La vie d'adulte ft. Chardon Marbré

Sa méfiance est balayée par l'effroi lorsque, dans le miroir vert pâle des yeux d'Escargot, il se découvre un visage de monstre. L'apprenti, prostré, cassé en deux, se fige comme s'il était prêt à recevoir un coup. L'image le sonne.

Nuage de Chardon intervient, tente de tirer son ancien compagnon de tanière d'affaire. Le lieutenant se décompose sur place; toute cette dynamique le présente comme un agresseur. Évidemment, les gamins lui mentent sous la truffe en pensant qu'il n'y voit que du feu et ils en rajoutent des couches pour détendre l'atmosphère.

Un instant, il se demande s'il va vraiment vomir. Il se sent comme hors-du-temps mais ne peut décoller ses pupilles du corps tordu de Nuage d'Escargot. Même si le juvénile gris se détend un peu, l'imposant matou brun a bien du mal à se remettre de la scène, comme si elle était collée à jamais à sa rétine.

Gueule de Glouton finit par chasser ses angoisses d'un mouvement bref de la queue, détendant à son tour ses muscles un à un. Il souffle un coup dans un sourire crispé qu'il ne laisse pas trop observé Nuage d'Escargot car il se bascule vers Chardon Marbré. Ramassant bien vite son masque tombé, il lance d'un air enthousiaste.

« D'la chasse ? » son regard croise brièvement celui du nouveau guerrier. « On pourra chasser sur le retour, ça ne nous fera pas d'mal. »

Son attitude change alors assez brusquement et alors de sa queue tordue, il invite le nouveau-venu à les rejoindre.
Malgré le retour de son sourire, Gueule de Glouton est profondément dérangé par la présence de Nuage d'Escargot. Un sentiment désagréable, poisseux comme la vase lui colle soudain au poil. Un appel gênant à être gentil, avenant...

« Chardon Marbré et moi revenions sur la guerre avec le Clan du Vent et ses conséquences, avant ton arrivée. » Pourquoi ce besoin de l'inclure ?! « Tu as un avis sur la question ? » chaleureux.

Eurk, qu'on lui arrache la queue pour qu'il puisse s'étouffer avec.

HRP:

HRP:

Le problème c'est que même si on sait quoi faire ça ne veut pas dire que notre corps nous obéit. Surtout lorsque le corps a été encouragé à encaisser. Même s'il se convainc qu'il aurait pu fuir (il aurait pu. Nuage d'Escargot aurait pu, sinon, à quoi lui servaient ces longues jambes en roseau?), il sut aussi que c'était peine perdue. Que si le Lieutenant l'aurait voulu, il aurait pu casser sa queue à la racine, et sa queue, plutôt que de balotter en deux mouvements, aurait balloté en trois, ou en quatre, s'il le sentait.

Le lieutenant bouga sa propre queue et Nuage d'Escargot colla la sienne entre les cuisses. S'il se mettait à courir (il ne se mettrait pas à courir), là, au moins, elle gênerait moins ses foulées.

— D'la chasse ? On pourra chasser sur le retour, ça ne nous fera pas d'mal.

Il y avait un... problème. Le Lieutenant souriait, mais sans les yeux; il souriait avec les dents comme le Cauchemar avait retroussé ses babines. Si le mensonge de Chardon Marbré et celui d'Escargot était évident, alors la feinte bonne humeur de Gueule de Glouton l'était toute autant. Glouton agita sa queue encore, pour intimer Nuage d'Escargot à les suivre, mais Nuage d'Escargot ne bougea pas d'un moindre iota.

— Chardon Marbré et moi revenions sur la guerre avec le Clan du Vent et ses conséquences, avant ton arrivée. Oui, il savait. Il les écoutait depuis le début. Tu as un avis sur la question ?
— ...?

Consterné, Nuage d'Escargot harponna aussitôt son attention vers Chardon Marbré, mais ce-dernier s'était fermé la gueule. Non, ça n'allait pas. D'habitude, Chardon Marbré avait toujours des mots pour lui, il prenait toujours la tête de la conversation, c'était normal, c'était le fils de la cheffe, il était un peu "petit-chef" même si tout le monde savait qu'il détestait ça mais, quand même.

Quand même — la consternation de Nuage d'Escargot s'empreint de tristesse.
Il aurait pu faire un effort.

Pour Nuage d'Escargot, qui comprit tout en même temps qu'on lui demandait à lui son avis (à lui?), qu'on lui demandait à lui de mettre en mots ce qu'il ressentait, qu'on lui demandait à lui d'ouvrir la gueule, il se sentait comme trahi. C'était un piège. Il dirait quelque chose, et Griffe de Jais— Gueule de Glouton lui retournerait sa voix contre lui pour l'écraser.

C'était... C'était ce qu'il faisait tout le temps -- Griffe de Jais, pas Glouton.

Plus il y pensait, plus le débit dans sa tête s'accélérait, plus sa fausse placidité s'efritait et plus son dos cassé se soulevait avec le poil. Nuage d'Escargot avait sorti les griffes en posturant devant le Lieutenant lorsque ses émotions débordèrent malgré lui. Il retroussa ses babines de l'exacte-même façon que ses bourreaux lui avaient appris:

— Ils    CRÈVENT.

Il feula au lieutenant. Son nez lui faisait mal, ses pattes lui faisaient mal, et là sur son poitrail se trouvait encore la marque des dents de cet enfoiré des Landes qui avait tenté d'le bouffer vivant. Se prendre des coups ça allait - il savait, désormais, que Griffe de Jais ne le tuerait jamais (qu'il était plus utile vivant que mort), mais le souvenir de la boue la moiteur et les dents dans son corps lui avait fait réaliser qu'il ne voulait pas mourir. Ou que s'il mourrait, il ne voulait pas en avoir conscience.

Nuage d'Escargot cilla, reculant la tête avant de l'abaisser et enfin détourner les yeux, ravalant bruyamment le fond de sa pensée.

— ...M'sieur.

Quel idiot; il s'était laissé agiter. Il passa les battements suivants à se calmer et chercher son souffle qui avait commencé à s'affoler. Ils ne se battaient plus. Les chutes d'eau étaient toutes près. Les chats de son (?) Clan lui voulaient peut-être du mal mais jamais comme ceux du Clan du Vent. Mais est-ce que ça devait être un soulagement? De penser qu'il y avait pire ailleurs? Que toute la somme de sa souffrance ne valait, au final, qu'une seule goutte de sang dans tout l'océan?

Merci Chicken!!!

Il a toujours eu l'air bizarre, le rejeton de Jais. L'air, parce que Gueule de Glouton ne s'y est jamais vraiment intéressé; sans doute parce que petit un, c'était un chaton et petit deux, parce que son père est parmi les chats les plus méprisable du Clan et enfin petit trois, il est pas franchement intéressant, n'est-ce pas ?

M'enfin bon, en dehors de ce physique déplorable (de longs membres fins, une allure désarticulée...), il y a aussi cet aspect misérable. Nuage d'Escargot estl'ombre de son père, pas au sens commun mais plutôt comme quelque chose qu'on piétine sans en avoir quoi que ce soit à faire -parce que c'est une ombre, non ? qui en aurait quelque chose à faire ?

Enfin, forcé de constater qu'il n'a pas juste l'air bizarre, le rejeton de Jais. Puisqu'après avoir glissé un regard de détresse à son copain le fils de la chef, il ne sait répondre qu'un feulement non-maîtrisé à son lieutenant -lequel au passage était quand même bien sympa de l'inclure dans leur discussion à la base-. Puis de s'affaisser, de redisparaître, de redevenir une ombre écrasée.

Gueule de Glouton a le temps de cligner quelques fois des yeux, s'interdisant de glisser à son tour un regard de détresse à Chardon Marbré, ne serait-ce que pour demander si tout est bien normal.
Puisqu'évidemment non, ça ne l'est pas. Enfournant sa gêne dans un air faussement pensif, il rebondit :

« Ouais alors... » Il se raccroche à son masque. « la haine, c'est une conséquence en effet. » C'est dur de faire la conversation avec ces deux-là, quand même. « La peur vient souvent aussi; on intensifie les patrouilles, on montre les ventres bien ronds et les jeunes costauds comme toi » il glisse un regard vers Chardon Marbré « aux frontières, en guise d'intimidation. Quoi d'autre ? » aux deux.

HRP:

— Ouais alors... la haine, c'est une conséquence en effet.

...Est-ce que la haine était une conséquence à la guerre, ou avaient-ils perdus la guerre parce-qu'ils ne haïssaient pas assez? Nuage d'Escargot se renfrogna, gardant ses mots derrière ses dents on ne peut plus serrées.

— La peur vient souvent aussi; on intensifie les patrouilles, on montre les ventres bien ronds et les jeunes costauds comme toi (comme Chardon, bien sûr, pas comme lui) aux frontières, en guise d'intimidation.
Quoi d'autre ?

Qu'est-ce qu'il leur voulait de plus? C'était évident, ce qu'il y avait d'autre, non?

— J'imagine... Que l'ambiance sera tendue, à la prochaine assemblée, tenta Chardon Marbré. Après ce que le Vent nous a fait.

Les conséquences de la guerre c'était Morsure du Requin qui ne riait plus, c'était la peur qui coulait dans leurs veines, c'était la sensation d'étouffer sous la surface, en apesanteur, de battre les pattes et se les emmêler dans les algues, c'était...

— Qu'il faudra se montrer prudent... Étoile Déchirée voudra prouver que nous sommes encore forts malgré nos pertes. Elle choisira sûrement les... Costauds, oui.
— Ils  crèvent, répéta Nuage d'Escargot, sans regarder l'un ou l'autre interlocuteurs, les yeux tournés sur un futur où ses pattes lui brûlaient encore plus qu'à l'instant, où ses griffes versaient le sang avec une facilité qu'il n'aurait peut-être jamais. Et comme ça tombait bien pour un chat qui ne voulait plus être lui-même. Un chat qui ne voulait plus seulement un nom de guerrier (une émancipation) mais une autre identité.

Son coeur s'était serré à la pensée - de dégoût, de peur, de confusion, mais surtout, surtout d'un excès de haine. À la prochaine assemblée, il répéta, reprenant d'abord les mots de Chardon Marbré, on devrait tous les  tuer.

Il ferma les yeux, soufflant par le nez. Gueule de Glouton avait voulu son "avis sur la question", qu'il regrette de l'avoir directement impliqué. Nuage d'Escargot se serait très bien suffit de suivre leur discussion sans y donner sa voix. Parce-que c'est comme ça qu'elle sonnait, sa voix. Porteuse d'une violence qui l'effrayait et qu'il haïssait mais qu'on lui avait injectée dans chaque ecchymose, griffure, ou morsure sur son corps.

Merci Chicken!!!

Au moins, Chardon Marbré l'aide un peu à rebondir. Bien sûr que cette conversation est fade et dénuée d'intérêt : les conséquences d'un tel acte de guerre sont évidentes pour le commun des mortels. Seulement voilà; si le tricolore lui répond comme un bon soldat, le maigrichon de Jais recommence ses bizarreries de tueur.

Cette fois-ci, c'est trop étrange pour ne pas le relever et le lieutenant glisse un regard à son camarade "jeune et costaud". Nul besoin de le consulter pour savoir ce qu'il en pense; encore une fois, l'évidence est là. Il est au moins sain d'esprit, le gamin de leur chef un peu écervelée. Les yeux du brun trahissent une inquiétude plus profonde. Nuage d'Escargot a l'air d'un putain de cinglé. Qu'est-ce qu'il aurait aimé pouvoir dire que c'est sans doute un problème de mentor; mais non puisque Griffe Blanche est à des kilomètres de ce genre d'idées.

« Tuer pendant l'Assemblée ? » Il stoppe le pas net, invitant de sa queue les deux autres à l'imiter. Ses iris vertes s'arrêtent à leur tour sur le rejeton, comme s'il lui fallait la voir pour croire à sa folie. Ou alors peut-être cherchait-il un air familier.

Le contact est intense mais très vite interrompu puisque le lieutenant se tourne vers Chardon Marbré et d'un ton plus autoritaire : « Explique pourquoi on ne tue jamais, on ne mord jamais, on ne griffe jamais; bref, on ne se bat jamais à l'Assemblée. »

HRP:

— Tuer pendant l'Assemblée ?

Nuage d'Escargot ne bronche pas, mais il ne revient pas sur ses mots. Gueule de Glouton n'est pas effrayé, ou fâché, ou déçu. Nuage d'Escargot a les yeux fermés. Sans affronter la terreur qui vient avec une expression faciale, Nuage d'Escargot l'entend, et il la reconnaît: dans la voix de Gueule de Glouton, c'est de la condescendance.

"Rebut", ne dit pas Gueule de Glouton, mais ça aussi, malgré ses oreilles molles, Nuage d'Escargot l'entend.

— Explique pourquoi on ne tue jamais, on ne mord jamais, on ne griffe jamais; bref, on ne se bat jamais à l'Assemblée.

C'est Chardon Marbré qui répond (c'est Chardon Marbré qui est guerrier).

— A cause de la trêve, il dit. Les Étoiles nous regardent pendant l'Assemblée, et nous accordent ce temps pour discuter avec les autres clans. Elles seraient furieuses si... Quelque chose comme ça se passait.

Nuage d'Escargot, quant à lui, ne dit rien. Car ce n'est pas seulement les yeux de Gueule de Glouton qu'il veut éviter.

— Personne à la Rivière n'enfreindrait cette règle. Même si on est tous très remontés.

À l'entente de ces mots, ses poils frisés se hérissent sur la crête de son dos; il reste assit, il ne bouge pas, n'ouvre pas les yeux. Seulement la bouche.

— ... Et personne du  Vent? il crache, suintant de sarcasme.

Merci Chicken!!!

HRP:

Gueule de Glouton roule ses orbites vers le ciel dans un soupir désespéré. Déjà qu'il venait d'interrompre sa tentative maladroite d'alerter Chardon Marbré sur l'état de sa sœur, le rejeton de Jais ne trouve pas autre chose à dire que des conneries qui feraient hérisser le poil de n'importe quel guerrier pas trop consanguin.

Ça lui fait penser.
C'est qui déjà, les parents de Queue de Quenouille ?

« ...
Elle t'apprend quoi, Griffe Blanche ? »

' s'agirait peut-être pour lui de changer de mentor. Ce serait une sacrée paire de pattes d'explique à Étoile Déchirée pourquoi sa propre sœur est incompétente mais ça se fait.

« Il est arrivé une seule fois que la trêve soit brisée. C'est le Clan du Tonnerre allié aux Lunar Pods qui ont essayé de tendre un piège aux autres Clans. Tu sais comment on l'a appelé, cette Assemblée ? La Lune Rouge. » Il veille à ce que le novice sarcastique ouvre bien grand ses énormes oreilles. « Ils se sont fait massacrer par les trois autres Clans, "guidés par le Clan des Étoiles". » Il dit ces derniers mots non sans cynisme. « Étoile de Suie -la cheffe du Tonnerre à ce moment-là- s'est fait arracher toutes ses vies par les chefs de l'Ombre, de la Rivière et du Vent. » Même si bon, le titre de meneur au Vent était encore discuté. « Ils ont mis des générations à se remettre; et c'est bien fait. On rompt pas la trêve, jamais. »

Et puis alors, il commence à douter et rajoute, soudain très léger : « Ils vous en ont pas parlé, vos mentors ? »

Si le Goujon en a même pas causé avec son apprenti, alors qui ? Il n'est pas du genre à se soucier de la vie du Clan -ni même de sa santé, pour être honnête tant qu'il bouffe à sa faim- mais voir un vieil apprenti aigri et déséquilibré comme ça, ça craint.

Il aurait préféré tomber sur des chauds du cul, un peu comme le minot du Tonnerre qu'il a croisé la dernière fois.
'font quoi les jeunes de nos jours ? ils baisent même plus, ils veulent juste se crever les yeux...

Oh non putain c'est bon, je suis vieux.