Une Aprèm Père-Fils

C'était chose commune, désormais, de le voir passer à côté de "son" antre sans même y mettre le nez. Ce n'était pas "son" antre. Ça ne l'avait jamais été. Il détestait cette alcôve et il détestait ce rocher sur lequel il était forcé de s'asseoir à chaque aube. Non, Étoile Foudroyante préférait ce qui se trouvait derrière, en bordure de la palissade. Un orme tout en hauteur aux branches paresseuses, qu'il s'était amusé à casser, tirer, assouplir, pour se construire une espèce de logis dedans. Il avait repris plaisir à décorer ses branches d'un rideau de lierres (comme dans sa renardière...), s'acapparant de toutes sortes de fleurs, mousses, de plumes... Il n'avait pas un nid, à proprement parler, jamais il n'inviterait un amant à dormir avec lui, ici, mais les nuits étaient moins froides depuis qu'il avait commencé son petit projet de déco.

« Ici » il lança à son fils, en dessous.

Étoile Foudroyante se donna un dernier élan des postérieurs pour remonter et écarter le rideau de lierres. De l'autre côté, son "nid" était en désordre, mais ce désordre, c'était le sien. Il leva le nez sous le plafond de branches pour saisir une queue touffue par les dents et la tirer — le corps de l'écureuil glissa et retomba d'un son mat sur l'étroit noeud d'écorce qui tissait le "plancher".

— Personnellement je préfère le sycomore, mais j'en ai assez de me geler les pattes pour aujourd'hui.

Pour ajouter la parole à l'action, le bengal s'ébroua, puis se rangea dans un coin du fouillis en se nouant en petite boule de chat charcoal. Son poil se gonfla sur son corps.

— Tiens, en parlant de ça. Il tendit les pattes vers l'écureuil, le tira sous son poitrail pour le couver comme une poule. Je ferais mieux de le réchauffer!

Dans l'étroitesse de son "nid", son ronron était encore plus bruyant, amplifié par le doux cliquettis des branches.

— Huh?
— Hm?

Lycaon se suspendit dans son geste, c'est à dire une patte dans son rideau de lierre, les yeux ronds, l'air aussi incrédule qu'interloqué. Étoile Foudroyante étouffa un rire, se contentant d'un souffle par le nez: whoaoh, sans la pelisse, la mauvaise santé, et les oreilles tombantes, Lycaon aurait pu être son parfait reflet. Il secoua sa tête à son tour, laissant son fils retomber sur ses pattes (figurativement et littéralement), retrouvant sa contenance dans toute cette... absurdité.

Le rideau de lierre se berça, libéré, et Étoile Foudroyante ferma ses yeux pour se concentrer sur sa tâche importante de réchauffer l'écureuil.

— J'en connais certains qui ne seraient pas ravi de savoir que tu laisses des proies ici.
— Je les enterre aux racines, à la fin de l'automne. En prévision pour la mauvaise saison.

Le froid les préserve bien, mais...

Pour terminer sa pensée, il remua des coudes et des jarrets en se nouant plus serré sur l'écureuil.

— Tu es au courant que je n'y toucherais quasiment pas de toute façon?

Étoile Foudroyante haussa les épaules, ce qui, dans cette position, lui désaxa l'échine et lui fit abaisser la tête.

— C'est pour ça qu'on partage, non? Ça me rassure de te voir manger. Je crois que t'ai trop souvent vu recracher.

Qu'il eut s'agit du lait de Fifi ou de celui d'Ourse Polaire, la petite boule de poils tricolores avait plus souvent une grimace en face que les visages apaisés de ses frères et soeurs, du moins, entre les trous de ses souvenirs. Étoile Foudroyante gloussa pour lui-même. Haha.

"Grimace du Lycaon".

— Si j'avais eu vent de tes talents de décorateur, je t'aurai invité à venir embellir la pouponnière.
Étoile Foudroyante redressa les oreilles, observant Lycaon faire le tour du domicile.
— Nan, on est d'accord, ça manque de passiflores au plafond, il lui renvoya, secouant sa tête à la pensée de se faire cafter bien plus tôt par le Clan quant à sa collection d'amants d'ailleurs.

C'est alors que Lycaon le prit de court.

— J'aime bien, il lui dit simplement. Le tête du bengal rebondit. Il observa, penaud, son fils se coucher tout près, s'enroulant dans le même genre de miche de chat que lui.
— ... Whoa, attends, t'es sérieux?

Lycaon était si friand de sarcasmes qu'il lui était difficile de trier le faux du vrai. Le bout de sa queue, collée à son épaule, s'agita comme la sonette d'un serpent.

— C'est un peu le désordre, si tu veux mon avis... Une certaine lourdeur transparut dans ses yeux, et son ronron perdit d'intensité. Je sais pas, chaque fois que j'ai envie de décorer, je me dégonfle. Un rire faible. Je peux pas m'empêcher de la comparer à ma renardière.

Qu'elle sera jamais assez bien, quoi.

— Si tu la vois comme un remplacement , ça ne sera jamais assez bien, c'est évident.

Le sourire du bengal s'affaissa dans son visage. Il baissa le nez aux pattes qu'il avait replié sous son corps.

— Faut plus le voir comme un nouveau chez toi, même fonction mais différente esthétique, différente histoire.

Lycaon se gratta négligemment l'oreille, sans honte aucune. Étoile Foudroyante, dans la même idée, se permit d'abaisser les siennes. L'histoire, il ne voulait pas la changer — non, ce n'y était pas. C'était comme sa curieuse façon de le comparer à la rivière, suivant son cours, ne s'arrêtant jamais même quand elle s'immobilisait dans de la glace, ou se déchaînait en automne. Lycaon l'avait comparé à une Force de la Nature — ça avait toujours été dans son nom, "Coup de Foudre", double-tranchant entre un tombeur au charme factice et un redoutable chasseur d'Eurêkas — mais il manquait une nuance dans cette comparaison qui lui fit froncer les sourcils et se perdre dans une mer de définitions.

Après tout, une "Rivière" ne pouvait pas se noyer dedans...

Étoile Foudroyante ne voulait pas d'une différente histoire, il voulait la même. Il voulait tapisser son arbre de souvenirs de tous les jours qu'il avait vécu et de tous les chats qu'il avait rencontrés, de tous leurs noms, leurs rêves.

— Tu veux de l'aide?

Il pointa hautes ses oreilles, faisant rebondir ses stupides poils calcinés dedans, et un coup de vent les brusqua dans ses yeux. Il s'empressa de sortir une patte de sa miche pour chasser l'indésirable tout en maintenant un juron entre les dents, reposant ses oreilles en les détournant chacunes vers l'extérieur.

"Quand c'est demandé si gentiment"...

Étoile Foudroyante chassa son script habituel d'un battement de l'oreille.

— Sincèrement? Non.

Ce qu'il voulait, c'était marcher à reculons et retrouver tout ce qu'il n'avait plus. Tout ceux qu'il avait perdu qui lui alourdissaient le coeur, avec leurs vies, leurs valeurs, leurs foutus souvenirs - et s'il les oubliait? Il n'y aurait jamais assez de fleurs, assez de comptines, assez de mnémoniques pour se rappeler d'eux tous. Étoile Foudroyante savait que c'était impossible.

Son sourire, dans lequel il s'efforça de montrer les dents, parut se fragiliser.

— Ben quoi? Tu viens de dire que ton nid est dans un pire état que le mien!

Pendant ce temps, la carcasse de l'écureuil qu'il couvait toujours passait tranquillement d'un état "frigorifié" à un état "frigorifié-à-tendance-tiède".

HRP:

La question fit relever les oreilles du père. Etait-ce par surprise, interêt, autre chose? Il n'était pas encore capable de le déduire, et tandis que Lycaon y réfléchissait, il fut arreter par l'observation d'un autre mouvement consistant à chasser d'une patte les poils calcinés. Il les avait remarqué, bien sur, en plus des poils devenus roux. Il s'était demandé ce que cela faisait d'être foudroyé, mais la question serait plus utile sur l'après, la réalisation de ce qu'il se passait. Car c'était si soudain qu'on ne sentait probablement pas grand chose. Il demanderait, un jour, ou même plus tard quand celle-ci reviendrait dans sa tête.

— Sincèrement? Non.

Pas d'intérêt, donc. Tant pis. Il faudrait que Foudre se trouve un autre manière de se motiver (mais en avait-il réellement envie?)

— Ben quoi? Tu viens de dire que ton nid est dans un pire état que le mien!

Le calico émit un petit reniflement amusé à la pique. C'était sur le ton de plaisanterie avec un sourire quelque peu fragile qu'il vit bien, mais cela n'avait pas toujours été le cas. Pas sur un nid, mais sur lui. Lorsqu'il avait fait ses débuts à la pouponnière, il avait eu droit à quelques remarques (directes ou indirectes) sur sa pelisse, et en conclusion sa capacité à prendre soin de quelqu'un d'autre quand il semblait incapable de le faire pour lui même. Comment une mère pouvait laisser la toilette de son chaton au bon soin de quelqu'un qui ne faisait pas la sienne. Il avait fait des progrès depuis, surtout quand il habitait la pouponnière, les petits malins qui n'en voulaient pas sachant très bien utiliser ce fait comme argument.

"Il faut cependant croire que je suis plus capable de prendre soin quand il s'agit des autres que de moi-même" Il sortit une de ses pattes de devant et l'étala devant lui avant d'y poser sa tête. "Mais d'accord."

Parler renardière était visiblement un sujet qui touchait Etoile Foudroyante et un chat plus "gentil" aurait peut-être cherché à dévier le sujet pour quelque chose de plus réjouissant. Mais en dehors des chatons, Lycaon ne se considérait pas comme quelqu'un de gentil.

"Elle était comment cette renardière, qu'est ce qui la rendait irremplaçable?"

Un reniflement d'amusement, de la part de Lycaon, c'était presque un rire. Presque une victoire, donc. Étoile Foudroyante la prit sans fanfare, s'affairant à réchauffer leur repas à venir.

— Il faut cependant croire que je suis plus capable de prendre soin quand il s'agit des autres que de moi-même, lui dit Lycaon, prenant ses aises dans son logis en abaissant sa tête sur sa patte. Mais d'accord.

Son père ronfla du nez sans se rendre compte qu'il riait à son tour.

— T'essaies de piquer ma curiosité, toi, il lui renvoya, miroitant la position de son fils en s'aplatissant le menton sur la patte opposée.

— Elle était comment cette renardière, qu'est ce qui la rendait irremplaçable?

Que sa question n'ait été sincère ou non importait peu à Étoile Foudroyante, elle lui arracha un sourire malgré quoi. Un tressaut dans son corps, et il s'oublia un instant comme chef, respirant l'air de l'époque où il était encore Coup de Foudre Coup de Foudre, ce Coup de Foudre-là.

— Déjà, on l'avait volée à un renard, Waffle et moi. Il ne s'était pas rendu compte que son ronron s'était afaibli. Il m'a enseigné — non.

Je l'ai mis au défi — hm.

Étoile de Suie —...

Ça se mélangeait, dans sa tête. Ses souvenirs lui inventaient des chats qui n'existaient pas en fusionnant des noms ensemble. Ce n'était pas facile à départager, mais avec l'aide d'Arc-en-Ciel, depuis qu'il lui avait raconté les moults détails de sa Cérémonie des Neuf Vies, ainsi que l'aide de Source Fleurie, qui lui avait toujours servie d'Aide-Mémoire, il arrivait à recoller au moins quelques morceaux.

Il prit une grande respiration, et reprit.

— C'était quand Étoile de Suie avait kidnappé les chatons du Géant de la Rivière, Étoile de Pierre. En gros, l'un d'eux s'était sauvé. Je crois que je n'ai jamais vu un chaton aussi déterminé d'aller mourir.

Un renard lui est tombé dessus — le genre d'histoire qui arrive tout le temps.

En fermant les yeux, il revoyait la scène: lui sur cette branche, immobile, assistant au renard bondir en l'air et plonger.

Petite Améthyste était morte, ce jour-là, sans que Coup de Foudre ne fasse quoi que ce soit.

— En l'apprenant, Étoile de Suie était furieuse. Ça gaspillait des otages, qu'elle disait, et personne n'osait la contredire. Personne... sauf Waffle.

Lentement, il posa son coude dans les brindilles, puis sa joue dans sa patte, prenant cet air rêveur.

— Il était magnifique, Lycaon... Il lui a carrément hurlé dessus! Je n'avais jamais vu quelqu'un montrer ses dents à Étoile de Suie sans qu'elle ne les lui fasse ravaler. Lui, cet ancien domestique qu'elle avait invité dans le clan, déclara qu'il le chasserait, ce renard, et moi je demandais de voir ça.

Il retint un petit rire.

— Je l'ai suivi par les branches jusqu'à ce qu'il l'appâte sur le Chemin du Tonnerre. C'est là que c'est arrivé, s'emportant dans l'histoire, Étoile Foudroyante roula sur le ventre en aplatit ses deux avant-mains dans les brindilles, se positionnant face à son fils. Le monstre a surgi et Waffle s'est écrasé - il s'accroupit brusquement - et ce veinard lui a glissé entre les pattes!

Simultanément il était Étoile Foudroyante, son père, mais aussi Coup de Foudre sans répit et le Petit Conteur de la Pouponnière. Il piétina sur ses pattes avant de se recoucher en petite miche serrée sur l'écureuil, reprenant son ronron de confort.

— Waffle était indemne et ce qui restait du renard était étalé sur la pierre noire. Je suis descendu, Waffle est allé me rejoindre, et ensemble, on l'a trouvée: une renardière sans son renard.

Prête à être réaménagée.

HRP:

Un sourire, plus sincère semblait-il, éclaira le visage de son père. Et puis, c'était comme s'il avait enclanché quelque chose. Les débuts étaient complexes, pleins de stops et de reprises, de réflexion. Lycaon ne bougea que le bout de sa queue, incitant à la poursuite. Ensuite, ce fut le flux, l'histoire se déroulait, et c'était comme si Etoile Foudroyante revivait la scène. Par les mouvements, les regards. Et quelle histoire! Elle faisait appel à des noms qu'il n'avait pas connu, mais entendus, des récits évoqués mais jamais racontés. La terrible Etoile de Suie (mais ancienne compagne d'au moins un soir de Foudre), l'enlèvement des chatons, la mort de l'un d'eux, Graine de Tournesol (qu'il avait réussi à relier au nom Waffle d'après la description). Le calico les verrait presque, ces scènes désormais actions, ces noms rendus vivants, ces personnages devenus personnes.

Je l'ai suivi par les branches jusqu'à ce qu'il l'appâte sur le Chemin du Tonnerre. C'est là que c'est arrivé. Le monstre a surgi et Waffle s'est écrasé - il s'accroupit brusquement - et ce veinard lui a glissé entre les pattes!

Oh.
Les fameux monstres sous lesquelles on passe. Cela ne lui était pas étranger, il en avait entendu parlé mais il avait une formulation gravée dans la tête.

Waffle était indemne et ce qui restait du renard était étalé sur la pierre noire. Je suis descendu, Waffle est allé me rejoindre, et ensemble, on l'a trouvée: une renardière sans son renard.

Prête à être réaménagée.

"Cela sonne beaucoup comme le début d'une histoire. Un sacré chat, ce Waffle -Graine de Tournesol, c'était son nom de clan je suppose? C'est donc de lui que tu as appris à caresser le ventre des monstres?

Peut-être la formulation et le ton utilisé ne diraient plus rien à personne, mais c'était gravé dans sa tête et il savait toujours le copier. Ils étaient reliés à un moment bien particulier, à une chatte bien particulière.

Mais les echos de ronron le sortirent de ses pensées noires, et l'empêchèrent d'y continuer son chemin. Sa curiosité caractéristique, là pour le meilleur et pour le pire fut cette fois-ci salvatrice. Cette histoire, il voulait la connaitre, il voulait la vivre, lui aussi.

"Et la suite, c'est quoi? Vous l'avez emménagé à deux, ou toi tout seul? D'autres chats t'ont aidé peut-être? " Le ton souvent neutre était à présent imprégnée d'attention, et ses yeux fixés vers la source de parole témoignaient de l'intérêt porté

Parce que cette renardière, c'était des souvenirs, et les chats les accompagnant derrière. Et tout cela, c'était comprendre, plus qu'il ne l'avait jamais fait.
Le Conteur de la Pouponnière était momentanément de retour. N'était-il pas , après tout, toujours à la Pouponnière?

Il ne s'était pas rendu compte à quel point il avait captivé son fils dans son histoire. Il s'était perdu dans les mailles, revivant cette époque plongée dans le chaos où le Clan du Tonnerre se mobilisait pour voler des chatons, se battait d'arrache-pattes pour s'arracher un stupide rocher chauffant et s'alliait avec des délurés qui croyaient que leur violence avait été bénie par la Lune elle-même.

— Cela sonne beaucoup comme le début d'une histoire, lui dit Lycaon. Un sacré chat, ce Waffle -Graine de Tournesol, c'était son nom de clan je suppose? C'est donc de lui que tu as appris à caresser le ventre des monstres?

Le ton éveilla d'autres souvenirs, plus récents, cet hiver après-canicule où lui et Étoile d'Or s'étaient entendus de s'entre-aider afin de protéger (lire: quarantiner) leurs malades.

Il était lieutenant, à cette époque. On ne savait pas encore jusqu'où son "absence de peur" était capable de le mener.

— Ouais. C'est ironique, non? C'est un monstre qui l'a tué. Il avait perdu l'ouïe.

Mauvaise Graine ne l'avait pas entendu le prévenir. Peut-être que s'il avait s'agit de toute autre sorte de Monstre qu'un Demi, il aurait pu passer entre ses pattes équidistantes. Y penser ne fit cependant ni chaud ni froid à Étoile Foudroyante.

Ce n'est pas qu'il avait oublié Waffle — tout ses souvenirs de vie lui avaient été transmis comme s'il eut s'agit des siens, pendant sa cérémonie des Neuf Vies — seulement il n'était pas naïf au point de croire que tout irait pour le mieux s'il avait survécu. Quand il l'avait revu, aux Étoiles, Waffle était doux, et gentil. Avant de mourir, Waffle était acerbe. La dernière chose qu'il lui avait dit avait été de l'accuser d'avoir fait se suicider sa compagne.

Lycaon le relança.

— Et la suite, c'est quoi? Vous l'avez emménagé à deux, ou toi tout seul? D'autres chats t'ont aidé peut-être?
— Euh...

Il avait vu le sourire de Waffle net comme jamais. L'émail de ses dents brillait sur ses canines, et un frisson trahi le bengal en se laissant emporter par la pensée. Il secoua la tête.

— On a fait un concours stupide. "Celui avec la plus grosse descendance aurait le droit de monter l'autre". Aucune façon de perdre, quoi. Petit à petit, j'ai commencé à y inviter d'autres chats — Danse du Cerf, Oeil du Tigre, Fifi...

Ah, Fifi.
Il leva le nez.

— J'étais de l'autre côté de la berge un jour, je ne me rappelle plus pourquoi. J'y ai rencontré une chatte qui voulait jouer — Rourouge. Fifi m'a pris en flag'. Elle était furieuse. Elle est allée foutre le bordel dans ma renardière juste parce-que je flirtais avec quelqu'un d'autre.

Ses griffes étaient sorties de ses fourreaux, mais pas par hostilité. Il tricotait, inconsciemment, les brindilles à ses pattes.

— On s'est disputés. Elle réalisait pas l'importance que toutes ces foutues plumes ou fleurs avaient pour moi, alors elle a voulu se racheter.

En secret, elle a creusé un tunnel dans lequel elle a caché ses herbes médicinales, et une fleur. Et pas n'importe laquelle...

Il détourna le regard.

— ...Un tournesol séché. Je l'ai accroché en centre-pièce à la tanière, quelque part au plafond, près de mes passiflores, juste au-dessus du nid. C'était petit, mais...
Il replia ses pattes sous son ventre, réajustant sa position. ...C'était gros.

L'écureuil se dégivrait sous sa chaleur. Il le tira du dessous de son ventre pour réchauffer son poil avec son haleine, se penchant au-dessus. Il s'éclaircit la gorge. Sa voix était rauque, chargée par l'émotion qu'il ne lui était pas donnée de ressentir.

— La... renardière, donc.
L'hiver, après... après ce qui est arrivé à Fifi, pendant la canicule, y'avait une... épidémie, au Clan de la Rivière. Ses yeux s'embrumèrent. Le souvenir aussi.
Au début on cachait sa copine, qui était tombée malade. Puis c'est Raton qui est tombé malade — Étoile Masquée. J'allais les voir quand même - je bouffais avec eux. Je maximisais leur confort. Je voulais qu'ils vivent.

Son sourire se meurtrit d'auto-dérision.

— J'obtiens... rarement ce que je veux, haha.

HRP:

— On a fait un concours stupide. "Celui avec la plus grosse descendance aurait le droit de monter l'autre". Aucune façon de perdre, quoi. Petit à petit, j'ai commencé à y inviter d'autres chats — Danse du Cerf, Oeil du Tigre, Fifi...

"Et bien, on se demanderait presque pourquoi t'as autant de gosses

Peut-être à une époque se serait-il insurgé sur le fait que la progéniture de Foudre soit objet d'un concours stupide. Cependant, sa réflexion première fut toute autre.
Cela faisait beaucoup de noms. Pour certains à peine connus.

Cela faisait beaucoup de morts

Et encore, il avait l'intuition que cette liste était abrégée. En effet son paternel leva son museau comme si l'évocation du dernier surnom avait déclenché un autre souvenir. C'était le cas. Une histoire de jalousie, de dispute, de réconciliation. C'était une histoire de ses parents. Et pas sur ses parents, comme il en avait tant entendu.

Le tournesol, cette fleur du soleil, au nom d'un ami? amant?, il le visualisait presque. Ce petit geste gros de symbolique, de mots non prononcés.

Malgré les yeux fuyants, Lycaon vit le regard s'embrumait, brisant ses représentations déjà fissurées. La situation était aussi saisissante qu'inédite, il ne pouvait maintenant qu'en attendre la fin.

Au début on cachait sa copine, qui était tombée malade. Puis c'est Raton qui est tombé malade — Étoile Masquée. J'allais les voir quand même - je bouffais avec eux. Je maximisais leur confort. Je voulais qu'ils vivent. Etoile Masquée, son mentor disparu, qu'il avait recherché une fois, avec Ciel, tandis que celle-ci lui détaillait son rêve de pouvoir. La fin de cette histoire là, il la connaissait déjà.

— J'obtiens... rarement ce que je veux, haha.

Le tricolore ne prononça mot pendant un moment, il se contenta de fixer son père dans un silence imperturbable. Car la réalité était qu'il n'avait rien à dire face à cette résurgence de souvenir.

Il cligna des yeux, lentement avant de les baisser. Puis il allongea à nouveau sa patte, la posant sur l'écureuil avant de remonter son regard.

"Et maintenant, tu veux quoi?" Parce qu'il ne pouvait parler que du présent.

HRP: