LP | Premiers pas - end

Baillant à s’en décrocher la mâchoire, il fallut quelques longues minutes à Patte Venteuse pour réaliser qu’elle s’était réveillée. Étirant de façon grotesque les muscles de ses pattes encore trop petite, elle ouvrit les yeux sur un monde qui lui était encore nouveau.
La pouponnière lui paraissait encore énorme! Et la petite entrée de lumière là-bas… elle ne l’avait encore jamais dépassée.
Marcher était encore une sacrée épreuve, et ce même malgré le fait que ses yeux se soient ouverts. Encore d’un bleu-gris de chaton, ils ne tarderaient pas à changer petit à petit, pour révéler d’ici les prochaines semaines qu’ils prendraient des nuances différentes.
La tête de Patte Venteuse se tourna à droite, puis à gauche, puis en haut, observant le monde gigantesque qui l’entourait. La feuille au dessus de sa tête l’effraya, ainsi, elle feula comme un chaton l’aurait fait; dans un petit cri aigu bien trop peu menaçant. Mais la feuille ne l’écouta pas et resta bien en place. Voyant qu’elle ne semblait pas menaçante, elle finit par l’ignorer, boudeuse. Elle aurait pourtant du lui faire peur.

Vexée, Patte Venteuse se dressa sur ses pattes et se dirigea vers la sortie de la pouponnière, là où la lumière se faisait plus forte quand il ne faisait pas nuit. Mais avant même d’y parvenir, elle réalisa une chose étonnante: dressée sur ses quatre pattes, Patte Venteuse marchait. Comme les grands!! Alors elle leva une patte, puis l’autre, et finalement, étant consciente de sa nouvelle réussite, elle s’emmêla les pinceaux pour faire pire que mieux et de tomber à la renverse.
Aïe.

Patte Venteuse n’abandonna pas. Elle était si bien partie! Elle atteindrait la lumière coute-que-coute. Regardant derrière elle, elle réalisa qu’elle était déjà bien loin. Quelle fierté!
En réalité, elle n’avait même pas dépassé une longueur de queue pour un adulte. Mais vu d’en bas, c’était sacrément loin! Il y avait de quoi être fier!

Quand soudain, face à elle: une boule de mousse! En guise de défense face à ce petit ballotin emporté par le vent, elle gonfla son duvet de chaton, la queue en « u », les oreilles plaquées sur son crâne. Sans doute un ennemi, un méchant! Elle ne se laisserait pas faire!
Prudente mais curieuse, elle s’en approcha à tâtons, manquant de trébucher plusieurs fois. Et d’un coup, quand la boule de mousse se stabilisa, elle « bondit » sur cette dernière!

- Je l’ai eue! fit-elle tout en observant son père - où son oncle? ils se ressemblaient tant elle ne faisait pas encore la différence - je l’ai eue papa regarde! J’ai- j’ai sauvé le Clan!



Toute fière, elle essaya de tirer la boule vers elle, pour l’amener à l’extérieur la montrer à son papa. Mais elle était trop grande pour Patte Venteuse, et elle, encore trop maladroite. Alors elle roula avec elle, tombant sur les fesses. Essayant de se redresser, elle lâcha la boule de mousse quand soudain, une lourde brise vint s’abattre sur le camp. C’était la première fois que Patte Venteuse faisait face au vent, et, tombant à la renverse face à cette force inconnue et inattendue, elle poussa un cri.

- C'est incroyaaaaaaaaaable ! s'exclama son père d'un air presque stupide qu'elle ne saisissait pas encore. Une telle réaction arracha à Patte Venteuse une inspiration de fierté, faisant gonfler son poitrail. Décidément, c'était elle la plus forte du monde!
Bien trop flattée par le compliment, elle en oublia de regarder ce que faisait son père. Crocs Nacré se déplaçait dans un petit coin de la pouponnière pour y retrouver quelques vieilles boules de mousse séchées.
Tout de même, ça avait été une sacrée frayeur, ces boules de mousse! Qui sait de quoi elles étaient capables? Par chance, Patte Venteuse les avait arrêté. Elle avait prit son courage à deux pattes et-

- Mais... Elle n'est pas toute seule ! Il y a toute une invasion !

- HIIIIIIIIIIIIII!!! s'écria Patte Venteuse, toute paniquée.

En l'espace de quelques secondes après avoir vu les boules de mousse, Patte Venteuse tenta de détaler comme un lièvre. Mais elle était encore trop jeune et en conséquence, bien trop maladroite. Au lieu de repartir en courant dans la direction opposée à celle de la mousse, elle se ramassa sur elle même, se claquant la mâchoire contre le sol terreux.

- Aïe!

Mais pourtant, il fallait les arrêter!! Papa l'avait dit, et elle voulait le rendre terriblement fier. Déjà que maman était... trop peu présente... elle ne voulait surement pas perdre Crocs Nacrés.
Le poil dressé tout le long de son échine, elle cracha contre les boules de mousse. Patte Venteuse espérait leur faire peur, en vain. Elles continuaient d'avancer. Mince!
Feulant de peur, elle recula avant de trébucher en marchant sur sa propre queue. Les fesses par terre, elle ne trouva rien d'autre que de donner des coups de pattes dans l'air, ses petites griffes sorties, montrant les crocs. Et soudain, les boules s'arrêtèrent.
Patte Venteuse n'y était absolument pour rien, mais elle ne pouvait s'empêcher de croire que c'était grâce à elle si elles s'étaient stoppées.

- J'ai réussi papa! J'ai réi- réussi!!

- T'es trop forte ! s'exclama son père d'une voix aiguë.

Ce ton exagéré ne perturba absolument pas Patte Venteuse. Bien au contraire, d'ailleurs: elle en était si fière qu'elle redressa le menton, gonflant son poitrail maladroitement pour se mettre en valeur. La plus forte, c'était elle, et si Crocs Nacrés, son père l'avait dit, c'était forcément vrai.
Mais on vint la perturber alors, une patte à priori étrangère venant l'interpeller derrière elle. Alors elle se retourna, mais rien.

Tiens?
La patte recommença encore, et à chaque fois, elle se retournait. Agacée, elle finit par exclamer un Eh!! de frustration, fronçant les sourcils et plissant les paupières.
Puis, alors qu'elle s'apprêtait à se plaindre auprès de son père, son air bien trop innocent lui sembla suspicieux. Observant une dernière fois les alentours, Patte Venteuse en vient à la conclusion qu'il n'y avait personne d'autres autour d'eux. Elle gratta le sol pour voir si un gros insecte s'y cachait, potentiel responsable, en vain. Elle inspira bruyamment et exagérément comme si cela lui permettrait de mieux sentir une odeur, mais rien.

- C'était toi! s'écria Patte Venteuse en bondissant sur Crocs Nacrés. Vengeance!!

Elle s'attaqua à sa queue, roulant sur le dos pour la saisir entre ses pattes avant et battre à coup de pattes postérieures, toutes griffes sorties, sans réaliser qu'elle pouvait faire mal ou non.

Patte Venteuse était totalement prise dans l'action de son jeu improvisé. Peut-être trop, d'ailleurs. Elle ne contrôlait pas sa force, ni ses mouvements, et avait pour seul objectif de se déchainer le plus possible comme les vrais guerriers, d'après ce qu'elle imaginait. Évidemment, en réalité, c'était loin d'être le cas et elle se contenter d'idéaliser et de simplifier un peu trop le rôle et le travail des adultes. Pour elle, tout se résumait à se battre, chasser, et c'était particulièrement simple et amusant. Elle avait terriblement hâte de rejoindre les apprentis! Sauf pour les corvées, peut-être... mais il y aurait peut être moyen de s'arranger avec mamie Tâche d'If pour en être dispensé, non? Elle pourrait laisser Patte Lunaire faire le sale boulot à sa place.... ça c'était une bonne idée....

Le jeu prit néanmoins fin, Patte Venteuse ayant dépassé les limites imposées, risquant de blesser si elle continuait sur cette voie. Face à un guerrier, ce n'était pas une grosse affaire. Mais contre d'autres chatons... elle pourrait envoyer quelqu'un chez Nuage Silencieux si elle ne faisait pas attention et touchait un oeil, par exemple.
Son père, Crocs Nacrés, l'attrapa par la peau du coup, et Patte Venteuse lâcha automatiquement prise. La tête baissée, le regard vide et la queue entre les pattes, elle était comme paralysée dans un état second, attendant calmement que son paternel la re-dépose dans l'herbe fraiche du camp du Vent.
Mais tout ne se passa pas comme prévu - ce serait trop facile - et le guerrier tomba à la renverse, sur le côté. La petite atterrit à ses côtés, frôlant l'écrasement mais restant totalement indemne, en sécurité. À vrai dire, elle n'avait même pas imaginé que la situation pouvait être un temps soit peu dangereuse.
Lorsque Crocs Nacrés lâcha prise, Patte Venteuse revint à elle, les paupières papillonnantes pour remettre un point sur la situation, se secouant les puces pour remettre le pelage de son échine plus ou moins droit. Elle ne savait pas encore très bien comment faire sa toilette. Elle se contentait d'imiter les grands... de façon terriblement maladroite.

- Alors ? T'es déjà K.O. ? lui demanda Crocs Nacrés
- Pfffff!! souffla Patte Venteuse d'un air supérieur, qui s'était un peu calmée. N'importe quoi c'est même pas vrai d'abord. C'est juste que je suis gentille et que je t'épargne!! Dis papa Crocs Nacrés, tu m'apprends des techniques de VRAI GUERRIER?

Impatiente, Patte Venteuse trépigna sur place les yeux pétillants. Elle pourrait mettre la pâté à tout les méchants étrangers et à Patte Lunaire!

Patte Venteuse attendait avec impatience. Elle avait si hâte! Un jour, la meilleure guerrière, ce serait elle!! Attendre ses six lunes pour devenir une apprentie lui semblait insurmontable et beaucoup trop loin. Mais qu’est ce qui l’empêchait de demander aux adultes de lui montrer des techniques, au juste? Comme ça, elle serait plus en avance que tout le monde, deviendrait guerrière super tôt, puis lieutenante, puis cheffe! Et elle serait la plus grande cheffe de tout CerfBlanc, et son papa serait très fier!
Enfin, peut être pas la plus grande en taille, non… mais la plus grande quand même!

- Tu demanderas à tonton Guépard de te montrer la balayette, si tu veux ! lui souffla Crocs Nacrés.



Sa fille prit une mine légèrement boudeuse. Elle aurait aimé se plaindre, faire un caprice pour lui faire comprendre que c’était maintenant qu’elle voulait les apprendre, et pas plus tard! Tonton Puissant Guépard n’était pas là pour le moment… Donc il ne pourrait pas lui apprendre tout de suite, comme elle le voulait vraiment. C’était urgent!
Mais son père fut plus rapide qu’elle, et ne lui laissa pas vraiment le temps de s’exprimer.

- Mais bon, les guerriers, déjà, ils courent tous très vite. Toi tu pourrais même pas me rattraper.



À peine eut-il terminé qu’il se mit à courir à une vitesse que Patte Venteuse avait du mal à suivre. Pour un guerrier du Vent, bien sûr, c’était risible. Un chat d’un autre Clan, et même un domestique se seraient moqués de lui. Mais pour elle… c’était une autre affaire.
Marcher était déjà épuisant que c’était trop long, alors courir…



- Eh attend moi! C’est pas juste t’as des pattes plus grande!



Malgré tout, Patte Venteuse se mit à essayer de le suivre. Elle s’essaya à quelques foulées de course, mais au bout de deux trois pas réussis, elle se ramassa sur elle même, tête la première.
Par chance, les chatons étaient souples et légers, et bien qu’elle fut légèrement sonnée, ce n’était plus qu’une petite mésaventure bien loin derrière elle après avoir secoué la tête pour en chasser la poussière.

- Aïe aïe aïe… ponctua-t-elle malgré tout, même si elle n’avait pas mal.

Elle continua dans une marche pseudo-rapide, trottinant maladroitement vers son père. Vexée d’avoir été battue, elle prit une mine boudeuse en s’approchant de lui.
Patte Venteuse était mauvaise perdante et supportait mal la défaite. C’était comme ça chez elle. Alors même si son père était un presque-adulte, déjà guerrier, et elle un petit chaton qui ne faisait qu’un tiers à peine de sa taille, ce n’était tout de même pas juste.



- T’as gagné parce que- parce que je t’ai laissé faire d’abord! Mais quand je serais apprentie, je te battrai et je serais pas si gentille! Tu verras, je te mettrai la pâtée!