baby it's cold outside ▼ Fleur Cendrée - end

Le vent soufflait dans les aiguilles des pins, les faisant tintinnabuler comme autant de gouttelettes de cristal. Toucan écoutait cette mélodie l’air rêveur. Ses yeux étaient emplis d’étoiles, et il frissonnait de bonheur : il allait enfin retrouver sa bien aimée, en cette douce nuit de Noël. Son Clan n’acceptait pas leur amour, mais il était aussi fort que de la péridotite, à l’épreuve des balles et ignifuge. Toucan était poète, Toucan était transi. Un peu de froid, mais beaucoup de passion.

Enfin, il l’a vit arriver, nimbée d’un halo de lumière, toute pimpante de fraîcheur. Elle était si belle quand elle secoua le peu de neige qui lui était tombée sur le haut de la tête. Jamais on ne vit jamais on ne verra, un caillou ronronner plus fort dans ces bois.

Il exsuda des paillettes et des petits ronds de vapeurs dans l’air froid. Un sourire lui déchirait le visage. On l’entendait à peine derrière le bruit de moteur qui montait de sa gorge amoureuse.

« Astrée de mes nuits, je me languissais de te voir ! Tu m’as tellement manqué… Les jours sont tellement longs sans toi... » … et les nuits se retint-il d’ajouter, car ces mots lui semblaient tellement sales, si impropres, si peu lui-même. Il fallait être un déviant, un pervers pour les employer, se disait-il. Jamais il n’en ferait l’usage, croix de bois, croix de fer.

Le monde tournait court sans lui. Ses formes, son corps, son pelage lui manquaient, même ses yeux et son regard si expressif. Fleur Cendrée, tendrement enamourée d’un félin dont elle se serait moquée et qu’elle aurait pu tuer dans d’autre circonstance, trottina gaiement. Enfin, elle allait le revoir. Elle avait pris son temps pour se faire belle, lustrer et nettoyer son beau pelage. Elle voulait plus que tout lui plaire. La neige qui tombait en délicats flocons ne rendrait que les retrouvailles plus belles.

En route pour retrouver son prince charmant, elle ne prit pas garde si on la suivait ou non, elle quitta tout simplement le Camp dans lequel elle vivait, sans même un regard en arrière, les pensées fixées sur les événements qu’elle allait pouvoir vivre avec son cher et tendre. Un sourire charmeur plaqué sur le visage, elle ne mit pas longtemps à rejoindre le lieu de rendez-vous, elle ne mit guère plus de temps à retrouver ses yeux, elle s’y perdit un instant, continuant tout de même sa progression dans la neige qui s’accumulait sous ses légères foulées, elle le rejoignit.

« Astrée de mes nuits, je me languissais de te voir ! Tu m’as tellement manqué… Les jours sont tellement longs sans toi... »

Le sourire affiché sur ses babines s’élargit davantage. Un doux et puissant sentiment amoureux s’échappa de tout son corps, à la limite du répugnant. Trop contente de le retrouver, elle en oublia de le saluer comme il en était coutume dans les Clans, elle avait pris cette habitude avec lui. Elle rompit le peu de distance qu’il restait entre lui et elle. Elle le retrouvait enfin. Blottie contre lui, elle lâcha tendrement et avec une voix trahissant ses sentiments :

« Mon beau solitaire, tu m’as aussi affreusement manqué. »

Sa princesse russe ne le salua pas, comme d’habitude. Elle avait pris cette charmante habitude quand il lui faisait la cour, il y avait de cela bien des lunes. Ah, que d’ardeur il avait mis à la séduire. Il ne pensait plus qu’à elle, lui était totalement dévoué : pas une autre chatte - ni aucun autre chat, grands dieux non - ne l’intéressait, l’idée même de ne serait-ce qu’effleurer un autre corps que le dégoutait au plus au point. Il ne comprenait pas les séducteurs impénitents voguant de conquêtes en conquêtes : lui ne vivait que pour sa belle.

Puis elle se blottie contre lui. Son cœur battait la chamade, on eut dit qu’on oiseau affolé était emprisonné dans sa poitrine. Même le froid mordant ne pouvait rompre la magie de cet instant. Il contemplait les petites oreilles de sa dulcinée – si douces – et ses si beaux yeux – deux lacs de pureté. De sa voix cristalline, elle miaula :

« Mon beau solitaire, tu m’as aussi affreusement manqué. »

Ce fut l’extase langoureuse, la joie amoureuse, les frissons des bois et l’étreinte des brises. Il se retient de lâcher une larme. Ah, il l’aimait tant…

« Moi aussi ma douce… Ah ! Si seulement ton Clan nous laissait nous aimer... »

Sa voix aurait pu paraître bien trop exagérée pour certains, bien trop pleine d’amour, mais elle ne trahissait que les profonds sentiments qu’elle portait au Solitaire. Ce dernier lui avait toujours promis de décrocher la lune pour elle, avait toujours était sincère et contrairement à d’autre, elle ressentait chacune de ses émotions, chacun de ses sentiments, un peu comme si elle lisait en lui comme dans un livre ouvert. L’ambiance hivernale ne faisait qu’aggraver l’attachement physique qu’elle pouvait porter à son cher et tendre, le froid l’obligeait à rester prêt de lui, de même que les battements de son cœur qui faisait tambouriner le sien en retour.

Figeant un délicat sourire sur son visage, un sourire niait pour certains, mais qui pour elle représentait beaucoup, elle ne pouvait définitivement plus reculer. Les pas qu’elle avait réalisé ces derniers temps, son rapprochement avec ce charmant félin, lui faisait se poser des questions quant à sa loyauté envers son Clan. Elle ne se voyait pas vivre éternellement au sein d’un Clan dans lequel elle ne pouvait avoir la liberté et le droit de faire vivre son amour. Comment faire alors ?

« Moi aussi ma douce… Ah ! Si seulement ton Clan nous laissait nous aimer... »

La tendre voix de son compagnon d’un moment la fit redescendre sur Terre et quitter ses pensées. C’est comme si le félin avait lu dans ses pensées, ses mots firent exactement écho à ce à quoi elle songeait depuis leurs retrouvailles en cette froide soirée d’hiver. Un peu maladroite sur ses propos, n’ayant encore pas pris de décision entre l’amour et le devoir, elle marmonna avec douceur :

« Tu sais très bien que ce n’est pas facile pour moi de choisir... Je t’aime, mais je suis née dans ce Clan, j’y ai toute ma famille, mes repères... »

Elle était collée à lui, il respirait son doux parfum – extase d’un instant. Il aura voulu que le temps se fige, et qu’à jamais ils restent enlacés dans cette image d’Épinal hivernale. Mais le temps, n’en déplaise aux poètes, ne suspend jamais son vol. le museau posé au niveau de son épaule – Toucan était toujours un petit galet – il la vit entr’ouvrir sa délicate gueule, et murmurer – ou plutôt grommeler – de la voix des anges :

« Tu sais très bien que ce n’est pas facile pour moi de choisir... Je t’aime, mais je suis née dans ce Clan, j’y ai toute ma famille, mes repères... »

Oh. Elle l’avait dit. Elle l’aimait. Son cœur était transporté de joie, il était devenu une petite poupée de chiffon, molle et inoffensive dans les mains d’Éros. Mais l’angelot des amoureux lui décocha une flèche bien peu agréable en plein dans l’âme : elle ne savait que faire. À lui de la convaincre.

« Mon adorée, pourquoi ne pas fuir ? Nous pourrions vivre en toute liberté, bien loin des Clans et de leurs codes. Nous nous aimerions, bien plus que le temps d’une chanson ou d’un intermède d’hiver... »

Pourquoi est-ce que la vie était faite d’une succession de choix ? Ne pouvait-on pas vivre au jour le jour, en se fichant royalement de ce qu’il pourrait advenir demain ? C’est ce qu’aurait voulu faire Fleur Cendrée. C’est ce qu’elle avait toujours voulu faire. Planifier n’était pas son point fort et elle ne sentait nullement l’utilité d’une pareille chose. Elle se refusait de faire un choix entre son Clan et son Toucan pour le moment. Elle avait beau se casser la tête plusieurs minutes sur ce dilemme, les conséquences étaient trop lourdes. Cherchant du réconfort dans le pelage du petit félin tigré, elle huma son délicat parfum en enfouissant sa tête dans les poils de son cou, se réchauffant par la même occasion.

« Mon adorée, pourquoi ne pas fuir ? Nous pourrions vivre en toute liberté, bien loin des Clans et de leurs codes. Nous nous aimerions, bien plus que le temps d’une chanson ou d’un intermède d’hiver... »

Le vent continuait de souffler, apportant sa dose de température négative, faisant frissonner un moment la Guerrière. Presque rien ne pourrait gâcher ce moment avec son compagnon. Presque rien, sinon cette discussion qui revenait. Tout partait d’un bon sentiment, de la joie de se retrouver, de simplement s’aimer, pour en arriver à des plans d’évasion romantique digne des plus grands romans. Était-elle prête à tout abandonner, sa famille, son Clan, ses origines, son avenir, pour livrer son cœur à ce solitaire ? Croyait-elle réellement aux mots de son prince charmant. Elle voulait y croire, pourtant quelque chose s’y opposait, délicatement, mais sûrement, elle n’arrivait à voir l’avenir ainsi, fuyant comme une voleuse, déshonorant derrière elle sa famille et causant un tort infini au Clan du Tonnerre. Elle prit une voix douce pour tenter de changer le fil de la discussion, elle venait de repérer ce que les bipèdes nomment « guirlande » banalement posée sur une palissade d’un de leur jardin :

« Il me faut du temps Touc', laisse-moi en davantage. Oh ! Regarde comme elles sont belles ses lumières, on dirait des étoiles de toutes les couleurs. »

Il attendait sa réponse, des petites étoiles allumées dans les prunelles, le corps un peu penché en avant et le visage relevé – il s’apprêtait à recevoir la nouvelle qui l’emmènerait direct à Cloud Nine, ou bien qui le damnerait. Toucan n’était pas fait pour la nuance et les dégradés de couleurs – son monde est bien simple, oui, non, marche, crève, aime, crève.

Une guirlande s’alluma. Elle faisait office de serpent tentateur, et ces lumières clignotantes étaient autant de fruits défendus. Toucan espérait que cette fois, sa belle croquerait, que cette fois, elle accepterait.

« Il me faut du temps Touc', laisse-moi en davantage. Oh ! Regarde comme elles sont belles ses lumières, on dirait des étoiles de toutes les couleurs. »

Crash. Ses petites oreilles tombèrent en chute libre.

Il se racla la gorge, se força à sourire, que sa compagne ne sente pas sa peine. Il la regarda, nimbée dans la lumière des guirlandes, toutes de nuances pastels. Elle était belle.

« Pas autant que toi, chérie. »

Il frotta son museau au sien, avec une infinie douceur.

« Tu as combien de temps avant que ton Clan ne te reprenne à moi cette fois ? Tu leur a dit que tu étais partie chasser ? »

L’attention totalement portée sur sa ruse pour fuir le problème, elle observait les mille scintillements de cet objet de bipèdes. Si elle ne craignait pas d’en voir un déboulé ou lui jeter un, je ne sais quoi, elle se serait certainement hissée plus prêt pour pouvoir comprendre le mécanisme. Est-ce que c’était aussi les humains qui régissaient les étoiles ? Eux qui semblaient capables de régir de telles choses ? Non. Le Clan des Étoiles trônait dans le ciel. Les bipèdes n’y avaient pas leur place. Tournant la tête vers son compagnon pour connaître sa réaction, elle laissa un sourire charmeur trôné sur son visage. Elle connaissait les points faibles de son compagnon.

« Pas autant que toi, chérie. »

Le compliment venant d’un autre chat ne l’aurait pas heurté, mais venant de lui, il lui mettait un énorme baume au cœur. Le sourire sur son visage s’élargit et un ronronnement émana délicatement sa gorge. Son museau rencontra le sien et de ce geste anodin, d’une douceur extrême, la femelle se sentit pendant un moment à sa place, aimée et choyée comme jamais. Si son Clan lui apportait beaucoup sur le plan émotionnel, il n’y avait guère que Toucan pour faire émaner en elle de telle profusion de joie et de bonheur. Oh ! Si elle le pouvait, elle resterait là, avec lui, pour l’éternité. La neige ne la gênerait pas, elle n’avait pas froid à ses côtés. Son cœur, ses sentiments purs, son amour, réchauffaient son corps, son âme et son esprit.

« Tu as combien de temps avant que ton Clan ne te reprenne à moi cette fois ? Tu leur as dit que tu étais partie chasser ? »

Se remémorant rapidement son départ du Camp, elle se rappelait avoir donné une justification tout à fait banale et qui ne serait jamais remise en doute. D’une voix douce et fluette, elle lui répondit d’une voix sincère :

« Bien assez de temps pour profiter de toi, mon beau Touc’. Oui, tu sais comment fonctionne cette excuse, je n’ai nullement besoin d’en dire plus. »

Elle ronronnait, et sa voix douce sonnait agréablement aux oreilles du petit galet. Il adorait l’attendre parler, il adorait leurs conversations, des petits moments de temps et de bonheur volés à son Clan - ce Clan qui décidément lui mettait des bâtons dans les roues. Il se serra contre elle, et regarda la guirlande qui les baignait de sa douce lumière artificielle.

« Bien assez de temps pour profiter de toi, mon beau Touc’. Oui, tu sais comment fonctionne cette excuse, je n’ai nullement besoin d’en dire plus. »

C’était tout elle ça, jamais un mot de trop sur son Clan. Il savait qu’elle lui était fortement attachée, et parfois jalousait ce lien. Si la situation était inversée, lui dans un Camp et elle belle solitaire, il était sûr qu’il aurait laissé derrière lui sa famille pour vivre son amour. Enfin. Il soupira.

« Je suis toujours heureux de te voir ma belle, toujours. Mais tu es sûre que ton Clan ne remarquera rien ? » Il prit une grande inspiration. « Peut-être que c’est juste ta fourrure d’hiver, et que le froid engourdi tes mouvements mais… J’ai comme l’impression que ton ventre s’arrondit depuis quelques temps, et que tu as plus de mal à te déplacer. Tu es toujours aussi magnifique hein, ce n’est pas ça que je veux dire ! Mais, tu sais… Je me demandais si à tout hasard… Tu ne serais pas enceinte ? »

Spoiler:

Servant ce qu’il voulait entendre sur un plateau d’argent, Fleur Cendrée était aux anges dans ces moments-là. Elle profitait au maximum de ce que la vie avait à lui offrir, de ce que Toucan pouvait lui offrir. Elle qui n’avait aspiré qu’à vivre une vie de Guerrière bien rangée toute sa vie, sans jamais un écart, commettait le plus gros de sa vie avec ce solitaire. Étonnamment, elle ne se sentait coupable de rien, légère de cet amour, son beau lui donnant des ailes, elle ne voyait aucune trahison à venir le retrouver. Tant qu’il s’agissait de lui, rien n’était grave, rien ne valait plus à ses yeux que ce drôle de petit matou. Un sourire bien heureux et bien sincère ancré bêtement sur le visage, elle profitait, sous une ridicule chute de flocons de neige de sa présence, de la chaleur de son corps, de ses gestes. Sa présence simple et pure la faisait se sentir incroyablement importante et incroyablement bien. C’est ce que beaucoup devaient appeler amour. Elle en était éperdument certaine, elle l’aimait. Elle l’aimait, lui, solitaire et elle était aimée, que demander de plus ?

« Je suis toujours heureux de te voir ma belle, toujours. Mais tu es sûre que ton Clan ne remarquera rien ? Peut-être que c’est juste ta fourrure d’hiver, et que le froid engourdi tes mouvements, mais… J’ai comme l’impression que ton ventre s’arrondit depuis quelque temps, et que tu as plus de mal à te déplacer. Tu es toujours aussi magnifique hein, ce n’est pas ça que je veux dire ! Mais, tu sais… Je me demandais si à tout hasard… Tu ne serais pas enceinte ? »

La voix de son cher et tendre sonnant harmonieusement à ses oreilles, elle fut incapable de retenir un regard vers son propre corps. C’est vrai que depuis quelque temps, elle avait pris du poids. Pourtant, elle n’avait pas conscience d’attendre des petits. Est-ce que leur amour allait vraiment donner naissance à une portée de rejetons ? Pendant quelques secondes, les yeux de Fleur Cendrée s’éclairèrent de mille et unes poussières d’étoiles, elle qui s’occupait de ses petits et leur père, Toucan, qui se chargeait de les protéger, de les garder à l’œil. Une bien belle famille, mais une famille qui risquerait beaucoup à naître avec une seule patte dans les Clans. Un peu gênée de ne savoir trop quoi répondre à son compagnon, elle cherche au fond de son crâne quelques mots à lui souffler, comme pour se donner un peu de force, elle inspire profondément, emplissant ses poumons d’un air frais, presque glacé, puis elle miaule sans trouver son regard :

« Tu crois que ? Tu penses que ce serait possible ? Je… Comment ferons-nous si c’est le cas ? Comment vivre… Comment ? Toucan, promets-moi de ne jamais m’abandonner, qu’importent les choix qu’on ferait, que je pourrais faire… J'ai tellement besoin de toi, de ta présence, de ton soutien... »