : elle n'est pas en colère ! Si son frère est arrivé à un tel point de rage, c'est que Tempête l'avait mérité, voilà tout. « Moi j'ai confiance que en Glycine, d'abord. », murmure-t-elle dans ses pensées.

Et voici Petite Glycine qui sort à son tours de la pouponnière. Feuille l'observe de loin ; il se dégourdi seulement les pattes, prend la température de la journée. Il est encore bien tôt après tout.
Alors elle attend.
Peut-être va-t-il se rapprocher.
Elle attend.
Elle attend comme l'oiseau chétif patiente sa proie qui creuse la terre.
Comme l'épervier qui depuis les cieux observe les rats.

« Oui, c'est ça, approche encore un peu... »

…
.
.
.

« - Ya-taaaaa !!! »

Petite Feuille hurle son cri de guerre – enfin « hurle »... les autres diront que ça ressemblait à un bruit de souris – et saute droit sur le dos de Petite Glycine qui ne l'a pas vu venir. « Un point pour moi... ! », se félicite-elle. Tous deux roulent sur quelques longueurs, entrelacés, les pelages hirsutes.
Lorsque Feuille se relève elle ne ressemble plus qu'à une boule de poils ébouriffée et terreuse, avec une grosse feuille morte sur la tête.

« - Haha, je t'ai b-bien eu... ! Lui dit-elle, avec son habituel petit sourire maladroit. »

Une petite léchouille sur le front de son frère en guise de bonjour et elle reprend :

« - Je t'attendais, cachée der... derrière, là-bas... »

Du bout de la queue, elle pointe sa cachette.
Feuille toussote ; prend quelques instants pour réfléchir, mettre les mots dans le bon ordre dans sa tête. Ses moustaches frétillantes et ses oreilles encore plus actives que d'habitude trahissent sa nervosité. Car elle a peur de vexé son frère, elle a peur qu'il ne veuille pas lui parler de ce qu'il s'est passé la veille. Pourtant elle sait, elle sent, que c'était important.
Finalement, elle secoue la tête et se lance, bien décidée malgré tout à dire quelque chose :

« - Tu sais j'ai... heu... Moi aussi je sais ce qu'y s'est p-passé hier. Et heu... hésite-elle encore, si tu veux, moi je suis là pour t'écouter. Je suis sure que tu voulais pas faire aussi mal. J'ai... j'ai confiance en toi ! Je suis sur que t'avais une bonne raison. Non... en fait, j-je suis pas sur, je le sais. »

Feuille glisse sont regard dans celui de son frère et conclut en quelques phrases étranges, sans queue ni tête, en bafouillant. Elle baisse à nouveau les yeux et du bout de la patte, elle gratte la terre molle. Il y a un ver de terre, juste là.

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Il en avait marre que certains membres du Clan se comportent comme s’il était sourd. Peu importe où il allait, il pouvait remarquer des regards accusateurs, suivi de paroles acerbes qui lui étaient indirectement destinées.
— Elle aurait attaqué ce chaton juste parce qu’il a dit que c’est une fille… Une telle violence, qu’est ce que ça donnera plus tard ?
Il fronçait les sourcils, se retenant de les foudroyer du regard. Et malgré tout, en y repensant, ils avaient raison. Le contexte était plus délicat que ça, mais les faits étaient bien là : il avait attaqué Petite Tempête car il n’arrêtait pas de la traiter comme une fille, et ça lui faisait mal. Le reste du Clan ne comprenait pas, n’y voyait qu’un prétexte qu’il aurait trouvé pour s’en prendre sans raison aux autres, pour assouvir une soif de sang qu’il s’ignorait lui-même. Tant bien que mal, il se contentait d’ignorer. Il longeait le long du camp, évitant le regard des autres.

Tout à coup, une masse s’écrasa sur son dos. Petite Glycine poussa un cri d’effroi, qui ressemblait à son plus grand regret un peu trop à une voix de fillette. Constatant qu’il ne s’agit que de Petite Feuille, et pas d’un chat décidé à venger le sort de Petite Tempête, il poussa un lourd soupir.

— Tu m’as fait peur ! se plaignit-il à sa sœur.

Elle lui expliqua qu’elle était cachée juste là bas, derrière, et avait attendu qu’il s’approche pour le surprendre. Chose réussie, en tout cas.

— Je suis pas trop d’humeur à jouer… avoua-t-il, la voix coupable. Il s’en voulait, il voulait passer du temps avec sa sœur. Mais visiblement, elle était là pour autre chose.

— Tu sais j'ai... heu... Moi aussi je sais ce qu'y s'est p-passé hier. Et heu... si tu veux, moi je suis là pour t'écouter. Je suis sure que tu voulais pas faire aussi mal. J'ai... j'ai confiance en toi ! Je suis sur que t'avais une bonne raison. Non... en fait, j-je suis pas sur, je le sais.

Gêné, Petite Glycine gratta le sol de poussière, la tête baissée.

— Le truc, c’est que je voulais qu’il ait mal. Je veux dire…

Il sentait ses joues lui bruler de honte. À s’entendre, il avait l’impression d’être un monstre.

— Je l’ai regretté, après. Et je ne voulais pas lui faire mal mais je voulais qu’il ait mal, comme moi. Pour qu’il comprenne. J’en ai eu marre, c’est tout. Les grands ont raison, j’ai été violent pour un rien.

Petite Glycine serra les dents, fronça les sourcils. Répéta mot pour mot, en se l’appropriant, les mots qu’il avait entendu de la bouche des adultes.

— Les guerriers ont raison. Tout serait beaucoup plus simple si j’arrêtais de vouloir faire mon… mon interessant, si je grandissais un peu et si… si j’acceptais juste que je suis une fille.

Tout serait tellement plus simple, et tellement plus doux pour tout le monde. Plus de souffrance pour ~~lui~~ elle ni pour les autres, plus de casse-tête permanent pour ses parents qui s’efforçaient d’accepter cette chose qu’ils ne comprenaient pas, et devaient sans doute passer pour des idiots, à soutenir les bêtises de leur ~~fils~~ fille.

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Le chaton s'assoit, écoutant méticuleusement les paroles de son frère, les oreilles dressées, attentif, prêt à s'abreuver du moindre mot pour en saisir l'ensemble du sens. Lorsque Petite Glycine baisse son regard, Feuille se contente, tout simplement, de ne pas le fixer dans les yeux, évitant ainsi d'avoir l'air accusatrice. Les moustaches de son frère frémissent au rythme de ses paroles.

« - Le truc, c’est que je voulais qu’il ait mal. Je veux dire… Je l’ai regretté, après. Et je ne voulais pas lui faire mal mais je voulais qu’il ait mal, comme moi. Pour qu’il comprenne. J’en ai eu marre, c’est tout. Les grands ont raison, j’ai été violent pour un rien. »

Il marque une petite pause, les sourcils froncés, immédiatement Feuille ressent une vague de chaleur qu'elle ne connaît que trop bien ; la honte et la détresse, un cocktail délicat à gérer.

« - Les guerriers ont raison. Tout serait beaucoup plus simple si j’arrêtais de vouloir faire mon… mon intéressant, si je grandissais un peu et si… si j’acceptais juste que je suis une fille. »

Là, les yeux de Petite Feuille s'ouvrent en grand ; elle ne peut pas cacher sa surprise à son frère. « Une fille ? Mais... de quoi il parle ? », elle ne peut pas comprendre, faire les liens immédiatement, elle n'a pas encore assimilé qu'une différence existe entre sa vision de son frère et celle des autres.
À toute vitesse elle réfléchis, rétrograde, fait fonctionner ses méninges dans tous les sens. Hier, lorsqu'il y a eu la « bagarre » entre Tempête et Glycine... elle n'a pas entendu grand chose. Elle les a vu, pour sur, mais elle a senti l'air s'électriser rapidement et a jugé qu'il était plus raisonnable de les laisser régler ce problème – qu'elle pensait, jusqu'à maintenant, qu'il ne concernait personne d'autres que ses deux protagonistes – comme ils l'entendaient. « Zut ! J'aurai du venir voir... J'ai bien senti que c'était important mais là il se passe quelque chose de plus... profond. Et j'ai rien vu venir... ! Je suis tellement stupide ! ». Feuille s'est bien rendue compte que parfois les autres se trompaient et disait « elle » à la place de « il » pour son frère. Mais Glycine ne disait rien, depuis toujours, ça signifiait que c'était normal ? Il semblerait qu'aujourd'hui, les choses aient changé. « Mais qu'est-ce qui a provoqué ce changement ? Et bon sang pourquoi Glycine voudrait « accepter d'être une fille » maintenant ? ». De sa patte gauche, Feuille vient se masser et se grattouiller le front, le visage déformé par sa réflexion trop intense pour un si jeune chat.
Elle se redresse, plante à nouveau ses yeux dans ceux de Glycine. Et lui sourit, compréhensive, de sa voix basse elle entame de lui répondre :

« - Glycine, haw... Je sens bien que... que c'est trrès important tout ça. Mais je suis un peu perdue... P-pourquoi tu me parles d'être une fille ? Tu es un garçon enfin ! Haa, soupire-t-elle, pardon je suis un peu bête, je suis sur que c'est évident mais que j'arrive p-pas à comprendre... Dis-moi où est-ce que tu as mal aussi. Moi je vais t'aider. J-j'ai beaucoup mal moi aussi, c'est sans doute pas pareil mais c'est pas grave, je t'aiderai quand même surtout que je sens très bien, ça se voit que cette histoire te pèse très fort. Laisse-m-moi prendre un peu du poids... Moi, je te défendrais tout le temps ! Toute ma vie ! Je te le promet. »

La petite fait ressortir ses petites dents blanches en un joli sourire. Feuille est heureuse que son frère se confie à elle, maintenant c'est à elle de faire le nécessaire pour qu'il se sente à l'aise dans cette discussion, même si c'est dur. Petite Feuille tient vraiment à ce qu'il comprenne qu'il a le droit de tout lui dire et qu'elle l'écoutera, quoi qu'il se passe et même si il fait des bêtises. « Bien que ça a pas l'air d'être une bêtise... Glycine dit qu'il regrette mais si Tempête lui a fait du mal et ben, y devrait pas. ».

« - Je peux en parler avec Tempête si tu veux – même si je le connais pas –, ou avec les adultes méchants. Enfin faudra que tu m'expliques bien c-c'était quoi le soucis mais... voilà, haw, je peux aider. »

Timidement, elle prononce ces dernières phrases. Elle voudrait se taper la tête « Il va croire que tu ne penses pas ce que tu dis ! Imbécile ! ». Feuille s'en veut, sincèrement et constamment d'être une peureuse et une pleurnicharde.
Et, pourtant, elle pense vraiment ce qu'elle dit. Elle ira.

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Le souvenir du regard froid et amer que lui avaient porté les adultes plus tôt revenait assaillir Petite Glycine, qui sentit les poils de son échine se dresser dans un frisson aussi glacial que désagréable.
Sa sœur, qui l’avait toujours soutenu et considéré comme un garçon, avait du mal à comprendre sa souffrance. Elle cherchait un endroit où il pourrait avoir mal, alors qu’il n’y en avait pas : Petite Glycine avait mal à la fois partout et nulle part. Elle lui proposa son aide — ça lui faisait du bien, de l’avoir si près de lui, et de savoir que quoiqu’il arrive, elle serait toujours là. Elle était son pilier, celle qui lui permettait de tenir debout, même quand c’était dur.
Il s’allongea près d’elle, les pattes repliées sous lui, la tête baissée.
— Haw, c’est… c’est pas la peine… Je vais me débrouiller, pour Tempête. Tu sais, il faut que j’arrive à me débrouiller, parce que sinon…
Il repensa au mépris, à la presque-haine qu’il avait vu dans le regard de certains chats.
— Sinon personne me prendra jamais au sérieux. Et, quand je me retrouverais tout seul, eh bah, ils seront méchants parce qu’ils profiteront qu’il y a personne pour me défendre comme d’habitude. Et ça, j’veux pas.
Ça lui faisait horriblement peur.

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Doucement, Petite Glycine s'allonge près d'elle, la tête basse, et Feuille fait de même. Mais pas trop proche quand même, parce qu'elle veut pouvoir le regarder en face, dans les yeux si il le faut.

« - Haw, c’est… c’est pas la peine… Je vais me débrouiller, pour Tempête. Tu sais, il faut que j’arrive à me débrouiller, parce que sinon… »

Son frère marque une pause, durant laquelle Petite Feuille se contente de cligner des paupières, patiente.

« - Sinon personne me prendra jamais au sérieux. Et, quand je me retrouverais tout seul, eh bah, ils seront méchants parce qu’ils profiteront qu’il y a personne pour me défendre comme d’habitude. Et ça, j’veux pas. »

La sœur sourit avec gentillesse.

« - Glycine... tu sais, j'pense qu'a-accepter que les autres soient là, c'est pas faible. »

Petite Feuille peut ressentir, et avec sincérité, les émotions qui traversent Glycine en ce moment. Elle voit parfaitement que c'est dur, elle voit parfaitement la méchanceté et la stupidité du monde qui les entoure. Elle entend les mots qui vrillent, qui piquent, qui blessent. Et c'est cela qu'elle voudrait anéantir à tout prix, sans aucun doute. Pourtant, bien qu'elle ait sa propre part d'égoïsme, elle est capable d'entendre cette revendication qu'a son frère à vouloir se débrouiller seul. Si seulement il acceptait de simplement concilier les deux : se défendre seul et prendre la force des alliés.

« - Mais je c-comprend, que t'ai envie de te d-défendre sans m-mon aide, ou sans celui de papa ou de maman. »

Feuille ne croit aucunement qu'elle soit capable de défendre qui que ce soit, en vérité, mais elle sent bien que Glycine a confiance en elle... Mais il y a quelque chose qu'il doit entendre, alors elle lui dit, doucement, et du bout de la queue elle le force à la regarder bien en face, à plonger dans son regard vert emplit de tendresse et d'une étonnante assurance :

« - Pourtant... tu ne crois pas q-que tu as déjà prouvé que tu pouvais te défendre seul ? C'est c-ce que tu as fais hier, non, en fracassant Tempête ? »

Ses sourcils se froncent en pensant à lui, à celui qui l'a blessé, ses pupilles se fendent. Elle lui sourit toujours, mais elle articule presque menaçante :

« - D'ailleurs, concernant celui-là, fais-moi confiance haw. Je vais aller le voir et y t'embêtera plus. »

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