NOTHING'S QUITE THE SAME

ft. Le Clan

Ils s'impatientaient; ils étaient de plus en plus violents, assoiffés, couinants et gloussants, comme une mer de crocs et de griffes. Lui, se tenait devait tout ses camarades, faisant barrage avec son corps large et sa fourrure épaisse. Petite Fourmi s'était redressé, mais il était salement amoché, le combat devait vite prendre fin, s'ils voulaient en ressortir vivants. Se redressant dans un rugissement digne d'un lion, il se dressa sur ses pattes arrières, alors que son ventre devenait une cible pour certains des rongeurs. Retombant lourdement, il écrasa tout ce qui passait sous ses pattes à cet instant; un, deux, trois ou quatre rats, il sentait les os se briser sous la pression.

Il appliquait le plus de pression qu'il pouvait, basculant le poids de son corps sur ses antérieurs. L'adrénaline faisait battre le sang dans ses tempes, les crocs dévoilés, il grondait comme l'orage. Alors qu'il finissait d'abattre les quelques malheureux coincés sous ses doigts, plusieurs profitèrent de la chance pour s'agripper à sa fourrure, creuser dans cette dernière dans l'espoir d'atteindre sa peau claire. Son ventre était assaillit; les rongeurs s'agrippaient à sa peau, la perçant avec une facilité déconcertante. Rugissant, il fit volte-face, tournant sur lui-même dans l'espoir de les faire lâcher. Il pouvait sentir l'un d'entre eux; un au corps gras, aux dents brillantes; il le voyait du coin de l'œil, accroché au dessous de son coude, avec ses petits yeux luisants de haine. Il sentait sa chair rompre sous chacune de ses mastications, ses griffes s'accrochant à sa fourrure rousse.

Alors qu'il tentait de déloger son assaillant, en vain, d'autres en profitaient pour revenir à la salve, s'attaquant à ses cuisses, à son ventre, à sa gorge; et pour une fois, il était des plus reconnaissants d'arborer sa longue fourrure épaisse, bien que cette dernière était entrain d'être dépecée. Son poils volait dans tout les sens, s'arrachant jusqu'à ne laisser que des trous ouverts sur sa peau. S'il en ressortait vivant, ce serait dans un très mauvais état, et il le savait. Il faisait tout pour les tenir éloigner de son visage; mais il était assourdit par ses propres battements de cœur; il voyait rouge. Sa tête tournait dans ce carrousel qu'il s'imposait; il la voyait elle, et sa pelisse aussi blanche que la neige, resplendissante comme la seule étoile dans la nuit. Il devait la protéger; elle et les autres. Alors il ne s'arrêtait pas, bien que son endurance lui faisait défaut, que son souffle devenait rapidement court. Il perdait la main, comme cela fut le cas dans l'incendie qui avait tué Regard de Braise.

Rugissant de plus belle, il balançait ses pattes autour de lui, ses longues griffes raccrochant ce qu'elles pouvaient; éloignant l'océan de rats devant lui, les repoussant du mieux qu'il le pouvait. Et il n'était pas seul, car tous se battaient comme des lions. Mais tous commençaient à fatiguer, et bientôt ils seraient submergés. Repoussant une nouvelle fois une vague de rongeurs, il profita de cette ouverture pour se retourner dans l'espoir d'hurler à ses camarades de s'enfuir. Mais il s'empierga dans les rongeurs qui grouillaient à ses pattes, s'écroulant dans un bruit lourd, son menton frappant le sol avec force.

Tentant de se redresser, il avait du mal à garder ses esprits; mais la douleur vive des multiples morsures et des multiples blessures le forçait à garder les yeux ouverts. Dans son combat vain pour se hisser de nouveau sur ses pattes, il pouvait voir du mouvement au loin; sa vision était floue, mais il le reconnaîtrait entre milles, lui qui lui avait tout apprit. Ils étaient enfin là. Les renforts.

Par delà l'amalgame de couinements et de cris les ordres d'Étoile Feulante s'élevèrent, annonçant l'arrivée inespérée des renforts. Forte de plusieurs guerriers la patrouille de recherche brisa les vagues de rongeurs à coup de crocs et de griffes. L'effet de surprise ébranla la témérité des rats, suite à quoi ils commencèrent à se montrer plus hésitants et d'avantage fugaces dans leurs attaques. L'usure devait aussi venir à bout de leur agressivité, il suffisait de lancer un regard à Petite Fourmi pour comprendre que la bataille sévissait depuis de longues minutes déjà.

Feulement était persuadé de ne jamais en avoir vu autant. L'ennemi s'extirpait des carcasses rouillées du charnier comme une colonie d'insectes, tant et si bien qu'il ne remarqua pas de suite le corps meurtri de son ancien apprenti. Couvert de boue et de sang, il tentait désespérément de se redresser sur des pattes tremblantes, croulant sous les morsures acharnées de ses assaillants. Le roux de son pelage disparaissait presque derrière les poils gris des rongeurs, à le voir on aurait pu penser le misérable condamné.

Les rats étaient bien trop nombreux pour la petite escouade qui était initialement venue à la rescousse des deux frères, pourquoi étaient-ils encore ici? Pourquoi n'avaient-ils pas pris la fuite?!

Après s'être débarrassé du corps du rongeur qui se tortillait entre ses mâchoires, le chef de l'Ombre pivota pour faire face au reste de ses soldats.

" SORTEZ-LES DU CHARNIER! "

Il bondit à la rescousse du combattant fauve, faisant usage de ses canines afin d'arracher les nuisibles qui s'étaient accrochés à lui. Ils l'attaquèrent aussi, poussant Étoile Feulante à abandonner ses efforts à deux reprises afin de se défendre. Il tourna sur lui-même, frappa, déchira et cracha jusqu'à que les bestioles épuisées finissent par trouver refuge sous les décombres.

" Lève-toi! "

Ordonna t-il à Brasier tout en agrippant son échine par ses crocs afin dans le tirer vers le haut. Le geste était brutal et sec mais, comme tous, l'adrénaline pompait dans ses veines au rythme accéléré des battements son cœur. La douleur qu'engendrait les quelques attaques qui étaient parvenus à percer son épaisse pelisse ne faisait qu'exacerbé son agressivité.

Le charnier se vidait progressivement et plusieurs chemins s'étaient ouvert vers le couvert de la pinède.

Comme toutes les semaines depuis l’accident, Grenouille se rendait à la Rivière, afin de « rééduquer » (c’était la le terme employé) sa patte avec l’aide de Chardon Marbré. C’était devenu une sorte de routine, à force, et c’est ainsi qu’elle ne s’était jamais rendue compte que deux petites âmes l’avaient suivie.
Il avait fallu attendre son retour au camp, où il avait trouvé Petit Moustique seul et désemparé (et aussi sûrement fâché, mais il s’occuperait de tirer les moustaches de ses frères à leur retour). Petit Pigeon et Petit Crapaud avaient disparu du camp — comme Petit Croc avant eux, bien des lunes plus tôt.

La guerrière avait immédiatement pris au sérieux les paroles du fils de Branche Pâle, n’avait même pas pris la peine de fouillé le campement, et s’était précipitée pour trouver Étoile Feulante. Crocs Féroces avait suivi. Les félins s’étaient séparés — de nombreuses odeurs se chevauchaient, il était difficile de les pister efficacement. Jamais, depuis l’agression, Grenouille n’avait couru aussi vite. Elle sentait sa patte blessée chauffer — tous les muscles, les tendons et les os — presque la brûler, mais sans jamais lui faire mal. Un mélange de la rééducation et de l’adrénaline, aussi, qui devait inhiber la douleur. Cette chaleur était aussi un moyen pour son corps de la prévenir : tu y vas trop fort !, mais elle avait choisi de l’ignorer. Il y avait un temps pour tout, et celui ci ne lui permettait pas de s’inquiéter pour ses blessures.

C’est un feulement puissant qui avait alerté Grenouille. Son cousin avait trouvé les petits.
Mais pas que.
La petite guerrière arriva sur la scène : des rats, partout. Du sang. Partout. Des guerriers blessés, partout aussi. Et surtout — [i]surtout[/] — ses petits, les petits de Branche Pale dont elle avait pris la responsabilité, seuls, isolés et tétanisés. Blessés.
Du moins, Grenouille les voyait seuls, mais ce n’était pas la réalité. Loin de là. La peur panique de les perdre, les griffes acérés de son traumatisme jusque là maitrisé par la responsabilité des petits qu’elle avait endossé et qui occupait toutes ses pensées jusqu’à ne plus laisser de place à l’agression se plantait dans son dos au point de la faire souffrir. Les chatons étaient entourés, protégés des rats par Nuage de Nacre, Petite Fourmi, Orage d’Or, et Brasier Caniculaire.

La plupart des rats l’ignorèrent, la contournèrent ou lui passèrent par dessus. Un lui mordit la queue, mais elle le poussa d’un coup de patte pour foncer vers les chatons.

— Pourquoi vous n’avez pas fuit avec les petits dès que vous les avez trouvé ?! s’écria-t-elle.

La scène parlait d’elle même. La patrouille les avait trouvé la, et, au lieu de les prendre et de s’enfuir, ils avaient décidé de combattre l’invasion.

— Vous avez de la bile de souris dans le cerveau ou quoi ?!

Il était rare de voir Grenouille énervée, le pelage gonflé et les oreilles plaquées. Mais comment était-elle censée réagir ? Voilà le résultat de leurs actions : des chats blessés pour rien, des chatons traumatisés et apeurés qui auraient sans doute bien du mal à s’endormir paisiblement durant les prochains jours — comme si les petits de Branche Pale avaient besoin de ça !

Elle s’en voulait aussi à elle même — elle aurait du rester pour les surveiller, pour veiller sur eux. Du sang coulait de l’oreille arrachée de Petit Pigeon, et du sourcil entaillé de son frère. Il fallait ajouter à cela un certain nombre de plaies superficielles.
Si Grenouille, qui croisa au loin le regard de Crocs Féroces qui venait d’arriver, aurait aimé se jeter vers ses chatons, les faire monter sur le dos de leur autre parent adoptif, et les amener loin d’ici, elle ne le pouvait pas : les chatons étaient trop bien entourés par leur garde rapprochée.