Dompter le Danger ft. Coup de Foudre - end

Le coup de patte de Coup de Foudre le rappelle.

« Eh. Sors de ta tête. »

Les yeux du brun-roux remontent jusqu'au visage noyé de son camarade. Même sous les flots, il distingue un rictus inesthétique barrant la gueule du bengal quand il ajoute :

« Utilise tes mots, tu veux? »

Pas vraiment.

Mais qu'est-ce qu'il veut de toute façon, si ce n'est L'enlacer comme avant tout contre son poitrail et La sentir y frotter ses joues comme elle le fait depuis qu'elle est née?

« Vas-y. »

Peu importe, pourvu qu'il le laisse.

Après tout, il n'a jamais demandé à être rejoint. Ou vu.

Confirmation.

Coup de Foudre reposa sa patte au sol, avant de lentement décrire une volte pour refaire face au Chemin du Tonnerre. Dans la noirceur de la nuit, on ne différenciait la bande délimitant la frontière avant la pierre noire que par le reflet de la rosée sur les brins d'herbe. Il trottina tout en bas jusqu'à mettre la patte sur le bitume, et puis il compta ses pas. Un, deux, comptant la distance de longueur d'une queue, une queue et demie, observant avec attention cette bande blanche qui séparait le chemin en deux. Puisqu'il restait du côté du Tonnerre, le Monstre viendrait par les Hautes Pierres.

Il s'assied, se rappelant d'un Coup de Foudre avant lui qui avait fait la même démonstration, à la lumière du jour, à Dame de Coeurs, après qu'elle lui ait donné son temps pour débattre le futur du Clan.

Il se rappelait aussi le blaireau qu'ils avaient tué, Nuage du Vent et lui, en passant exactement sous les roues d'un monstre - sous le soleil du midi.

La réaction vint à latence.

C'était la première fois qu'il testait sa technique la nuit.

Alors que le bengal se retourne, Cœur de Puma en profite pour chasser ses vilaines larmes d'un revers de la patte.

Sa grosse patte d'ordinaire imposante se transforme en embarras; compliqué d'atteindre le coin de l'œil avec pareil membre. Tant pis pour les microgouttelettes qui persistent sur son poil. Au moins maintenant, il peut distinguer Coup de Foudre sur l'asphalte.

Coup de Foudre. L'asphalte. Coup de F--

Encore cette tension dans ses muscles. Il lui faut bien s'accrocher au sol pour ne pas se jeter sur son camarade et l'extraire du danger.
Il lui faut résister, repousser cette oppressante envie de le sauver. Foutue queue qui refuse de rester tranquille.

Sans crier gare, son poil s'hérisse légèrement.

C'est pour Nuage de Rossignol.
C'est pour savoir.
C'est pour comprendre.

C'est pour que ça n'arrive plus jamais.

HRP:

Sauf les relents du passage des monstres précédents, l'air était encore frais.

Le sol, encore stable.

Coup de Foudre tourna sa tête vers le guerrier qui l'attendait sur la sécurité de la bande d'herbe. Coup de Foudre lui glissa un sourire doux, une part de lui touché par la peur qui grandissait chez le guerrier. Pas seulement celle venant du traumatisme initial, mais une nouvelle peur, celle de voir un autre camarade (heh...) mourir.

Mais Coeur de Puma n'était pas sans savoir ce que Coup de Foudre tenait à lui montrer, pas vrai? Il pencha sa tête, l'intensité dans ses yeux d'or ordonnant à son subordonné de s'asseoir, et de ne rien risquer de stupide.

Quand bien même la formule était affectée d'une variable, elle ne changeait pas. Le résultat serait le même.

Il suffirait qu'il rentre ses griffes pour se libérer de cette entrave à laquelle il se soumet de lui-même. Il suffirait qu'il bondisse une fois, deux, peut-être trois même. Il suffirait qu'il hurle à Coup de Foudre à quel point cette idée est dangereuse et stupide.

Il ferme les yeux, fort.
Ce n'est pas stupide.

Quand il les rouvre, son camarade lui tend un sourire doux. Cœur de Puma referme les yeux.
Il ne veut plus de cette douceur.

Il ne veut plus qu'on puisse l'en priver si brutalement.

Sa tête secouée en un "non" nerveux, le vétéran se ressaisit. Il a peur; il le sait, il le sent. Son cœur qui bat la poitrine, le souffle qui s'allonge, les muscles qui se bandent, et ses sens... ses sens qui se projettent sur le moindre bruit, fumet, éclat, air frais, ...

Et ce foutu sourire qui disparaît dans la lumière engloutissante d'un Monstre; ce film qu'il passe en boucle dans sa tête et le vrombissement impitoyable qui lui prend ce putain de sourire qu'il n'a pas demandé.
Il fuit l'atroce spectacle qui se joue derrière ses paupières en les levant.

Il redécouvre Coup de Foudre sur le Chemin du Tonnerre; bien droit. La légère brise crépusculaire qui caresse le poil ras du typé bengal fait contraste avec le souffle court du balafré.

Il se sent faible. Inutile.

Il suffirait pourtant qu'il soit courageux.

HRP:

Ah, enfin les premiers signes.

Les cailloux autour de lui se mirent à cliqueter sèchement sur la terre noire. Le sol, à ronronner - difficile de ne pas le faire en réponse. Toute la vibration lui prit du dos jusqu'au bout de sa queue, qui hérrissa ses poils malgré eux.

— Je suis désolé, il dit à Coeur de Puma, qu'il voyait se battre avec la dissonance cognitive prenant d'assaut le reste de son corps.

Coeur de Puma savait qu'il savait ce qu'il faisait, mais ça ne lui empêchait pas d'avoir peur, d'être terrifié. Il secouait sa tête, il battait sa queue et ses griffes étaient si crispées dans la terre sous la bande d'herbe que ses avant-mains en tremblaient. Je sais que tu as peur.

Mais ils avaient déjà eu cette discussion. À propos de l'état de sa tête, et de ce qu'elle provoquait - de ce qu'elle lui permettait de faire. Le Clan n'avait pas ses yeux sur lui, alors Coup de Foudre ouvrit grand les siens, laissant à ses babines le loisir de se distordre d'un rictus aiguisé et féroce, fléchissant les coudes, ses poils retombant sous la lumière aveuglante des yeux du Monstre qui approchait au loin.

Combien de pattes aurait celui-ci? Quatre? Six? Une fois il avait vu un spécimen qui devait bien avoir cinq paires!

Tant qu'il n'en ait pas deux. S'il en avait deux, eh bien... Ce n'est pas comme s'il aurait la chance de s'excuser à nouveau.

— ... Malheureusement, moi, ça m'excite.

Ceux qui n'ont pas une taille de guêpe possède tous un poitrail plus ou moins de la même largeur.

Leurs pattes sont équidistantes.

Ils ont exosquelette sous leur ventre,

qui fait reluire les rayons du soleil comme de la glace.

Son coeur ne battait pas plus vite que d'habitude.

Pire, il ralentissait, comme si la chose aurait pu ralentir le temps avec lui. Peu à peu l'extrémité de ses phalanges s'engourdirent sous le ronron assomant de la terre noire. En se pourléchant les babines, il laissa le souvenir de leur conversation faire effet.

La vue est magnifique.

« Je suis désolé.
- Hmph.
- Je sais que tu as peur. »

Va te faire foutre.

Même pas sûr que ces mots soient vraiment pour Coup de Foudre.

Il raffermit sa prise dans le sol. Il ne tremble plus mais sa queue ne peut s'empêcher de gigoter derrière lui. C'est dur de garder les yeux ouverts, d'accepter le spectacle. Mais Coup de Foudre a raison; il a peur.
Et ça fait si longtemps qu'il a peur...

Au moins depuis Petit Ours et le cri horrifiée de sa mère.
Puis ça ne s'est jamais arrêté.

Hier encore, il hurlait sur Louve des Bois et sa maudite insouciance.
C'est ça qui le tuera peut-être. Il s'est toujours imaginé mourir dans un combat glorieux pour son Clan. Et s'il crevait juste d'inquiétude ? Pluie Battante n'est pas mort comme il a vécu, après tout.

« [...]sement, moi, ça m'excite. »

Ouais, pas étonnant que Louve des Bois se marre devant la première vipère qui manque de mordre sa sœur avec un père pareil.
...
Est-ce que Nuage de Lézard a tout le temps peur aussi ?

Cette fois, l'asphalte ronronne assez fort pour le tirer de ses pensées.
Coup de Foudre a l'air concentré et enthousiaste. Le vétéran brun-roux se fait violence, encore : il n'a pas le droit de fuir; il faut qu'il regarde.

Il faut qu'il sache.

La différence entre le jour et la nuit était dans la visibilité.

Plus particulièrement, la visibilité du Monstre (et plus particulièrement encore, du Bipède l'harnachant sous sa carapace, mais le concept échappait encore à Coup de Foudre). Mais il y avait une troisième variable qui avait échappé à Coup de Foudre avant de tenter l'expérience la nuit.

Le jour, les yeux d'un Monstre étaient fades, à facettes comme l'étaient ceux des mouches en les observant à moins d'une distance de moustache. Mais la nuit? Il le savait, car il les avait vus de loin, leurs yeux brillaient. Fort. Trop fort. Perçant le voile obscur comme les Étoiles de la Toison une nuit sans lune. Coup de Foudre battit des paupières (sa paupière nictitante veillant à défendre ses pupilles qui s'étaient tellement rapetissées dans ses yeux qu'il les avait presque senties disparaître), remua l'arrière train et disposa ses postérieurs en ligne droite derrière lui. Au travers du faisceau lumineux, il chercha la forme distincte du poitrail du monstre pour évaluer la distance entre ses pattes et se ranger au milieu.

Un tic de la langue lui échappa. Ses oreilles s'abattirent sur sa tête, et il laissa tomber son menton contre le bitume, se protesternant devant l'insecte gargantesque, et puis ont l'englouti: une seconde il était aveuglé de lumière, l'autre, plongé dans les ténèbres, étouffant sous les sédiments de roche noire lui rappelant la poussière qui envahissait les corridors de leur stupide Grotte de la Vie. Le vent battait dans son poil et sur sa peau, mais pas seulement: une chaleur intense lui prit des coussinets en montant. Ah - il se sentit ramollir, fermer les yeux, docile, pliable, complètement amoureux.

Et puis ce sont les yeux lumineux du Monstre sur le poil sombre de Coup de Foudre. Un flash.

Un flashback.

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C'est soudain la caresse frustrée d'un père incapable de trouver la moindre chaleur sur la joue de sa fille.
Ses larmes; concentré d'émotions dont résulte une acidité brûlante.
Son souffle; entrecoupé par la morve accumulée dans ses narines et par l'arythmie de son diaphragme.
Son pelage qui, embrasé des regards de ses camarades est déjà retombé comme un nuage de cendres.
Ses muscles épuisés et tétanisés qui le font trembler de manière incontrôlée.

Les yeux fermement clos; incapables de faire face à l'horreur devant lui. Ils ne veulent pas savoir.
Il faut la revoir vive et enthousiaste. Souriante et curieuse. Il faut que le souvenir l'image de Nuage de Rossignol l'envahisse, qu'elle vive encore derrière ses paupières comme il y a de ça quelques jours seulement. Quand elle lui demandait des histoires de Tornade Vive et quand elle voulait s'entraîner avec lui.

Elle ne peut pas être morte.
Pas elle aussi.

S'en détourner ne lui arrache pas le poids monstrueux qui affaisse ses épaules, qui fait traîner ses grosses pattes dans la poussière et le force à garder la tête basse.
Et le regard désespéré de Nuage de Lézard ne lui suffit pas à remettre son masque. Comme lui, il est cassé.

Il revit la longue tâche. Le silence qui les entoure. Si un oiseau chante, alors Cœur de Puma ne l'entend pas. Il se souvient juste le bruit de leurs griffes dans la terre et la respiration saccadée de son fils qui creuse avec lui le dernier nid de Nuage de Rossignol.

Et le cortège; il l'a oublié. Il ne sait pas qui porte sa fille raide et froide.
Il ne sait plus les mots d'Amour-en-Cage ni laquelle de ses anciennes apprenties le croise du regard.

Et le temps comme la poussière de la tombe fraîchement fermée, retombe.
Et la plume brune entre ses pattes, immobile. Et sa tête baissée sur elle.

C'était l'été, quand il l'avait rencontrée, et elle avait de gros yeux — ça ne tient pas, c'est inutile, non? Tous les chatons ont de gros yeux, alors pourquoi perdre son temps à l'évoquer? Parce-qu'il avait vu quelque chose d'intéressant briller dedans?

Est-ce que ça l'avait rendue spéciale? Certainement. Est-ce que ça changeait quelque chose? Certainement pas: tous, autant qu'ils étaient, étaient susceptibles de périr - certains plus que d'autres, bien sûr, mais toutes les variables avaient optimisé sans appel l'accident de Nuage de Rossignol. Le pire, sans doute, c'est qu'elle n'était pas morte sur le coup (c'aurait été trop facile). Ils avaient eus le droit de la voir tenter de retrouver ses forces aux soins acharnés d'Amour-en-Cage et son nouvel apprenti, il avait eu le privilège d'être engueulé par elle quant à ce qui l'avait poussée sur le bitume en premier lieu, et il avait eu le privilège d'espérer (en vain) son rétablissement.

Et puis, un matin, alors qu'il terminait les annonces et que les patrouilles avaient été choisies, que les chats se dispersaient, qu'il s'apprêtait lui-même à vaquer au quotidien qui venait avec vivre en Clan, on lui annonçait que Rossignol dormait encore. Qu'elle ne se réveillerait plus. Que tout son potentiel s'était endormi avec elle, et pour de bon. Et Coup de Foudre avait sorti les griffes dans le sol de l'herbier. Et Coup de Foudre avait serré les dents, avait ronflé du nez, avait du se retenir de rouler les yeux.

S'il y'avait une chose qu'il détestait, plus que sa haine des règles stupides, des guerres inutiles, du joug des Étoiles, c'était le gaspillage.

Coeur de Puma était resté assit, sourd et muet aux louanges qui avaient été faites en hommage à la défunte. Elle avait été enterrée aux racines d'un de ces arbres qui couvait la tanière des apprentis. Coup de Foudre n'avait même pas pris la peine de lécher la terre moite à ses pattes, les yeux fixés sur le trou qu'il avait aidé à creuser, s'étant joint au rituel en silence, en respect.

S'il y avait bien une chose qu'il savait respecter c'était ceux qui deuillaient - du moins, dans les alentours du campement.

Coup de Foudre ne le regarda pas quand il fit demi-tour et tourna le dos à la tombe. Et il ne le regarda pas quand il s'assied à une distance d'une queue. Il était à ses côtés malgré quoi, voulant lui donner assez d'espace pour respirer (et s'étouffer sur sa morve, ses sanglots et ses larmes) et de choisir lui-même de briser le silence, si le coeur y était.

Coup de Foudre l'écouterait. Il l'écouterait - ne lui fallait-il pas écouter les autres pour que les autres l'écoutent en retour? Il l'écouterait - Coeur de Puma l'avait bien écouté pleurer, la dernière fois.