Tout est une question d'attitude et d'assurance [PV Rusty] - end

— « Heeeeu…. Bonjour.

Rusty eut un sursaut du dos, pointant ses oreilles, redressant sa queue haute sur sa croupe avant de tourner d'yeux ronds comme des soucoupes vers cet autre chat qui l'avait hélé. La stupeur initiale dans son visage fondit à l'apparition de son superbe sourire:

— « Bonjour!

Il ignorait que d'autres chats étaient du coin! Peut-être qu'elle appartenait à l'Humain qui conduisait la semi-remorque qui l'avait apporté ici!

Aujourd'hui, en ville, il avait déduit que les fruits, les légumes, la viande et les autres produits du marché ne poussaient pas dans le marché - plutôt on fournissait le marché, et la marchandise était transportée par voiture de livraison - et les voitures de livraison plus larges, capables de transporter des masses, s'appelaient des camions.

C'est dans un camion qu'il avait voyagé aujourd'hui, bifurquant de son trajet de promenade habituel en passant près du marché. Il était allé rencontrer le conducteur en lui fonçant le front dans une jambe, l'Humain lui avait tapoté la tête (Rusty prit bonne note de la corne à ses doigts), et il lui avait fait signe de grimper dans son camion, pour aller faire un petit tour à la ferme où il devait s'approvisionner.

Rusty était entré sans réfléchir, répondant à la demande, car le Père lui avait appris à monter dans une voiture d'un bond et à se coucher sur le siège une fois en mouvement. Il s'en rappelait : le ronron de la voiture (ou du camion) l’assommait d'un sentiment de familiarité qui le tenait docile. Il ne se rendit compte de leur trajet qu'à l'arrêt du véhicule, où le conducteur ouvrit la porte (l'air frais lui frisa les moustaches) et sortit, faisant signe à Rusty d'en faire de même.

Ses petites pattes touchèrent l'asphalte de l'autoroute et il s'étira, avant de se hasarder vers des petits arbustes qui clôturait la lande. Il les contourna sans les quitter des yeux, avec l'admiration qu'ont les bipèdes devant leur propre maison (ou l'admiration qu'avait le Père devant la sienne?).

Il dut se reculer encore pour pouvoir les admirer comme il se devait. Rien à voir avec les paysages des jardins de son quartier, les branches folles ici semblaient pousser comme bon leur semblait sans la limite du moindre bac - et sans les murs du voisinage pour le protéger du vent, le courant d'une brise faisait brinquebaler son poil et ses oreilles.

Se faire accueillir par une chatte du coin lui avait redonné son entrain - et il se dit que cette-dernière était sans doute venue admirer les arbustes aussi.

— Désolée, mais tu n’es pas autorisé à fouler ce territoire. Il appartient au Clan du Vent. Aussi, je te prierais de faire demi-tour.

Interdit, Rusty pivota une oreille vers l'arrière. Il marqua un temps d'arrêt pour se situer, en levant l'une de ses pattes, jetant un œil au dessous, confus, mais un peu déçu, aussi.

— D-d'accord--? ... »

Il fit demi-tour, oui, mais pour tourner le dos aux arbustes et s'éloigner d'eux, levant hautes ses pattes en s'enfonçant un peu plus dans la lande, tout en interrogeant la chatte tri-colore des yeux en s'assurant qu'il faisait bien.

— « Comme ça?

« STOP ! »

Rusty s'immobilisa complètement, et le ton employé lui fit baisser la tête en croyant se faire réprimander. Même sa queue, qu'il tenait d'ordinaire si haute pour plaire aux hommes, tombait derrière.

— « Tu ne peux pas aller par là ! Tu vas faire fuir le gibier !

Mais... il n'avait fait que ce qu'elle lui avait demandé ?...

— En plus, tu risques de tomber sur une patrouille qui va te faire beaucoup de mal ! Et si tu t’obstines à vouloir aller plus loin, je serais obligée d’utiliser la matière forte !
— Je vous en prie!    supplia enfin Rusty en s'aplatissant au sol, entre les brins d'herbe.  Inutile de parler encore plus fort, je vous assure, je vous entends très bien ! »

Ils durent s'entendre car la chatte se rapprochait à pas aisés, nullement dérangée par la longueur des herbes de la lande, ou par le vent qui déferlait sur leur pelage respectif. Rusty eut de réflexe de fouetter l'air de sa queue, toujours aplati, mais leva bien sûr sa tête pour regarder son interlocutrice qui était arrivée près de lui. Dans les yeux - mais il eut tôt fait de les abaisser en se donnant l'impression de faire de l'insubordination.

— « Je te raccompagne à la frontière, suis-moi.
— Je ne comprends pas, je croyais avoir fait demi-t-- quelque chose lui tapota l'épaule et aussitôt il se mit en chasse, sa vision s'évanouissant derrière une scène d'entraînement de Target-Practice avec le Père. Il s'était redressé du haut de ses quatre pattes d'un rebond et suivait la queue de la calico d'une démarche allongée, les pupilles dilatées dans ses yeux avalant toute trace de réflexion.

— Pressons le pas, s’il te plaît, je n’aimerais pas croiser une patrouille. »

Et alors qu'il s'apprêtait à atteindre le point du petit bout de son nez noir, la cible alla à sa dérobée au moment où la chatte tricolore changea d'allure. Rusty fit donc de même, le trot serré, aveugle à la menace.

Toujours en transe:

— « ...Qu'est-ce qu'une "patrouille" ?...

Il se pressa dans son rassemblement pour étirer le cou et aller toucher la queue de la chatte du coin de son nez, récompensant son effort de son propre claquement de langue.

La chatte du coin récompensa son effort en répondant à sa question, quoique Rusty ne se rappelait pas de l'avoir posée:

— Une patrouille est un groupe composée de deux à quatre chats chargés de ramener du gibier ou bien de surveiller les frontières de notre territoire.

Il y avait tellement de mots.

Patrouilles, Groupes, Composé, un Nombre de Chats, un Devoir ("ils étaient chargés"), Surveiller, Frontières, et Territoire. Il tentait d'y mettre un sens. Il comprenait territoire, mais Frontière était flou, Devoir et Surveiller ça allait -- mais combien de chats pouvait-il y avoir dans ce foyer? Rusty ne dit mot, craignant l'interrompre, levant hautes ses oreilles triangulaires sur sa tête pour se faire le plus attentif possible.

— Mais les patrouilles envoyées sur les plateaux, l’endroit où nous sommes, sont toujours composées d’un ou deux chats en plus.

Il y avait donc près de six chats qui surveillaient leur territoire, ces plateaux? Sans le savoir, Rusty avait un peu levé la tête dans les airs, s'amusant à penser des nombres et à les compter. La chatte du coin lui dépeignait là un bien étrange foyer!

— Nous sommes souvent victimes des blaireaux et des oiseaux de proie, elles doivent donc être extrêmement vigilantes et parées pour riposter en cas d’attaque… Ou d’intrusion. Dépêchons, elle n’est plus très loin.

« Oh- » et elle s'était mise à courir. Rusty donna un coup de croupe en se calquant à son allure, étirant bien les pattes à sa foulée pour tenter de suivre la chatte du coin. C'est qu'elle courait vite! Et à petits bonds, tout deux s'éloignaient du bosquet d'arbustes ceinturant la délimitation de la frontière pour atteindre le dégagé de l'autoroute - ou au moins tout près, dans une dépression du sol bien entendue foisonnant d'herbes hautes en épis.

Rusty descendit la dépression avant de s'arrêter en constatant que la chatte du coin s'était immobilisée derrière. Il se pivota à demi pour se tourner vers elle, mais l'herbe lui arrivait aux coudes, et sa position dans la pente le forçait à lever la tête pour tenir le contact.

— « Maintenant que tu es en sécurité, dis-moi ce que tu fais ici ?
— J'accompagnais un Humain dans sa voiture! Il s'est arrêté tout près, je suis sorti, et j'ai vu votre par-terre-- (il s'interrompit et secoua doucement sa tête) vos plateaux, pardon.    Je me suis suis dit qu'à leur grandeur, je devais voir la maison!

Il abaissa ses oreilles.

— ...Je ne voulais pas vous importuner, vous ou les cinq à six chats de la patrouille. Loin de moi l'envie de nuire au devoir de quelqu'un...

Il comprenait. Lui, son devoir, c'était de rentrer chez lui, avant la tombée du soleil, pour accueillir le Père qui revenait de ses dures journées (elles devaient l'être, vu comment il se laissait lourdement tomber dans son fauteuil, chaque soir).

--Minute.

Ses moustaches eurent un sursaut comme il entrouvrait sa bouche au déclic:

— --Avez-vous dit "en sécurité"? Et ses grands yeux parurent s’agrandir plus grands encore, faisant se mouvoir sa queue nerveusement derrière lui.

Vous voulez dire que j'étais en danger??

Que sa question ne suscite un sourire aussi calme à son interlocutrice fit se raidir le poil de son dos, révélant la pâleur tiquetée de sa robe propre aux abyssins. La chatte du coin descendit un peu la pente pour poser sa patte sur son épaule et Rusty sentit son souffle se verser hors de sa bouche (elle s'était entrouverte, béat de stupeur).

— « Oui, tu as eût de la chance d'être tombé sur moi. La patrouille t'aurais affligé des blessures, tu te serais peut-être vidé de ton sang avant d'avoir pu rejoindre ton nid.

Ses pattes se ramollirent, son poids retomba dans ses postérieurs comme il s'assied dessus, peinant à tenir debout. " Tu te serais peut-être vidé de ton sang ", ces mots à la connotation violente avaient été dits avec cet air de rien qui expliquait les faits comme s'ils étaient, avec une fatalité qui lui donna véritablement froid dans le dos.

— « --...
— Notre chef nous a donné pour ordre d'attaquer sauvagement tous chats s'aventurant sur notre territoire, mais je ne suis pas friande de ce genre de technique. Si je peux éviter une effusion de sang, je le fais.
— ... Nid? Chef?... Sauvagement?... Effusion de sang...??

Il maugréait, sa queue se rangea contre lui en s'agitant au bout et il se serra le plus en boule possible en rassemblant ses pattes contre lui, les yeux tournés vers celle qui avait été posée sur son épaule. Sa vision s'était embrouillée de larmes.

— « Sauras-tu retrouver le chemin jusqu'à ton nid ou tu as besoin que je t'accompagne ?

Les oreilles à plat de chaque côté de sa tête, la mine joyeuse de l'abyssin s'était déconfite de chagrin.

— N-non, je ne sais pas par où aller! Mais je ne peux pas vous demander de m'aider davantage, sinon c'est vous qui aurez des ennuis... »

Il s'était immobilisé, paralysé par le choc, accroupi dans les herbes hautes de la pente qui séparait les arbrisseaux de la frontière du Vent de l'asphalte dégagée de l'autoroute. Ses pensées jouaient en boucle le scénario qu'avait dépeint la chatte du coin avec sa mine de rien : vidé de son sang. On l'aurait vidé de son sang sans même lui dire bonjour, sans même lui dire merci, sans même rien lui dire. Vidé de son sang.

— « ...    * _hic *

— « Est-ce que tu pleures ? demande-t-on, au chat qui pleure.

Ce-dernier leva ses yeux brillants vers la chatte du coin, échappant quelques larmes qui roulèrent sur ses joues, tombant sans le son, faisant ployer les brins d'herbe dessous.

Il voulut répondre

— -- * _hic * »    mais sa langue s'était nouée et tout le haut de son corps fut pris d'un autre sanglot.

Son chagrin ne devait pas plaire à la chatte du coin, qui venait de soupirer. Elle couchait ses oreilles, regardait ailleurs, elle réfléchissait à la situation et avait entre les pattes rien que ce petit abyssin qui tenait sa tête basse, les pupilles frémissantes, en repensant au danger qu'il avait évité de peu. Quelle chance d'être tombé sur cette chatte bien sûr! Mais il ne pouvait s'enlever de la tête toutes ces images vives de ces chats sans traits faciaux, sertis de dents même au delà de leurs gueules, qui se jetaient sur lui pour le réduire en charpie.

— « Je ne voulais pas te faire pleurer, voyons !
Les mâchoires serrées, tentant un sourire cordial au travers de ses hoquets:
— « J-che chuis * _hic * déjolé...! »

Quel malotru il faisait - bien sûr qu'il pleurait lorsqu'elle n'avait pas voulu qu'il le fasse! Quel incapable.

— « Je voulais juste te faire comprendre pourquoi tu ne dois pas mettre les pattes ici.

Il ne dit rien.

— Nous sommes un clan de chats sauvages. Pour nous, la moindre intrusion peut-être prise comme une attaque ennemie. On ne connait pas les intentions des chats qui viennent ici, donc dans le doute, on chasse tout intrus.
— ... * _hic * »

Intrus. Il était un malotru intrus, de surcroît. Il faisait honte à son Humain qui l'avait si dilligemment entraîné. Il devait faire honte à Rusty, le premier, le Rusty avant lui, nettement plus obéissant - et jamais intrus d'où que ce fut. Le coup de patte le sortit de sa torpeur en faisant sursauter Rusty si haut qu'il se décala de la chatte du coin, les yeux ronds comme son dos.

— « --MMRI !!!
— Allez, viens, je te raccompagne jusque chez toi.

Rusty se sentit se rabaisser, lui comme son poil. Au moins les sanglots s'étaient tus.

—    Mrrf....
— Sais-tu par où tu es venu ? Où tu vis ?

S'étant radoucie, la chatte du coin lui fit beaucoup moins peur, mais l'embarras de l'importuner dans son devoir auprès de son Clan de Chats Sauvages lui fit toutefois hésiter quant à accepter son offre de le raccompagner jusqu'à la ville. La Ville...

Rusty s'essuya le nez et les yeux du revers de la patte, pour la lécher un peu, aplatir son poil manuellement de quelques coups de langue.

— « Je ne sais plus de quelle direction je viens, mais... Savez-vous par où se trouve la Ville?...

--Minute.

— « --Ou bien, avez-vous vu un camion passer près d'ici?   Une voiture géante!

Peut-être qu'il pourrait retrouver le camionneur et que le camionneur pourrait le ramener à la maison!