”Désolé mon amour, de ce pauvre héritage [...] mais jamais ne cesse, de douter dans le soir” - end

J’étais angoissé. Ce n'était pas notre première réunion, mais elles étaient toujours source de stress. J’étais accompagné de Nuage de Roc bien sûr. Mais c’était pourtant un si grand honneur que de rencontrer mes ancêtres. J’allais recevoir des conseils, ils allaient me dire que je progressais bien et peut-être donner fin à mon apprentissage ? J’en doutais. J’allais toujours voir Vent du Nord pour qu’elle m’apprenne encore des choses et surtout pour qu’elle consolide tout ce qu’elle m’avait enseigné. Avant de partir à la pierre de Lune, j’avais dis à Nuage de Roc ce qui allait se passer ou du moins, ce que les étoiles attendait d’elle, encore une fois, l'angoisse ce n'était décidement pas bon pour moi, elle savait très bien comment ça fonctionnait !

Cependant, moi… Je redoutais un peu de me présenter à eux. Oh j’ai toujours été pieux, et j’accepte mon vœux de célibat, de ne jamais avoir de descendance, ni même quelqu’un dans ma vie. Pourtant… Plus le temps, plus l’admiration que je lui portais devenais puissante. J’avais peur qu’elle devienne une passion. J’avais peur que bientôt je sois confronté à ce désir terrible auquel j’ai renoncé. Et si les étoiles me disaient que mes pensées étaient indignes d’un guérisseur, et que je devais abandonner ce qui, pour moi, a été un rêve le plus cher ? Pourquoi fallait-il que je pense cela ? Pourquoi fallait-il que je ressente plus que cette admiration ? Je n’étais pas amoureux, non, pas encore, mais cela pourrait arriver, et réfréner mes pensées, mes mots, mes… passions et émotions allaient être l’épreuve la plus difficile de ma vie. Peut-être plus ardue que l’épidémie elle-même. Les étoiles, jamais ne quitteront mon cœur, parce que lorsque sera venue mon heure, je serais prêt à être transporté sur le chemin étoilé.

« Nous arrivons bientôt au point de rendez-vous. Ne t’en fais pas Nuage de Roc, tout se passera bien... Enfin tu le sais bien. »

Je disais ça comme pour me rassurer. Après tout, j’avais raison non ? Tout ira bien tant que je dépassais cette « admiration ». Tant que je n’y pensais pas. Les étoiles ne m’auraient pas choisi si elles m’avaient jugé trop faible. Nous avions juste la route à traverser pour accéder aux Hautes-Pierres. Je regardais à droite, à gauche, et hop, signal pour passer. Je traversais en même temps que l’apprentie pour pouvoir la protéger si besoin. Est-ce que j’avais toujours cette volonté de protection qu’à un guerrier ? Oh non, je pense que c’était seulement ma responsabilité. Vent du Nord était déjà présente, nous étions les deuxième à arriver. Je saluais poliment la guérisseuse que je respectais tant.

« Bonsoir Vent du Nord. »

Oh aujourd'hui y'avait la réunion avec les guérisseurs! J'aimais bien m'y rendre... Maintenant que les yeux jaunes ne se pointaient plus... En effet, toutes mes nouvelles venues au clan des étoiles avaient été beaucoup plus douces que ma toute première. Cela m'avait permis de décompresser, et de mettre dans un coin ces yeux jaunes. Feuille de Saule, lui, était tout le temps stressé. Il ne faisait que me répéter comment cela allait se passer, nia nia nia. Comme si je n'étais pas au courant! mais ce n'était pas méchant, alors je me contentais de lui faire un grand sourire, un peu taquin certes, mais sans dire un mot.

Et puis ces longues traversées finissaient par m'endurcir le corps. Feuille de Saule était un guerrier avant, alors, il n'avait jamais eu aucun de mal. Mais moi ! Les premières fois avaient été compliquées et exténuantes, je l'avoue. Mais j'avais découvert qu'il y avait une autre apprentie guérisseuse! Donc la fatigue ne m'avait absolument pas empêcher de faire connaissance. (Et puis, c'est toujours plus intéressant de discutailler avec quelqu'un qui a à peu près son âge que les autres adultes.)

Feuille de Saule restait perdu dans ses pensées pendant le trajet. Il m'arrivait parfois de parler à tue têtes, mais pas aujourd'hui. Je marchais tranquillement, toujours émerveillée par les paysages que nous traversions.

« Nous arrivons bientôt au point de rendez-vous. Ne t’en fais pas Nuage de Roc, tout se passera bien... Enfin tu le sais bien. »

Je lâchai un léger ronronnement. Mais oui ça se passera bien! En plus j'allais pouvoir enfin discuter avec Nuage de Digitale. Nous arrivions au point de rendez-vous. Vent du Nord était là. Mon mentor la salua d'un sobre « Bonsoir Vent du Nord. ». Moi, j'ajoutai ma touche plus guillerette et aigüe :

"Salut!!"

J'étais déçue que les autres ne soient pas déjà là. J'avais hâte que ça commence (et hâte de discuter avec l'autre apprentie. Dès qu'elle arriverait, pour sûr je lui saute dessus et l'assaille de questions telles que comment tu vas, tu as appris des nouvelles choses, quelle était ta dernière bêtise, t'as des trucs nouveaux à me raconter?)

Levée de bonne heure, la jeune apprentie dévora son repas en hâte - plus consistant que celui de son mentor, afin d'alimenter son corps imposant - mais en conservant ses bonnes manières. Le jour-- enfin, la nuit de la réunion était finalement arrivée. Peu de choses excitaient Nuage de Digitale, les visites aux Etoiles en faisaient partie. Corbeau Ensoleillé lui demanda si elle était prête ; évidemment qu'elle l'était! Elle hocha silencieusement de la tête en guise de réponse. Les frissons de l'anticipation avaient beau courir dans tout son corps, elle exprimait son enthousiasme différemment d'autres chats. Elle préférait le partager avec elle-même plutôt que d'attirer l'attention en se prenant pour une gerbille hyperactive.

Le cheminement jusqu'à la Pierre de Lune ne lui sembla pas si long ni éprouvant : ayant correctement mangé, ses muscles énergisés parcouraient la distance sans aucun problème, et la froideur de la nuit sombre s'assurait que sa pelisse fournie ne constitue pas une entrave. En réponse à la silhouette rocailleuse qui se dessinait, puis se détaillait progressivement devant ses yeux, son agitation effervescente migra de son cerveau à ses tripes.

Arrivée, elle y vit les autres guérisseurs, tous là - à l'exception d'Amour-en-Cage qui apparut peu après. Elle et Corbeau se joignèrent à eux.

"... Bonjour, " dit la femelle grise timidement.

Un petit sourire étira ses babines, venant contredire son manque d'assurance ; elle était contente de voir ses camarades, qu'elle considérait comme ses semblables, mais aussi comme des modèles qu'elle admirait mais qui lui sont supérieurs et donc l'impressionnent beaucoup...
L'apprentie de la Rivière ne la laissa pas terminer cette pensée, l'interrompant avec un accueil haut en couleurs. Mi surprise, mi je-m'y-attendais, Nuage de Digitale fut en proie à l'excitation de sa camarade - ce qu'elle, au final, trouvait assez sympathique.

Ils arrivèrent les uns après les autres. D’abord les chats de la Rivière, avec Feuille de Saule et Nuage de Roc, qu’elle salua d’un geste cordial de la tête. Puis le Clan de l’Ombre, avec son ami Corbeau Ensoleillé et Nuage de Digitale. Le noiraud la prit par surprise, débarqua devant elle pour lui donner une pichenette sur le museau. Vent du Nord recula d’un pas, eut un petit rire un peu trop silencieux, et lui répondit par un simple « Hey... » Elle était contente de le voir, mais n’avait pas l’énergie nécessaire pour s’énerver face à cette proximité trop extrême à son gout, ni pour se réjouir de leur présence. Elle redoutait les Étoiles. Elle redoutait les questions. Et pire encore : elle redoutait les réponses.

Amour-en-Cage fut la dernière à les rejoindre. La guérisseuse du Clan du Vent lui adressa un bref regard triste avant de se détourner. Pas le temps pour ça. Lorsque tout le monde fut enfin rassemblé elle se leva et s’engagea sans discussion dans les veines des Hautes-Pierres.

Son pouls s’accéléra d’un coup quand la pierre lumineuse se détacha de l’obscurité. Vent du Nord dégluti, puis après une brève hésitation, s’installa contre la roche froide. Elle colla son museau contre elle, et perdit conscience.

Ou presque.

Elle la retrouva dans les Étoiles. Ses pattes tremblaient — la dernière fois qu’elle était venue ici, c’était pour les neufs vies du serpent. Elle chercha désespérément quelqu’un qui pourrait lui donner des réponses, n’importe qui sauf sa famille. Elle n’était pas prête à revoir Brise Argentée, Foehn Nocturne ou Pelage de Boue.
Mais les Étoiles n’écoutaient pas. Les Étoiles n’en avait rien à foutre des états d’âme d’une pauvre mortelle. Et les Étoiles lui présentèrent Pelage de Boue.

À LIRE:

Tous les autres arrivèrent rapidement par la suite. Salutations cordiales ou chaleureuses, je hochais la tête face aux nouveaux arrivants en signe de respect. Ce que j’appréciais dans ces réunions c’était bien la paix qui régnait entre nous. Oh nous ne livrons pas les secrets de nos clans, mais c’était calme. Nous n’étions pas des guerriers excités à la moindre griffe sortie ou à un signe de nervosité. Sinon voilà longtemps que je serais transformé en carpette ! Enfin bref, mon angoisse habituelle restait alors que nous nous engagions dans les tunnels sombres. Je tentais de calmer ma respiration et mon regard de souris apeurée. Même Nuage de Roc semblait plus calme que moi alors qu’elle n’était qu’une apprentie ! Décidément, j’avais des choses à apprendre d’elle en termes de sérénité.

Finalement, la pierre de lune se présenta à nous. Aussi belle et lumineuse qu’à son habitude. J’étais toujours impressionné par elle. Ce n’était rien d’autre que la manière de communiquer avec nos ancêtres ! Mais après une longue inspiration, j’imitai les autres guérisseurs, je posai mon museau contre la roche et je m’endormis instantanément.

Je me retrouvai sur cette terre d’étoile, cette terre mystique. Tout était si étrange et pourtant familier. Ce n’était pas la première fois que je foulais cet endroit, et j’espérais à chaque réunion que ce ne soit pas la dernière. J’étais prêt à voir les étoiles. C’était l’ancienne lieutenante beige et gris bleu qui s’approcha, c’était Museau Bleu. J'inclinais la tête par respect et j'attendais ce qu'elle avait a dire.

Amour-en-Cage fut la dernière à venir. Les guérisseurs se saluaient d’un ton poli et respectueux. Je ne faisais pas attention à leur ton presque solennel. Ce sont des adultes après tout, et je ne me considérais pas comme telle, même si j’approchais l’âge où, si j’avais suivi un cursus « normal » je pourrais être baptisée guerrière et donc entrer dans l’âge des grands. Je préférais largement montrer mon enthousiasme que le refreiner.

Vent du Nord sembla bien pressée à partir, et, à peine Amour-En-Cage fut parmi nous, qu’elle commença l’ascension vers les hautes pierres. Je jetais un coup d’œil à Nuage de Digitale. Elle ferait une bien meilleure adulte que moi. Elle était déjà si calme Après tout, cela dépend peut-être seulement des personnalités. Nous discutions toutes les deux sur le chemin. Je lui demandais ainsi si cela lui faisait toujours la même chose, de venir aux hautes pierres, tout en expliquant mon point de vue à ce sujet. Pour ma part, je restais aussi excitée que la première fois. Et les hautes pierres, à chaque fois que je les voyais, me coupaient le souffle. Elles étaient si grandes, et si majestueuses ! Et puis, la vue était merveilleuse.

J’écoutais avec attention ce qu’elle avait à me dire. Mais déjà, nous arrivions. Le silence s’installa. Je souris à l’apprentie des marécages, puis trottinai pour me mettre à la hauteur de mon mentor. Sans un mot, nous nous enfonçons dans la Grotte de la Vie. Le chemin vers la pierre restait angoissant. Il faisait si noir, mais j’avais une impression très anxiogène d’être observée. Il me semblait même que les yeux jaunes brillant de Nuée d’Alcidés parsemaient les murs, seules traces de couleur dans un noir presque total… Evidemment, ce n’était que mes souvenirs qui remontaient. Je demeurais calme, en soufflant un peut-être plus fort qu'à l'accoutumée pour chasser ce malaise.

Heureusement, ce calvaire devenu routine prit vite fin. Je ne pus m’empêcher de lâcher un large soupir de soulagement, puis de rester interdite quelques instants devant la splendeur de la pierre. Sagement, je suivis mon mentor, et vint me lover contre la pierre, en posant délicatement mon museau contre cette dernière.