Nouveau jour - [Clan] - end

Deux jours. Seulement deux petits jours. Deux jours, mais un grand vide en moi. Deux jours que j'ai passé dans le silence le plus total. Le bruit, les conversations autour de moi ne sont que des bourdonnements. J'ai vu l'inquiétude dans les yeux de ma douce Beille, je m'en veux de l'inquiéter mais je ne peux pas faire autrement, il en est de même avec Petit Lynx. J'étais là-bas. J'ai vu le rouge du sang couler sur les rochers du soleil. Le sang de Père, le sang d'un Chef. Et ça l'a tué. Il m'a protégé, m'a éloigné du combat, comme tout père le ferait pour son chaton. Ce n'est pas souvent que j'ai ressenti ce lien qui nous unissait. L'une de ses dernières actions a été de me protéger, moi, si inutile et si faible. Et il en est mort.

Je soupire, cette nuit a été aussi très dure, je sais que Maman a essayé de m'endormir. J'ai pourtant 6 Lunes passées, mais ça m'a fait du bien. Ce n'est qu'à l'aurore que mes yeux se sont fermés. Je me suis réveillé d'un sommeil plus qu'agité à cause du bruit ambiant. Il n'y a plus personne dans la Pouponnière. Je sors à reculons pour voir foule. Ça doit être l'heure du partage. Je suis prêt a rentrer dans la Pouponnière quand Maman me rattrape, me lèche rapidement et m'emmène rapidement près de ma sœur. Intrigué, je me demande ce qui se passe, mais rien ne filtre. Puis je remarque notre nouveau Chef sur le Promontoire. Je frisonne, peu habitué à voir sa silhouette imposante à la place de celle bien plus fine et sombre de Père. Quand sa voix se fait entendre je remarque aussitôt la différence. Ce n'est plus Etoile du Corbeau. Une nouvelle scène se dessine avec de nouveaux acteurs. Et j'en fais partie.

Mes yeux un peu ternes essayent de trouver ce que regarde notre meneur, histoire de comprendre en quoi c'est si important pour que Maman m'oblige à rester ici. Ah, ses paroles me disent tout. Un baptême ou plusieurs. Qui? Beille et moi sommes en âge. Lynx et son frère également si je me souviens bien. Mais le premier nom éclate dans le silence du Camp. Nuage d'Ecailles, ou plutôt Ecaille d'Or. Elle est celle qui m'a parlé à la mort de Père. C'est Lynx qui me l'a confirmé. Dans l'état où j'étais, et dans lequel je suis en partie resté, je n'ai pas ancré ce souvenir. Juste un frêle moment, une voix douce. Enfin bon. Une nouvelle Guerrière c'est bien. Je n'arrive pas à clamer son nom. Je n'aurais pas cette joie qui convient à cet événement. Je la féliciterai un autre jour. Peut-être. Elle a été l'Apprentie de notre nouveau Chef. Puis je sursaute.

Le nom de ma sœur vient d'être appelé. Mes yeux s'écarquillent. C'est aujourd'hui? Je n'étais pas au courant. Elle sera sous la tutelle d'Ombre du Hibou, notre grand cousin, grand-frère de Lynx d'ailleurs. Il est correct je crois. J'espère que Beille ira bien. Je ne pourrais plus rien faire. J'ai scellé mon avenir il y a quelques jours de cela. Lui en ai-je au moins parlé? Je n'en suis même plus sûr. À Lynx oui, mais Beille? Je m'excuserai. Je prends sur moi de prononcer son nom. Je suis heureux, heureux de son avancée, de son nouveau nom. Nuage d'Abeille. Cela lui va bien.

Puis vient le tour de Nuage de Pluie. Il me semble me souvenir qu'il a eu un accident lors de son entraînement. La voix du Chef confirme ce fait. Il est donc confié à un autre mentor, rien d'autre que notre Lieutenante. Puis vient mon nom. Nos regards se croisent et je choisis de m'avancer. Doucement, lentement. Certains me regardent curieusement, ce n'est pas la démarche habituelle. Certains ricanent en prétendant que notre chef va juste m'envoyer avec les Anciens et les blessés. Mais je m'en fiche, moi je sais, je sais pourquoi. Maman me regarde bizarrement. Mince, à elle non plus je n'en ai pas parlé. Tant pis, ce qui est fait, enfin dans ce cas ce qui n'est pas fait, est fait, je ne peux revenir en arrière.

Le regard du mâle bleuté se pose sur moi. Il dit des choses que je sais déjà. Que mon chemin est différent. Mais maintenant? Coeur de Neige n'est plus. Comment vais-je apprendre? Je le regarde toujours. Les Ancêtres auront-ils une réponse pour moi? Une nouvelle lueur nait dans mon regard. Oui, mon chemin ne sera pas facile, en aucune façon. Oui, je devrais toujours faire de mon mieux, apprendre comme je peux. Pour le bien du Clan, il le faut. Un poids se pose sur mes épaules, mais je m'en fiche. Pour que personne ne meurt comme Père, j'apprendrai. Je deviendrai le meilleur Guérisseur de la Forêt et personne ne souffrira de nouveau.

Je soutiens le regard de l'imposant matou lorsqu'il désigne la Guerrière nouvellement nommée pour m'accompagner demain, jour de demi-lune. Je ne sais pas comment je serais accueilli, mais tant pis. Les Étoiles guideront mes pas, jusqu'à la fin. Je me redresse lentement. Oui, je deviens un élément indispensable du Clan, quelque chose qui n'aurait su être envisagé pendant mon enfance. Beaucoup se moquait de mon manque de force, de ma faiblesse, de mon avenir sombre. Mais maintenant, je suis différent. J'ai la responsabilité d'un point vital de notre vie et je ferais tout pour m'acquitter de ma tâche. Je hoche la tête et sans écouter la foule, sans savoir s'il m'entendra je prends la parole pour la première fois depuis un long moment.

“Oui, je serais à la hauteur”

Je ne sais même pas si je m'adresse à lui où à Père. Qu'en aurait-il pensé? Aurait-il été fier que je prenne une place importante? Que je suive une voix qui me permettrait d'être meilleur que dans le rôle de Guerrier? Ou au contraire déçu que je confirme ce qui se disait? Que je suis faible et indigne de l'héritage de Père? Que j'aurais dû poursuivre sa quête et viser la place de chef. Mais ce n'est pas mon destin, je ne suis pas fait pour ça. Je dois tracer un chemin qui me sera propre. Un chemin bien solitaire au final. Une voix qui m'éloigne des autres.

Papillon Blanc se morfondait. Certains matins, les malheurs du monde entier semblaient peser sur ses épaules, et elle ne disait pas un mot de la journée, à moins qu'on ne lui adresse la parole. Elle n'avait pas l'énergie nécessaire pour combattre sa timidité, et elle souffrait des événements tristes qui arrivaient ces derniers temps. L'état des enfants d'Etoile du Corbeau l'affectait sans qu'elle se sente le droit d'aller les consoler, et voir Nuage de Pluie lui lancer des regards neutres la blessaient chaque fois un peu plus. Il y avait de petits craquements de douleur dans sa tête, elle réfléchissait trop, toujours trop, quand elle était seule avec elle-même.

« Clan de la Rivière. »

L'appel la sortit de ses pensées, et elle se dirigea vers lui, y voyant son salut, le moyen d'échapper au moins quelques minutes à ses propres démons.

« Les temps sont durs, mais nous ne devons pas nous laisser abattre. Les Rochers du Soleil nous ont été repris, mais ce n'est qu'une question de temps avant que le Clan du Tonnerre ne vienne nous les rendre en rampant. »

C'était une thématique à laquelle Papillon Blanc réussissait la plupart du temps à échapper. Elle n'aimait pas se rendre sur ces terres, mais elle souffrait tout autant que ses compatriotes de la perte de leur territoire et de la peur qu'avait provoquée cette attaque.

« Pour se faire, il est grand temps de nommer de nouveaux guerriers et apprentis. »

Soudain enthousiaste, la femelle blanche s'accrochait à cette annonce comme à une étoile filante. Une bonne nouvelle, enfin par nos Ancêtres ! Ses yeux bleus perçaient la fourrure des nouveaux nommés, vibrant de fierté pour ces presque-inconnus, se nourrissant de leurs sourires et de leurs yeux brillants comme d'autant de gouttes de pluie après une sécheresse trop longue.

« Nuage de Pluie ... »

Le sourire de Papillon Blanc se figea, se transformant en monstrueux rictus.

« ... puisque tu sembles de nouveau sur pied et apte à reprendre un entrainement, Aigue Marine s'occupera de toi jusqu'à ce que tu reçoives ton nom de guerrier. »

Elle n'arrivait pas à crier. Elle fuyait le regard de son apprenti, observait les félins autour d'elle d'un air perdu. Oui, bien sûr, ça devait arriver, mais non ... C'est mon apprenti ! Tout ça s'est déjà passé, c'est trop étrange, ça sonne faux ... Papillon Blanc était figée au milieu de la foule enthousiaste. Un renouveau pour le petit qui avait échappé de justesse à une mort certaine ! La suite l'importait peu, elle ne comprenait pas réellement ce dont il retournait. Elle respirait mal, elle étouffait, et elle murmura un misérable :

« Pa- ... pardon ... »

La blanche n'était pas sûre que le félin à côté d'elle avait entendu sa supplication, à cause des chats qui criaient à côté d'elle, et elle se contenta de lever son visage perdu et ses yeux humides vers le ciel, priant pour que tout s'arrête vite.