Branche paternelle | Feat Fifou - abandon

Le soleil était à son zénith lorsque la petite boule de poil blanche sortit de la Pouponnière. Trottinant avec innocence, elle scruta ses camarades avec curiosité. Certains mangeaient déjà, d’autres rentraient de la chasse. C’était l’heure bien commune du partage, là où chacun se retrouvait avec ses proches pour parler et faire sa toilette.
Le soleil faisait briller son petit pelage de milles feux. Elle était heureuse d’être aussi voyante, ignorant que son pelage était très désavantageux pour un guerrier, surtout lors de la chasse. Elle était bercée par l’innocence de la jeunesse et, pour l’instant, l’extérieur était rempli de paillettes et de chats amicaux, à ses yeux. Elle n’était pas naïve. Elle préférait simplement s’imaginer un extérieur joyeux plutôt qu’un enfer morbide. Inspirant profondément l’air pur de la forêt, Boule de Neige aperçut alors son père, non loin de là. Elle gonfla son pelage de joie et afficha un joyeux sourire sur son visage. Evitant soigneusement ses camarades qui passaient par là, Boule de Neige sprinta vers son père. Essoufflée en arrivant devant lui, elle ronronna pour le saluer.

« Bonjour papa ! C’est moi, Boule de Neige ! »

La petite savait ô combien le guerrier avait du mal avec les prénoms et désignait souvent ses enfants avec des diminutifs, des surnoms. Boule de Neige n’aimait pas l’appeler « Coup de Foudre ». Elle préférait largement l’appeler « Papa ». C’était plus symbolique à ses yeux. Curieuse, elle demanda alors.

« Qu’est-ce que tu fais ? Dis, tu veux jouer avec moi ? »

Elle fit les yeux doux pour l’amadouer. C’était une fine manipulatrice, talentueuse. Elle avait ça dans le sang ! Voilà pourquoi elle usait de fins stratagèmes pour faire craquer n’importe qui, même si, avec son père, c’était bien plus compliqué qu’avec Ourse Polaire.

— Hmm...

La petite ne comprit pas tout de suite ce que cette onomatopée voulait dire. Elle resta stoïque, l’observant de ses petits yeux lapis. Elle était fascinée par le côté mystique de son père. Il ne parlait que peu de son passé avec ses filles. Boule de Neige ne préférait pas parler de ces sujets, de peur d’entrer dans des sujets tabous ou sensibles. Elle avait des principes et ne voulait surtout pas énerver son père en demandant des informations. C’est alors que, sans le voir venir, Coup de Foudre la prit par la peau du cou et la porta ainsi.

— O.k., je t'amène avec moi ♫

Le grand matou la fit alors balancer de droite à gauche en marchant. Un petit rire sortit de la gueule de son père. Boule de Neige ria alors à tue-tête. Elle avait la tête qui tournait mais ne voulait pas décevoir son père alors, elle préféra en rire que se plaindre. Elle leva les yeux vers son père, bien qu’elle ne vît qu’un gros museau au-dessus de sa tête, et ronronna.

« On va où, papa ? »

Il semblait être déterminé à l’amener quelque part mais la petite ne savait pas où. Elle imagina alors qu’il l’amenait peut-être vers un endroit trop trop cool ? Surexcitée à cette idée, elle ne put cacher sa joie en tournant la tête à droite et à gauche. Il était vraiment gentil, son papa. Elle avait de la chance, tout de même. Bon, elle n’avait pas de maman mais, ce n’était pas si grave. Coup de Foudre et Ourse Polaire lui suffisaient amplement ! Et, bien sûr, il y avait ses sœurs et son petit frère. Elle les aimait tous du même amour, sans préférence, bien qu’elle se maudît pour être un tant soi peu jalouse envers Petite Source, qui est particulièrement proche de Coup de Foudre. Mais cette jalousie mourra probablement aujourd’hui. Elle allait enfin pouvoir faire connaissance avec son père, elle qui pense le connaître du bout des griffes mais qui ne connait, en réalité, rien de lui.

« Dis, t’étais amoureux de la maman de Bec, Roux et Braise ? »

Question innocente. Dans la tête de Neige, Coup de Foudre ne pouvait aimer sincèrement qu’une personne. Il fallait qu’il choisisse. Etoile de Suie ou Nuit Hivernale ?

— Whô-ho-hooh mais d'où vient cette question ma Neige?? »

Boule de Neige laissa échapper un petit rire. C’est vrai que cette question était venue de nulle part. Mais quand Neige avait une question, elle n’hésitait pas. Et puis, elle voulait vraiment connaître la réponse de son père. Savoir que son père n’aimait potentiellement pas sa mère ne la dérangeait pas. C’était son droit, après tout. Il avait le droit d’aimer qui il voulait, même une guérisseuse. Boule de Neige avait appris par elle-même qu’un amour ne peut être interdit. Elle ne comprenait pas pourquoi le code du guérisseur leur interdisait l’amour. Pour Boule de Neige, tout cela n’avait aucun sens…
Son père tourna alors subitement. Tiens, on ne va pas aux Rochers du Soleil ? La petite, intriguée, observa le petit chemin qu’emprunta son père. Le duo s’engouffra dans la forêt boisée. Mille et une questions dansaient dans la tête de la chatonne mais celle-ci ne préféra pas en poser. Elle les garda donc pour elle et se tut, laissant Coup de Foudre l’amener je-ne-sais-où.

— « Pour toi, c'est quoi, être amoureux?

Le chaton écarquilla les yeux. Elle ne s’attentait pas à cette question. Être amoureux… C’était particulier. Elle, encore trop jeune, n’avait jamais senti ce sentiment. Mais, d’après ce que dit Ourse Polaire, être amoureux, ça à l’air super ! La petite remua la queue, intriguée. Elle aimerait bien tomber amoureuse, un jour… Coup de Foudre a eu de la chance. Il est tombé amoureux 2 fois, peut-être même plus, vu que Boule de Neige ne sait pas tout. Elle prit une grande inspiration avant de répondre avec une voix, qu’elle pensait, sérieuse.

« Être amoureux, c’est quand tu es ami avec quelqu’un mais que tu l’aimes plus qu’un ami… »

Elle réfléchit un instant.

« On peut pas être amoureux de sa famille, enfin, je crois. Aussi, les guérisseurs ne peuvent pas être amoureux ! Quand t’es amoureux, c’est que tu vivres pour toujours avec un chat en particulier et que tu veux peut-être fonder une famille avec ! »

Elle plissa les yeux un instant avant de demander d’une voix peu assurée.

« C’est ça ? »

« Mng, oui et non... »

Oui et non… Cette réponse interloqua la petite qui tendit alors l’oreille pour écouter les dires de son père. Coup de Foudre était un véritable orateur. Ses paroles captivent et convainquent, du moins, aux yeux de Boule de Neige. Celle-ci pensait que son père était un chat sage et aguerri, qu’il connaissait le monde et ses mystères. La petite avait énormément de respect pour son père et buvait ses paroles.

Là, tiens, tu regardes autour de toi ? Tu vois tous les arbres qui s'étirent vers le ciel ? Ce sont tous des arbres, mais est-ce que ce sont tous les mêmes? Regarde celui-là. »

Où voulait-il en venir ? Elle obéit tout de même et s’apprêta à tourner la tête pour observer la pinède lorsque son père se rapprocha de l’arbre. Curieuse, elle tapota le tronc d’une griffe. Le tronc était d’un brun très foncé, comme s’il avait survécu à 1000 averses. Elle leva la tête pour distinguer quelques branches ci et là ainsi que de belles feuilles vertes, signe de l’arrivée de la saison des feuilles nouvelles. Un petit sourire se dessina sur son visage. Comme l’arbre est immense… Elle paraissait fort petite, à côté. Son père la décrocha alors du spectacle naturel qui se jouait devant elle et contourna l’arbre. Là, il regarda, lui aussi, les feuilles, avant de les abaisser pour que Boule de Neige puisse mieux les voir.
Elles étaient d’un vert brillant. Les yeux du chaton brillaient de milles couleurs. Quelques petits trous s’étaient accumulés sur la feuille, signe que de petites bêtes étaient déjà passées par là. Coup de Foudre prit alors la parole.

« C'est un Sycamore - un petit, contrairement à celui que les apprentis utilisent pour s'entraîner à grimper. Observe, touche, sent. »

Un sycamore ? Quel drôle de nom ! Pourquoi les arbres ne s’appelaient pas par des noms normaux comme « Tige de Lys » ou « Nuit Hivernale » ? Elle fut ensuite frappée par la taille de l’arbre et avait bien du mal à s’imaginer qu’un jour, elle doive y grimper pour gagner son évaluation d’apprentie. Et dire que c’est probablement cette lune-ci qu’elle va commencer son entraînement ! Elle ne sentait guère prête à faire tous les trucs d’apprentis comme se battre, chasser ou encore grimper. Elle se sentait encore chaton et s’imaginait bien passer toute sa vie à la Pouponnière, bien que dormir dans la même tanière que ses camarades pourrait lui plaire.
Elle obéit à son père et renifla avec bruit le grand arbre. Il ne sentait pas particulièrement bon mais l’odeur qui envahit ses narines lui fit frissonner le pelage. Elle ferma les yeux quelques instants avant de le rouvrir et de continuer sa promenade avec Coup de Foudre. Son père l’amena ensuite vers un autre type d’arbre. Elle le savait car il était bien différent du Sycamore. Il était enveloppé dans une couverture de feuilles, pareille au Sycamore et était imposant. Cependant, celui-ci sentait bien meilleur. Boule de Neige ronronnait doucement avant de laisser son père parler.

« On définit ce qui a des racines, un tronc, des branches et des feuilles comme un "arbre", mais qui sait combien d'exemplaires d'arbres différents il existe? »

Boule de Neige ne connaissait qu’une fine variété d’arbres différents. Elle ne connaissait, en réalité, que les basiques. Pin, Chêne, Marronnier, …
Elle s’imagina alors qu’il existait peut-être des arbres encore plus grands que le chêne, dans le monde. Les yeux brillants de joie, elle soupira alors. Qui sait quelles merveilles il y a, au-delà de la forêt, au-delà des frontières ? Son envie d’aventure et de voyage la piquaient à vif. Un jour, peut-être, elle découvrira tous les arbres du monde…

« Pour l'amour c'est pareil. »

Quelque chose fit alors tilt dans la tête de la petite. Elle leva les yeux vers son père, intriguée.

« Tu veux dire que tu as aimé Etoile de Suie et Nuit Hivernale… Différemment ? »

Bien qu’elle pensât avoir compris, elle avait encore du mal avec cette philosophie qu’il y avait une multitude d’amours différents. Certains étaient beaux, d’autres interdits, certains même maudits. Elle soupira. Toutes ces histoires d’adultes n’étaient vraiment pas pour elle. L’amour enfantin était bien plus simple. Tu aimais quelqu’un et il t’aimait en retour. Voilà comment on crée un amour puissant. C’était bien plus compliqué, en grandissant, mais Boule de Neige était encore dans la phase enfantine, la phase douce et innocente. Elle jeta un regard au chêne avant de marmonner.

« Tu dis que les apprentis grimpent sur cet arbre mais… Il est très grand ! Quand je serai apprentie, jamais je ne pourrais grimper dessus… »

Ses oreilles tombèrent sur son crâne et la petite laissa échapper un long soupir. Elle n’avait aucune confiance en elle mais n’attendait pas un soutien de la part de son paternel, juste une phrase qui pourrait lui clarifier l’esprit.

« Qu'est-ce qui t'en rends si sûre ? »

Elle n'était jamais sûre de rien. La plupart du temps, elle faisait des suppositions, espérant ne pas avoir tort. Le problème avec elle, c'est qu'elle avait très peu d'estime de soi. Elle se trouvait des qualités bien à elle, certes. Elle se trouvait forte en sieste, par exemple, bien qu'elle ne pourra jamais détrôner ses sœurs dans cet art. Simplement, elle avait tendance à accentuer ses faiblesses, au lieu de les cacher. Il valait peut-être mieux se dévaloriser aux yeux des autres pour qu'ils soient surpris de voir la vraie Neige, avec ses défauts et ses qualités. Elle avait encore un long chemin à faire pour apprendre à aimer ses défauts, ses faiblesses, presque autant que ses qualités.

« Un arbre a l'air très grand vu par ses racines, mais à force de braver le péril de l'escalader... »

C'est alors que son père bondit avec vivacité sur une branche de l'immense arbre. Là, le duo était perché sur une branche, la branche qui, aux yeux de la petite, était la plus haute de la forêt, la plus belle. Elle baissa les yeux. Le sol... Il était désormais bien plus bas, sous ses pattes. Elle ne sentait plus le sol meuble de la forêt mais plutôt la branche rigide et craquante sur lequel elle était. Tout ce qui lui paraissait dès lors immense... Ne ressemblait plus à grand chose. Elle était devenue la géante de la forêt, elle qui ne pensait même pas atteindre cette branche. Elle observa alors l'arbre qui se dressait sur les côtés de la branche. Il était grand... Mais bien moins grand qu'avant. Il ne suffit pas d'être grand... Peut-être qu'au final, il suffit de bondir pour atteindre ses objectifs. Se sentant pousser des ailes, elle resta un moment silencieuse, un moment qui lui paraissait très court. Les oiseaux chantaient leur mépris car le duo avait sûrement piétiné leurs terres. De petites fourmis se rassemblaient en bandes pour soulever une feuille, une feuille si légère à ses yeux qui devait être un supplice pour les leurs.


« ...La hauteur devient juste un autre sentier. »

Un autre sentier de Rêve qui ne peut être atteint que grâce au courage et à la force mentale. C'est alors que le banc de fourmis réussit à soulever la feuille. Leur solidarité et leur courage les avaient aidé et, désormais, elles déambulaient, toutes fières, avec leur belle feuille. Boule de Neige n'en croyait pas ses yeux. De si petites bêtes arrivaient à soulever quelque chose de bien plus grands qu'elles. Et ce n'est pas grâce à leur force... Je pourrais les écraser facilement. Coup de Foudre se mit alors à l'aise et se coucha sur la branche. Celle-ci bougea et fit frissonner la petite. Il fallait qu'elle fasse attention à ne pas glisser, ce serait malheureux. Heureusement, elle sait que son père la sauvera si elle glisse. Elle jeta un regard chaleureux à celui-ci, qui la coinça entre ses pattes avants et lui fit une toilette rapide. Boule de Neige ne se débattit pas, trop occupée à observer les arbres autour d'elle, qui étaient maintenant quasiment à la même hauteur qu'elle.

« Alors? Pas si inatteignable, hmm? ♡ »

Boule de Neige soupira un instant. Pourquoi fallait-il qu'il ait toujours raison ? Un petit sourire se dessina sur son visage enfantin.

"- C'est incroyable... Regarde-moi, je suis si grande...

Elle montra les fourmis de la patte.

"- Et elles si petites... Et pourtant, elles ont tellement de courage, de force. Je serai comme elles... Je ne serai peut-être pas grande."

Elle tenta de se relever, prenant appui sur la branche et les pattes de son père pour se tenir stable, et prit la parole.

"- Mais je serai courageuse... Car, au final, qu'importe la hauteur, il suffit d'un bond pour que j'y arrive... Et un jour, je bondirai sur cet arbre et je grimperai... Comme toi, papa !"