Faire ses Preuves [Baptêmes + Annonces] - end

Se faire traiter de "simplet" en plus de "con" ne lui fit pas grand chose de plus. Le temps ne les attendait pas, et derrière leur chef-en-devenir, le soleil, qui leur avait masqué son visage, ses marbrures et le reste de son corps, se soulevait peu à peu derrière lui, poursuivant sa lente course dans le ciel, signe que la journée avançait sans laisser les objections du Clan l'interrompre.

Et ce qui s'ensuivit ne fut pas vraiment un silence, puisque tout bas, Nuage de la Louve sanglottait dans le poil de son frère Lycaon, et Nuage Brisé, de son côté, se trainait les pattes vers la tanière des apprentis. Plus tard, il se dit. Quoique pour ce qui était de Nuage Brisé, mieux valait peut-être jamais.

— « Moi... J-j'aimerais parler, s'il-vous-plaît.
Le bengal hocha la tête à l'entente de l'intervention de la guérisseuse.

— Je sais que Coup de Foudre ne suit pas les règles du Code. Mais c’est aux Étoiles de décider s’il peut nous mener. Il opina du chef; il leur avait bien dit ce qu'il comptait faire si ces dernières le refusaient. Il ne s'autoriserait jamais de donner un autre chef sans ses vies au Clan du Tonnerre - deux, terrassés de maladie, avaient amplement suffi.

Et il n’a pas été choisi par l’ancien meneur pour rien, n’est-ce-pas ?
Personne n'avait besoin de savoir ce qui s'était passé entre lui et ledit ancien meneur. Il ne dit rien.

— Pour l’instant, il faut lui faire confiance. Gardons espoir. Nos ancêtres ne nous abandonnerons pas. Si vous êtes inquiets, vous pouvez venir me voir aussi, au même titre que vous pouvez aller voir Dame de Cœurs. Je suis là pour vous également.

Non seulement Amour-en-Cage endossait ses nouvelles responsabilités à ravir, elle était aussi l'une des rares à accepter celles qu'il donnait à Dame de Coeurs. Il lui avait demandé son aide et c'est ce qu'elle lui donnait, en se prononçant ainsi face à tout le Clan. La chatte birmane regarda chacun des insatisfaits - de la reine qui pleurait à Coeur de Puma chuchotant à ses enfants.

— Et je continuerai de transmettre les messages des Étoiles, avec l'accord de Coup de Foudre.
— Tu l'as. »

Sans équivoque.

Il allait de soi qu'il ne donnerait pas ce genre de responsabilités à une interprétatrice de la parole "divine" s'il avait l'intention d'étouffer cette-dernière. Qu'elle fasse comme bon lui semblait, tant que ça satisfaisait au Clan et à son obsession de plaire à un Clan invisible.

...D'ailleurs:

« La quatorzième loi de votre Code stipule qu'un Chat Honorable ne doit jamais tuer un autre chat pour gagner un combat, à moins que ce-dernier ne vive pas selon le Code ou, comme Coeur de Puma a gentiment tenu à me préciser en me traitant de simplet, s'il attente à votre vie.  Votre Guérisseuse l'a dit, non? Je ne suis pas votre Code - je vous entend, quand vous me traitez d'hérétique.

Un hérétique, qui caresse le ventre des Monstres sans ciller. Mais, s'il vous est tellement abject de vous imaginer vous retourner contre moi, soit: je m'en chargerai moi-même.

M'enlever une vie ne sera qu'une affaire de mettre les griffes dans mon corps; mon absence de peur facilitera la tâche, revivre vous prouvera que j'ai les vies, et le faire moi-même vous épargnera de trahir votre précieux Code.  Gagnant-gagnant.


Maintenant que cette épine est enlevée, personne n'y voit d'objections? »

Silence dans le rassemblement.

Un silence où il put deviner du dégoût, mais aussi de la peur, du chagrin, et de l'incompréhension. On connaissait Coup de Foudre ("Coup de Foudre", Coup de Foudre. Ce Coup de Foudre-là) comme un casse-cou un peu imprudent, mais cette face qu'il leur révélait n'était pas familière. ...Ou presque - ni Poil de Musaraigne ni Printemps Fatigué n'avaient cillés car ils étaient ce qu'il avait de plus près comme famille directe (c'est à dire un ancien mentor et son fils). Vipère Audacieuse, sa vieille alliée, n'avait pas cillé non plus - Coup de Foudre, dans son jeune âge, s'était roulé la joue dans ses griffes lorsqu'elle avait tenté de le menaçer - elle avait toujours su. Et il avait dit à tout ses enfants ou presque pour sa tête cassée - c'est pourquoi ni Panda Roux, ni Neige de Minuit, ni Bec Croisé n'étaient surpris par les mots de leur père.

Beaucoup avaient des objections mais ils se turent tous - comme si les mots de leur lieutenant, de leur chef-à-en-devenir, les avait foudroyés sur place.

— Bien. »

C'est ce qu'il avait voulu.

Il expira son air par un souffle du nez.

Le plus dur était passé - certes tous ces bouleversements étaient prévus mais cela ne signifiait pas qu'il les appréciait. Comme Dame de Coeurs l'avait dit cependant, ils avaient tous le droit à leurs émotions, et à leurs réactions, et à leur ressenti.

...Autant que lui avait le droit à l'émoussement de toutes les siennes. Le respect de leur religion, l'ouverture de les comprendre, il ne manquait que la rigueur:

— « Des odeurs qui n'appartiennent pas aux Quatre Clans ont été senties près des Rochers du Soleil et des Rochers des Serpents, à chaque extrémité du territoire; les groupes seront faits en conséquence de vos pelages.

Il descendit du promontoire d'un bond mais sa voix portait quand même, sélectionnant des chats avec la patte.

Les pelages clairs, vous prenez les postes de jour; les pelages sombres, ceux de la nuit. Vous optimiserez votre discrétion. Favorisez la hauteur des arbres, personne ne veut tomber nez-à-nez avec un renard ou une saloperie d'clébard.

Et là où il marchait, on se reculait. Il rasait au travers des rangs comme si un champ de force l'entourait, ou, peut-être moins imagé, on l'évitait comme un pestiféré.

Vous trois, aux Serpents. Rapportez-moi tout ce que vous trouvez.  Vous trois, allez chasser aux Terres Brûlées.

Sa patte s'arrêta sur sa fille qu'il avait choisi comme apprentie. Il plissa ses paupières, mais son expression eut tôt fait de se refroidir:

Ciel - attends-moi à la Combe. Je veux voir moi-même tes techniques.

Il cilla, se détourna d'elle sans plus de regard pour le porter plus loin, vers un père et deux apprentis.

Puma - rejoins la première patrouille. Il prit la peine d'ajouter, torve: JE choisirai quand nous parlerons, TU ne choisis pas quand tu t'entretiens avec moi.

Je me suis bien fait comprendre? »

Et maintenant qu'il était à leur hauteur, qu'un cercle s'était curieusement formé en maintenant une distance de sécurité à sa simple présence, il tourna légèrement la tête pour croiser le regard borgne d'Oeil du Tigre et vite pivoter une oreille vers l'arrière.

— « Rompez. »

Il le bouscula d'une épaule, lui glissant rapidement qu' "ils se verraient plus tard".

"Il devait trouver Source, avant".

***

Et bien sûr il avait un endroit en tête.

Il n'ignorait pas que ce qui l'avait provoquée à s'enfuir était lorsqu'il leur avait révélé la preuve de sa dévotion - jusqu'où il était prêt à aller pour obtenir la confiance du Clan. Prêt à se laisser tuer, prêt à se tuer lui-même, avec bien sûr la certitude de reprendre vie, sans quoi tout ce qu'il ferait serait de céder le pouvoir à un autre sans doute plus apte que lui. Mais c'en avait été trop pour Source.

Elle aussi, avait le droit à sa réaction, ses émotions et son ressenti - et si toutes trois l'avaient poussée à s'enfuir le temps de retrouver sa contenance, jamais il ne la blâmerait.

Et c'est peut-être parce-qu'il était pressé de la retrouver que Coup de Foudre oublia de calculer une variable. Une toute petite variable qui ne lui effleura même pas l'esprit lorsqu'il se hâta de quitter la Palissade de Ronces pour trouver les ombres du couvert des arbres de la forêt, direction les Rochers du Soleil. Elle ne lui effleura pas l'esprit lorsqu'il effleura du nez les lierres qui cachaient sa renardière personnelle, renfermant deux silhouettes à qui il avait promis (et il ne tenait pas ses promesses à la légère, lui) de ne jamais révéler leur histoire interdite.

Si rien que l'idée de perdre son plus proche parent l'avait fait s'enfuir, il s'était dit qu'elle s'était sans doute précipitée à retrouver le corps de ses parents biologiques, mais en ne l'y voyant pas ses deux oreilles s'abaissèrent dans leur cran et son poil se leva sur son corps, et il ressortit de la renardière sans jeter le moindre regard derrière.

Il aurait du.

Il aurait du en jeter un derrière, et en jeter un autour, car, véhiculé par, ironiquement, la peur d'avoir semé quelque chose qu'il ne pourrait jamais déraciner chez sa fille, Coup de Foudre avait été imprudent, et ne s'était pas rendu compte, la vision embrouillée par les chiffres et les nombres et les calculs, qu'il avait été suivi.

Abasourdie, Nuage de Rossignol suivit Source de Secrets du regard tandis que celle-ci rejoignait le chemin de terre menant à la ravine. Lorsqu’elle comprit que son mentor s’en allait sans un mot, purement et simplement, elle cessa de lui accorder son attention et porta le regard au loin devant elle. Son esprit bouillonnait de l’intérieur. De colère, de rébellion, d’incompréhension. Et, depuis que Source de Secrets s’en était allée sans prêter la moindre attention l'apprentie angoissée et perdue qu’on venait de lui confier, de tristesse morose.
Le départ de la bicolore retentit comme une cloche funèbre dans son âme, qui faisait écho à un souvenir lointain.


C’était à peine si Nuage de Rossignol avait pris conscience que Cœur de Puma avait pris la place de son mentor et élevé la voix d’un air furibond pour s’opposer à Coup de Foudre. À ce stade-là, elle n’était plus capable de suivre ce qu’il se passait et comprenait juste que la situation continuait à dégénérer à une vitesse phénoménale. La marbrée était pétrifiée sur place, incapable de bouger et pire encore, d’exprimer quoi que ce soit à haute voix. À l’instar du chaos extérieur, un véritable capharnaüm régnait dans son esprit.
Elle se demanda si elle serait capable de reparler un jour, tant sa panique lui enserrait la trachée et l’empêchait de respirer normalement. Nuage de Rossignol ne savait pas quoi faire. Complètement démunie, elle aurait voulu que le temps s’arrête et ne l’oblige pas à choisir une manière de réagir. Si pour l’instant son esprit restait muet comme une carpe et ne fonctionnait plus vraiment, son cœur, lui, tambourinait à tue-tête dans sa poitrine. Elle était véritablement désemparée. Tout ce qu’elle voulait, c’était partir elle aussi. Sortir du camp et marcher droit, jusqu’au Clan de l’Ombre. Jusqu’à la Rivière, ou au Vent. Là où la situation ne pouvait être pire qu’ici.

Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était garder les yeux fermés au monde qui l’entourait et aux chats qui s’y trouvaient. Continuer de faire la morte. Elle aurait tout donné pour se fondre entièrement dans le sol, et elle le pensa si fort qu’elle n’aurait pas été surprise de voir son pelage prendre la couleur du sable.
Son visage était paralysé, mais son âme elle se lamentait en silence, comme endeuillée. Des larmes invisibles roulaient le long de son cœur ; des larmes de peine qui ne tardèrent pas à se changer en gouttelettes bouillonnantes de rancœur.

Coup de Foudre descendit du Promontoire pour donner ses ordres avant de quitter le camp, sûrement sur les traces de sa fille. L’assemblée commença à se dissoudre, formant plusieurs groupes de félins qui se mirent à discuter de la situation avec virulence. Elle vit les trois autres apprentis se regrouper. Nuage Brisé n’était pas parmi eux. Il s’était expatrié dans sa tanière.
Tanière où elle dormirait pour la première fois de sa vie, sous l’œil jaloux des enfants de Coup de Foudre. Heureusement qu’elle avait Nuage de Lézard sur qui compter. Elle ne connaissait pas assez Nuage de Lycaon et Nuage de la Louve, mais les regards noirs de leur fratrie s’étendaient sûrement à eux aussi. Comment pouvait-il en être autrement, après que leur futur chef ait clairement manifesté son intérêt à l’égard de Nuage de Rossignol plus qu’à ses propres enfants ?

Nuage de Lézard discutait avec Phoque Rouge. Toujours collée contre Cœur de Puma, Nuage de Rossignol se retourna d’un geste vif et gagna l’extérieur, se retenant de ne pas paraître trop précipitée, même si elle mourrait d'envie de s'enfuir aussi vite que Source de Secrets l’avait fait. Elle se sentit coupable d’un tel geste envers son père, et il avait sûrement eu raison quand il lui avait demandé d’être avenante envers les petits de Coup de Foudre. Mais elle était grande désormais, et elle était dorénavant en mesure de faire ses propres choix, à commencer par celui-ci.

Elle fut soulagée de pouvoir détendre les traits de son visage et laisser paraître toute sa tristesse sans que personne ne le voit. Avant qu’elle ne franchisse le tunnel de fougères pour la première fois de sa vie, elle eut l’impression que toute son échine brûlait d’un feu plus intense encore que celui du soleil qui brillait haut dans le ciel. Mais cette brûlure-là provenait d’êtres bien plus froids que le soleil. C’était une véritable brûlure de glace, marquée le long de son dos par le regard de ses camarades. Dame de Cœurs, peut-être ? Nuage du Ciel ou ses frères et sœurs ?

Le premier visage de Nuage de Rossignol que la forêt put contempler fut un visage mélancolique.
Les odeurs de Source de Secrets et de Coup de Foudre s’emmêlaient, aussi l’apprentie tâcha de bien les suivre. Elle se dit qu’en retrouvant son mentor au milieu d’une forêt qu’elle ne connaissait pas, elle gagnerait peut-être sa confiance et son approbation. Et peut-être qu’elle lui changerait les idées, aussi. Nuage de Rossignol ne lui tiendrait pas rigueur de son geste d’avoir quitté l’assemblée sans elle bien longtemps, si leur prochain contact se passait bien.

Plus elle s’éloignait du camp, plus l’apprentie se disait que tout ce qui venait de se passer n’était jamais arrivé. Que le soleil et la chaleur avaient eu raison d’elle. Que son cerveau avait fabriqué toute cette histoire, et que ses yeux avaient été dupés par un simple mirage. Aucune assemblée ne s’était emballée, aucun Nuage Brisé n’avait fini blessé, et il n’y avait jamais eu de litige, voilà tout. Elle les avait tout simplement inventés, eux et leurs paroles empoisonnées, avant de fuir l’atmosphère étouffante du camp pour s’en aller retrouver son mentor. Elle faisait à peine attention à son nouvel environnement -à vrai dire, elle avait été tellement bien préparée par son père et les reines, et toujours si patiente et disciplinée, qu’elle évoluait presque naturellement sur son nouveau territoire. Il fallait aussi admettre que la piste qu’elle suivait était facilement praticable et que même si ses petites pattes commençaient à tirer, elle ne se sentait pas fatiguée.

Au bout de plusieurs minutes, ou peut-être même d’une heure, elle comprit qu’elle s’était trompée en réalisant que la seule odeur qu’elle parvenait à déceler était celle du lieutenant et pas de Source de Secrets. Elle s’arrêta sur le seuil des arbres et hésita : devait-elle rebrousser chemin pour retrouver Source mais risquer de se perdre, ou continuer et retrouver Coup de Foudre, qui pourrait la ramener au camp ou auprès de son mentor sans la crainte de s’égarer, quitte à passer pour une cervelle de souris ? Elle opta pour la deuxième option, plus sûre, et se remit en marche. Elle franchit les buissons et déboucha sur une grande étendue qui s’ouvrait sur le ciel. Y reposaient calmement de nombreuses formations de rocheuses tendrement caressées par les rayons du soleil, qui formaient de beaux perchoirs, des bains de soleil certainement très agréables une fois que l’on s’étendait dessus, et parfois de grandes crevasses ouvertes dans le sol.

Nuage de Rossignol redressa la tête, soudain piquée d’un vif intérêt. La piste de Coup de Foudre menait vers l’une d’entre elles.

Elle s’approcha franchement et s’engouffra dans un minuscule tunnel de pierre qui s’étendait sur deux longueurs de queue grand maximum (la lumière y pénétrait donc sans problème). Elle crut halluciner quand elle y observa un instant l’image trouble de deux ombres félines qui luisaient tranquillement, et qui disparurent aussitôt qu’elle plongea sous le sol avant de ressortir de l’autre côté, au milieu d’une marée de pierres. Juste en face, il y avait un terrier assez grand pour y contenir plusieurs chats. Elle devina qu’un blaireau ou un renard avait habité ici. Avait habité, puisqu’aucune autre odeur que la sienne, celle de Coup de Foudre, de l’eau de la rivière et de la chaleur ne flottait dans l’air.

Elle pencha la tête et distingua la silhouette d’un matou à l’intérieur de l’antre. Coup de Foudre. Il sortir de l'abri dans la terre. Nuage de Rossignol s’apprêtait à l’apostropher quand elle réalisa que quelque chose ne tournait pas rond.
Le monde devint soudain sourd.

Elle n’entendait plus que le bruit épais de l’eau qui bouchait ses tympans et le tambourinement léger de son cœur. Là, dans les tréfonds de cette tanière, étaient tapies deux formes translucides dont les traits émaciés oscillaient entre chair et os. L’instant d’après, elle vit luire un crâne de chat.
Deux orbites noires et vides qui transpercèrent son âme de part et d’autre.

Nuage de Rossignol se sentit aspirée par un siphon invisible et elle laissa la terreur l’emporter vers le fond. Son baptême avait été une véritable catastrophe. Un moment censé être magique, gâché par l'égoïsme des uns et des autres… ah, au moins, cette cérémonie resterait inoubliable. Mais ce qu’elle vit là remplaça tout ce qui avait pu la préoccuper jusqu’à présent. Une pression invisible pesait sur son pelage, et elle grandit, grandit, annonçant les événements funestes qui guettaient le Clan du Tonnerre.

Fin du RP

HRP: