Une question de gibier | ft. Nuage de Ronce - abandon

Elle cache sa patte, comme si elle avait honte. Ou alors elle se sent mal parce qu'en la voyant je peux pas m'empêcher d'être triste et apeurée. Je sèche peu à peu mes larmes, essayant de chasser toutes ces images de guerre, que j'arrive à peu près à imaginer sans en avoir vécu, mais c'est dur. Surtout qu'elle n'a pas finit de vouloir me comprendre ces idioties.

- Écoute... Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou non, mais dans tous les cas, on doit se battre pour survivre, avec ou sans les Clans. Si un blaireau attaquait la pouponnière, crois-tu que tu aurais le choix ? Tu essayerais de lui parler ou tu te battrais de toute tes forces pour sauver les enfants de tes frères ? 

Survivre... Sauver les chats de mon clan... Je renifle. Elle ne comprends pas. Je suis trop triste pour renchérir quoi que ce soit. Mais elle ne le voit pas parce que ça ne l'empêche pas de continuer :

- Et si quelqu'un attaquait ceux que tu aimes sans t'écouter ? Crois-tu que tu pourrais l'arrêter en lui parlant ? Si tu ne sais pas protéger ceux que tu aimes, mieux vaut devenir une solitaire, ou, mieux, si tu ne veux pas te battre, va chez les chats domestiques...

Je... Je n'avais jamais penser à ça. Ce n'est pas possible qu'un chat attaque sans chercher à discuter. Parce qu'on a une conscience et qu'on est tous capable de se comprendre. Et si ça arrive, alors .. peut-être que.. je me battrai. Pour ma famille. Mais je chercherai avant-tout à le fatiguer suffisamment pour le raisonner. Jamais je ne chercherai à lui nuire.

Mais ce qu'elle m'a dit me blessa. Je ne pus contenir mes larmes plus longtemps, alors j'explosai en sanglot. J'essaie de lui expliquer, entre quelques reniflements, parce que je ne peux pas la laisser penser ça de moi :

- Oui... Oui j'y arriverai.. snif. parce qu'il le faut... Jamais je ne partirai chez les bipèdes, pour des raisons..snif. Évidentes... T'es.. t'es trop méchante...

Je veux maman...

Elle me ramena tout doucement contre elle. Alors, je me blottis dans ses longs poils noirs et chauds, et je retins mes larmes comme je pus. C'était tout douillet, confortable, et si je fermais les yeux et le nez je me serais cru aux côtés de maman. Je veux maman...

- Je suis désolée, j'ai été brutale. Sache juste qu'à mon avis, vivre sans se battre... Ce n'est pas possible, ou pas ici. Tu sais, un jour, quand tu seras grande, peut-être que tu pourras partir d'ici, si vraiment tu ne tiens pas à te battre. Peut-être que tu trouveras un endroit qui te convient... Je suis sûre que c'est possible.

Snif... Je ne veux pas quitter ma famille, pas mes sœurs, pas maman, et.. encore moins sans avoir réussi à parler à papa... Je resterais avec ceux que j'aime coûte que coûte. Et même si ce clan me crache dessus parce que je suis pas comme eux.. je ne suis pas sûre de vouloir le quitter pour autant. Mais j'ai pas envie de lui expliquer tout ça, parce que j'ai plus envie de discuter de guerre. J'ai un tas d'autres trucs à raconter, je ne vois pas pourquoi je devrais m'arrêter là. Bientôt, mes pleurs cessèrent et je lui murmurai calmement :

- Ce n'est rien.. J'ten veux pas...

Je me relevai alors, quittant ainsi son duveteux pelage pour me redresser comme la grande fille que j'étais. Je m'en voulais d'avoir pleuré en public, j'aurais pu attendre ce soir, mais... Je ne sais pas. Des fois j'explose et c'est plus fort que moi. Tout le monde me prendrait pour une lâche petite fillette maintenant, parce que certains avaient vu la scène. Il prendrait Nuage de Ronce pour une méchante qui fait pleurer les chatons. Je ne voulais pas ça, moi... Et pourtant, cette discussion ne m'avait pas tant déplu que ça. De toute manière je n'aimais guère esquiver certains sujets. J'aimais parler de tout. C'est pour quoi, je renchéris :

- Tu as des frères et sœurs, toi ? Moi, j'en ai trois ! Que des sœurs ! Hmm... Je savais pas bien pourquoi cette question, je disais simplement ce qui me passait par la tête. Et je voulais surtout passer à autre chose maintenant, ne pas garder ce dernier souvenir de notre discussion. C'est alors que mes yeux se posèrent sur la petite cuisse de grenouille inachevée, gisant aux côtés d'os déjà rognés, et je me souvins donc que j'avais interrompu ma camarade lors de son repas. Gênée de nouveau, je m'excusai : - Oh désolée ! Tu veux sûrement finir ta grenouille tranquille... Je peux m'en aller, si tu veux.

Ma question avait l'air de l'avoir.. surprise, ou du moins elle l'avait mis mal à l'aise. Quoi, non j'ai pas fait de gaffe j'espère ? Et si l'un d'eux était tombé au combat ? Je n'avais rien entendu de tel récemment... Enfin, je n'avais jamais eu connaissance d'une rumeur à ce sujet tout court. Mais elle sourit. Pourquoi on ne nous met jamais au courant si quelque chose ne va pas ?

- Hrm, oui, j'ai un frère et une sœur. Ils s'appellent Nuage de Pin et Nuage de Feuilles. Et je sais que tu as trois sœurs ! Je connais bien ta maman, tu sais ?

Nuage de Pin et Nuages de Feuilles ? J'en avais pas trop entendu parler. Tout ce que je savais du premier, c'était qu'il avait une pas très bonne réputation et qu'il était pas sympa. Je sais pas comment il s'est débrouillé, mais j'suis sûre que c'est pas vrai. Quant à la deuxième... Elle ne se faisait guère remarquer, mais elle était gentille. Un jour, je connaîtrai mes camarades sur le bout des coussinets et je serai capable de dresser un profil de chacun d'eux ! Je leur aurais tous parlé, aussi.

Mais soudainement je tilte. Nuage de Ronce, la grande camarade de bêtise de maman ! Avec justement, sa sœur et son frère ! Comment est-ce que je n'ai pas pu me souvenir d'eux, alors qu'ils étaient si réputés pour leurs quatre cents coups quand ils étaient à la pouponnière... Ça voulait donc dire...

- Tu.. tu l'as connais depuis super longtemps alors ? Wow ! M'exclamai-je toute souriante, à l'idée d'entendre pleins d'anecdotes croustillante sur l'enfance de maman.

Mais je ne peux pas m'empêcher de remarquer son air triste. Quelque chose la tracasse. Mes soupçons sont confirmés, puisqu'elle me répond :

- Non, non, tu ne me dérange pas, ne t'inquiètes pas ! De toute façon, je n'ai plus vraiment faim. Tu veux la finir ? Si elle n'a plus faim, c'est pour une raison, elle qui semblait manger avec appétit lorsque je l'interrompis... Est-ce que c'est de ma faute ? Je déteste causer du tort à quelqu'un, alors si j'ai fait quelque chose de travers je m'en voudrais toute la nuit. Cependant, je répondis : - On ne peut pas gaspiller la nourriture ! Je pourrais la manger mais.. J'aurais préféré la donner aux anciens. Je crains juste qu'ils n'acceptent pas un morceau déjà entamé. Tu penses vraiment que je peux la prendre ? Demandai-je, frémissante à l'idée de me faire gronder. Ne pouvant passer à côté de son chagrin, je l'interroge alors : - Ça va pas ? T'as l'air tristoune.

- Haha, oui, je connais ta maman depuis super longtemps ! Même qu'un jour, avec elle et mes frères et sœurs, on est sortis du camp pour aller voir un super gros machin bipède ! C'était impressionnant ! Fit-elle alors sans plus aucune once de tristesse, et moi ravie, je m'engouai de son récit.

Comme ça, elle serait sortie du camp avec maman ? Et sa... Fratrie ? Mais c'est interdit ! Sauf si maman était déjà guerrière. Mais... Ne venait-elle pas de se faire baptiser ? Je comprends pas : ils n'auraient tout de même pas osé ! Dans tous les cas, je ne pouvais pas imaginer tout ce qu'ils avaient pu voir en dehors du camp alors qu'ils étaient tout juste chaton. Je ne m'y serais jamais risqué, mais je pouvais au moins entendre ceux qui ont essayé !

- Et... Qu'est-ce tu as vu là bas ? Vous ne vous êtes pas fait prendre ? Demandai-je, passionnée.

Entre-temps, je ramène la petite cuisse de grenouille à mes pattes et croque à pleine dent la chair. Le goût ne ressemble à aucun autre : je n'ai jamais savouré une telle pièce, même déjà entamée ! Faut dire que je n'en ai jamais beaucoup mangé, du gibier, alors ce n'était pas bien compliqué. En tout cas, c'est délicieux et je ne me retiens pas d'y mordre une seconde fois. Mais pour la suite, je préférai prendre mon temps, de peur de paraître trop gourmande. Je ne lui dis pas, mais c'est délicieux.

Quand j'achève le petit morceau, énorme à mes yeux, ma camarade reprit dans un grand sourire qui sonnait faux :

- Haha, moi, tristoune ? Meuh non !

Hm ? Pourquoi me cacher de telle chose ? Y'a pas à dire : ils sont tous les mêmes. Ils gardent tous leurs problèmes pour eux et moi, je suis toujours trop jeune pour comprendre. Je ne vais pas la laisser dans cet état là, alors que c'est une amie de maman ? Et mon amie, maintenant en plus ! Et si c'était de ma faute, que je l'avais blessé ? Je renchéris alors, d'une petite voix :

- T'es sûre ? T'en a pas l'air... J'ai fais quelque chose de mal ?

- Non, on ne s'est pas fait prendre, parce qu'on avait créé un super passage secret dans un coin de la pouponnière ! Et on est allé voir un ÉNORME machin de Bipèdes ! C'était immense. Et y avait plein de bestioles. Me répondit-elle, toute souriante.

Son enthousiasme partagé, j'ouvre grand les yeux en écoutant ce qu'elle avait à dire, avec tout comme elle un sourire aux lèvres et le goût de la grenouille encore en bouche. J'aimerais beaucoup savoir où mène le passage en question, et ce qu'était cet énorme machin de bipèdes, mais ce serait mal et c'est interdit. J'ai pas vraiment envie de me faire cramer les oreilles par mes camarades de clan, et qu'ils me détestent encore plus... Mais ça ne m'empêchait pas de m'imaginer la scène dans ma tête : quatre fourrures se faufilant dans un petit passage pour aller jouer ensemble dans un énorme nid de bipèdes ambulant et peuplé d'animaux en tous genres, avec en premier plan ma maman fière et forte. Je serai comme elle, plus tard !

Mais mon amie reprit alors, un peu mal à l'aise, un malaise que je ne comprenais pas vraiment jusqu'à :

- J'ai simplement eu des, euh, soucis, et je crains que mon frère ne m'en veuille.  Mais ce n'est pas grand chose, ça se réglera vite !

Je baisse les oreilles, voyant bien que ça la rendait malheureuse. Un peu honteuse d'avoir poussé mes questions si loin, jusqu'à la faire craquer, je décide de m'arrêter là. Mais j'étais aussi contente qu'elle décide de me faire confiance et de m'avouer ce qui n'allait pas. J'en ai pas beaucoup croisé, des grands qui me partagent leurs problèmes. Touchée moi aussi, je répondis en essayant de l'aider :

- Tu as essayé de lui parler ? Je suis sûre qu'il comprendrait !

Je ne savais pas de quel problème il s'agissait au passage, mais j'avais dis que mes questions s'achevaient là alors elles le seront ! A sa place, je serais vraiment mal... Je ne peux même pas m'imaginer si j'avais l'impression qu'une de mes sœurs m'en voulaient. Ça me rongerait, je ne sais même pas si je tiendrais le coup. Je chasse ses pensées en un coup de tête, et la regarde avec bienveillance.