Espionne du Jour ▬ Rouge Pivoine. -end

- Ta mère a l'air d'être une guerrière intelligente.

Je ronronne. Bien sûr qu'elle est intelligente, je ne peux pas être la fille de demeurés.

- Pour ma part, je préfèrerai une peste de la rivière. Et toi ?

Je penche la tête sur le côté avec un sourire amusé. Sans surprise, toujours le choix de la loyauté. Je ne comprends pas qu'on défende cette valeur au point d'y perdre son bonheur, voire la vie. Pourtant, ne pas toujours mettre son Clan sur un piédestal permet d'être ouvert aux opportunités, à la différence, à la curiosité ... et les Étoiles seules savent comme je suis curieuse.

Je pose mes yeux sur Patte de Loutre à nouveau. Tous crocs découverts, je réponds :

- Un bel étranger me ferait tourner de l’œil ... Mais qui ne rêve pas de passer sa vie auprès d'une peste de la Rivière ?

Je glousse ensuite, le fixant d'un regard goguenard. Je suis la plus opaque possible sur l'idée que ma réponse soit une blague ou non. Mes yeux dévient et je me surprends à fixer Jolie Abeille, dont nous parlions un peu plus tôt. Elle a un joli visage, une ossature fine ... vraiment une belle féline. Si j'étais un mâle, je n'aurais aucun mal à tomber sous son charme.

- Et toi, de qui rêves-tu, Patte de Loutre ?

Son honnêteté me décontenance mais représente également une mine d'informations anodines que je garde précieusement dans un coin de ma tête. Sait-on jamais que ça puisse servir ...

- Personne ne rôde dans mes nuits malheureusement. Un peu de compagnie ne serait pas de refus ceci dit.

Je soupire, l'air un peu contrit. A cette question, je pourrais répondre différemment selon l'heure de la journée, parce que c'est le désir qui agite le sang dans mes veines, qui me pousse vers les autres, qui me fait avancer dans la vie avec tant d'assurance. Qu'est-ce qui l'anime, lui, à part cette loyauté si fade ? Est-ce qu'une vie sans passion, c'est vraiment vivre, au final ? Je ne le comprends pas, et cela m'agace de voir si peu d'enthousiasme en réponse à mes interrogations.

- Pour avoir de la compagnie, il faut la chercher, Louloutre. Ça ne tombe pas du ciel, malheureusement ...

Mon ton se fait piquant et charmeur et mes babines s'étirent en un sourire vaguement moqueur. Je n'aime pas qu'on reste si parfait quand on me parle. J'aimerais débusquer ses défauts, les tirer hors de son corps pour m'en régaler, mais il est si lisse que je n'ai aucune accroche, même pas une aspérité dans la carapace de ce félin aussi droit que froid.

- Qu'est-ce qui te rend si difficile ? Je suis certaine que les prétendantes ne doivent pas manquer, pourtant ... Regarde-toi : fidèle, loyal, prévenant, attentionné et soucieux du bien-être des autres ...

Je fais une pause pour planter mon regard dans le sien. Je le trouve ennuyeux à mourir, et pourtant captivant. Mes sentiments ambivalents à son égard commencent à me piéger la tête. Je marche avec précautions au travers de mes pensées, il ne faudrait pas que je me laisse attraper ...

- Si ce n'est pas à toi qu'il manque quelque chose, alors qu'est-ce qui cloche ?

Peut-être que je paierai mon insolence au prix fort, mais je n'ai de toute façon rien à perdre avec lui. Ça passe ou ça casse, comme on dit.

Patte de Loutre est totalement gêné par la situation. Pas habitué à se faire charmer, il ignore comment répondre à la guerrière. Est-ce qu'il doit rentrer dans son jeu ou bien doit-il marquer une distance avec elle ? Perdu, le guerrier se contente d'hocher bêtement la tête et d'écouter chacune des paroles de Rouge Pivoine :

« - Pour avoir de la compagnie, il faut la chercher, Louloutre. Ça ne tombe pas du ciel, malheureusement … Qu'est-ce qui te rend si difficile ? Je suis certaine que les prétendantes ne doivent pas manquer, pourtant ... Regarde-toi : fidèle, loyal, prévenant, attentionné et soucieux du bien-être des autres ... »

Il ne peut pas le nier : elle sait ce qu'elle fait. Chacune des paroles qu'elle prononce rend Patte de Loutre plus perdu. Il ignore ce qu'elle cherche et ne comprend pas le but de cette discussion. Ce genre de tournure est inédite pour le matou qui plante nerveusement ses griffes dans le sol. La guerrière se joue de lui. Pourquoi est-ce qu'elle me flatte ? Son ego revigoré, le mâle se détend doucement.

« - Si ce n'est pas à toi qu'il manque quelque chose, alors qu'est-ce qui cloche ? »

Le yeux plissés, Patte de Loutre tente de déchiffrer - vainement - les ambitions de sa camarade. Après tout … Pourquoi est-ce qu'il ne se laisserait pas aller ? Il n'a rien à perdre. Il soupire, le Clan de la Rivière veut un union d'amour sincère avant n'importe quel acte avec une femelle. Il secoue la tête. Mais pourquoi est-ce que je pense à cela ? Agacé, le mâle prend un ton sévère et se ressaisit :

« - Tu joues à un jeu dangereux, Rouge Pivoine. Avec combien de mâles fais-tu cela ? »

Il s'assied face à elle et ramène sa queue autour de ses pattes, le torse fièrement bombé.

Je ne l'espérais plus, mais Patte de Loutre semble changer d'attitude avec moi. Il reprend cependant son ton et son visage sévères, qui ont presque quelque chose de charmant.

- Tu joues à un jeu dangereux, Rouge Pivoine. Avec combien de mâles fais-tu cela ?

Je souris et prends le temps de m'étirer doucement le dos. Je penche la tête de gauche à droite, l'air de réfléchir vaguement à la question, alors que je sais parfaitement quoi répondre. Les colosses aux pieds d'argile comme lui, je m'en suis fait plus d'un.

- Si je dis aucun, c'est flatteur pour ton ego ... ça voudrait dire que tu es unique.

Une de mes pattes frôle ses moustaches.

- Si je dis vingt, c'est rassurant : tu te dis que tu m'as percée à jour et que tu es plus malin que ça ...

Mon sourire n'a pas bougé d'un iota. Ma patte rejoint le sol et je me redresse, droite et fière, en miroir avec son torse bombé, comme s'il voulait se protéger de tout ce que je peux bien lui raconter.

- Qu'est-ce que tu préfères croire, Louloutre ?

HRP:

L'ennui est ce que redoute le plus le vétéran. Avec Rouge Pivoine il n'était visiblement pas facile de s'ennuyer : entre son air taquin et son jeu séducteur, le matou ne sait plus où donner de la tête. Comme pour l'enfoncer une ultime fois, elle continue :

« - Si je dis aucun, c'est flatteur pour ton ego ... ça voudrait dire que tu es unique. Si je dis vingt, c'est rassurant : tu te dis que tu m'as percée à jour et que tu es plus malin que ça … Qu'est-ce que tu préfères croire, Louloutre ? »

Le jeu dans lequel le vétéran était entraîné par Rouge Pivoine le gênait. Il ne savait comment répondre ni quoi répondre. Sa technique de base aurait été de fuir cette situation qui le rendait fou. Fuir. Patte de Loutre a passé sa vie à ça. Il ne pouvait plus continuer de la sorte. Décidé à se laisser entraîner dans ce drôle de jeu du chat et de la souris, il répond :

« - Ce qui te convient me convient. »

A quoi joue-t-il ? Il fronce les sourcils et son ton lui donne un air pitoyable. S'il se voyait ainsi, il aurait honte. Il ne ressemble à rien avec cet air qui ne lui colle pas au poil. Il attend la réponse de la femelle comme une massue.

Je bats des cils rapidement, attendant avec une impatience non-dissimulée sa réponse.

« Ce qui te convient me convient. »

Sa voix meurt un peu lorsqu'il parle. Je roucoule, ravie de le voir s'empêtrer dans ma toile d'araignée. Mon sang commence à bouillir. J'attends quelques instants, histoire de voir s'il tente de rattraper son ton misérable, s'il se cherche une excuse, s'il se rétracte ... mais non, rien de tout cela, il se contente d'observer le silence aussi longtemps que je ne le briserai pas.

Mes veines battent à mes tempes et me donnent envie d'insister toujours plus ... après tout, est-ce que ce serait ma faute d'enfoncer une porte ouverte ? Ma voix se réduit à un filet lorsque je susurre :

« Mon jeu dangereux commence à te plaire, non ? »

S'il ne proteste pas, je ne vois pas pourquoi je me priverais ... C'est un grand garçon, il devrait savoir ce qu'il veut. Je regarde autour de nous, ennuyée à l'idée qu'on puisse nous épier, comme cette idiote de guérisseuse lorsque j'ai passé ce moment si intense avec Coup de Foudre ...

« Qu'est-ce que tu pourrais vouloir de plus que tu as déjà en prenant ce risque ? »

Je redresse la tête, les yeux pétillants. Mon corps est tendu, proche du sien sans le toucher. J'ai l'impression de voir des étincelles scintiller dans l'espace qui nous sépare. Je deviens dépendante de ses réponses. Je veux savoir de tout mon cœur.

HRP:

Suite au ton pitoyable du mâle, un silence s'installe. Un lourd et long silence que le mâle n'osera jamais casser. Heureusement que Rouge Pivoine se décide à le crever en sifflant de son air toujours aussi charmeur :

« - Mon jeu dangereux commence à te plaire, non ? »

Un terrible jeu de séduction est entrain de se mettre en place entre les deux camarades. La guerrière se tient droite, près du mâle mais pas trop. Leurs fourrures ne sont pas en contact mais le mâle sent déjà la femelle bouillir. Ses dents grincent et c'est la première fois qu'il joue ainsi. Légèrement perdu, il se laisse porter par les paroles de la guerrière qui reprend :

« - Qu'est-ce que tu pourrais vouloir de plus que tu as déjà en prenant ce risque ? »

Ses griffes se plantent dans la terre et il met tout en place pour cacher ce qu'il ressent. Cette situation ne lui déplaît pas vraiment mais il n'était pas venu dans cet optique là. Après tout, Rouge Pivoine est la soeur de sa meilleure amie … C'est plutôt malsain ? Pas réellement prêt pour un tel jeu. Le mâle frotte sa joue contre le flanc de la guerrière avant de dire :

« - Tu ne sais pas avec qui tu joues. »

Il s'éloigne et laisse sa queue glisser le long de l'échine de la femelle. Elle fait tomber les barrières de Patte de Loutre et cela l'effraie. Il n'y aurait rien de plus aujourd'hui. Intérieurement, il prie pour que la femelle revienne très vite le taquiner avec son jeu.

HRP: