Acide Citrique et Phéromones | prio Fauve - end

Petit Fauve continuait ses jérémiades infantiles - ok, ok, j'avais pas été tendre avec le kiddo, je concède - et me sortait le grand jeu : menaces terribles, regard noir, crocs sortis et griffes tirées. Il rendrait fier son père, si ce dernier daignait s'occuper de sa portée. C'est pas bon des petiots délaissés, ça tourne mal bien trop vite.

Heureusement, il a de la chance.
Je suis là pour veiller sur lui.

Puis, le masque se fissura. Torrents de larme, morve enfantine, laideur des traits, Petit Fauve pleurait. Je me demande parfois ce qu'il leur passe par la tête à tous, moi y compris, tous ces petits à peine sortis du nid ; pourquoi se tendre le cœur jusqu'à la déchirure, s'ouvrir le corps sur des épines de rose, souffrir mille morts dans un silence résigné ; pourquoi les larmes brûlaient-elles tant quand j'étais jeune, et pourquoi suis-je maintenant bien moins sensible à ces pleurnicheries ? Je repense à Dernière Danse, ma sœur, mon sang : Esprit Lent n'a pas tort, comme d'habitude, nos déchirements sont vains, nous ne sommes pas des foutus hymens.

Compassion gantée de sécheresse, je m'approche du petit corps et lui tapote l'épaule de ma queue, posant ma tête sur le sommet de son crâne. Ronronnement au fond de la gorge, le corps exprime mieux ma tendresse que ma langue nouée.

Le guérisseur grisâtre finit par s'approcher du rejeton pleurnichard, lui accordant un peu de sa tendresse. Si le chaton tigré gémit d'abord de rage, refusant qu'on l'approche, il se calma rapidement lorsqu'il réalisa qu'il avait besoin de ce moment privilégié avec l'adulte. En dehors de sa mère, Petit Fauve ne partageait jamais de moment de tendresse. Entre son géniteur qui l'ignorait et son caractère détestable, aucun autre adulte ne voulait de toute façon apaiser le fauve. Mais ainsi calé sous la tête d'Esprit Soucieux, le chaton noir se laissait aller à d'autres pleurs enfantins. Il profita un petit moment du ronronnement reposant du matou couturé de cicatrices avant de se mouvoir, signe que le câlin prenait fin. Cependant, il s'osa à demander :

« Dis, Esprit Soucieux, pourquoi y'a que toi et maman qui se font du souci pour moi ? Pourquoi tout le monde s'en fout que je sois prince ? »

Son imagination se mit alors en route. Le Clan des Étoiles avait prévu de faire de Petit Fauve un grand héro, et tout le monde était au courant sauf lui. Et Petit Scorpion, bah c'est juste qu'un gros jaloux ! songea-t-il. Alors, le reste du Clan devait le traiter encore plus durement parce qu'il allait les sauver tous et qu'il devrait être prêt et alors Esprit Soucieux, comme il était un envoyé du Clan des Étoiles qui devait veiller sur lui, il aidait Douce Ancolie à s'occuper de lui.

« Si je suis un grand héro envoyé par le Clan des Étoiles, tu peux me le dire, hein. Promis promis promis, je garderai le secret ! » s'écria-t-il après son moment de réflexion, de nouveau excité à l'idée que ces dires soient vrais.

Le guérisseur aux multiples cicatrices observa un instant le petit prince, qui s'agitait déjà à l'idée d'être un envoyé du Clan des Étoiles lui-même. Le museau de l'adulte vint balayer affectueusement l'oreille du petit mâle tigré, laquelle plia un instant avant de reprendre sa forme initiale lorsqu'Esprit Soucieux se retira. Le matou gris répondit alors :

« C'est plus compliqué que ça kiddo, mais donne du temps aux autres, et à toi. Et top secret pour les Étoiles, faut que tu grandisses pour leur montrer que tu vas être un putain d'héros ! »

L'adulte sourit largement au plus jeune, lequel oublia bien vite le conseil de vie du guérisseur pour ne retenir que la partie concernant sa destinée exceptionnelle. Le petit mâle noir tigré se mit à bondir sur place en piaillant : « Je savais ! Je savais que j'étais un put... euh, un héros ! J'suis un héros des Étoiles ! »

Le petit être au duvet sombre se mit à galoper dans la tanière du guérisseur, écrasant par maladresse une ou deux plantes sans pour autant les endommager gravement, continuant de crier à quiconque voulait bien l'entendre qu'il allait devenir chef et gagner toutes les guerres contre les autres Clans, puis il finit par sortir de l'antre en accordant une dernière parole à son protecteur.

« Tu vas voir Esprit Soucieux comment je vais péter la gueule des autres et même que Petit Scorpion il sera jalouuuux ! »

Il avait vite oublié les plaies superficielles qui couvrait son palais et sa langue pour s'élancer en direction de la pouponnière, non sans prétention, fier de pouvoir rapporter à ses camarades qu'encore une fois, il les dominerait toujours dans la vie et que c'était le guérisseur lui-même qui lui avait dit et qu'il s'agissait d'une information top secrète des Étoiles -qu'il brayait dans le Camp sans aucune gêne d'ailleurs.

HRP: