On connait la Chanson (Luciole) - end

Tonton...

N'était pas très fin.

Sans être complétement idiot, il avait du mal à apprendre de ses erreurs.

Par exemple, sa dernière déculottée quand il avait été surpris à rôder autour du territoire du clan de l'Ombre, aurait du lui apprendre qu'il valait mieux garder ses distances. Et, quelque part, c'était le cas - depuis l'attaque de Queue de Babouin, il se méfiait des chats des clans. Il savait que leur territorialité était dangereuse.

Et pourtant...

Il était là, aujourd'hui. De retour sur les lieux du crime, à l'orée du territoire du clan de l'Ombre.

Bon, il n'était pas encore assez crétin pour franchir la frontière, mais sa grosse patte était posée dessus, tandis qu'il scrutait les arbres.

Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas vu Grenouille. Il ne savait même pas si elle se remettait bien de ses blessures. Si elle allait bien. Et si les petits de Branche Pâle, qu'elle avait pris sous son aile, allaient bien eux aussi.

Il ne savait rien, et ça commençait à drôlement le travailler. Alors il se retrouvait systématiquement à venir se balader dans le coin, guettant le moindre signe de mouvement chez les chats de l'Ombre.

Et aujourd'hui, il crût avoir de la chance quand un mouvement lui attira l’œil.

Est-ce que...

"Grenouille?" appela-t-il doucement.

Pas de Grenouille dans les environs - c'était une parfaite inconnue qui sortit de sa cachette, une chatte aux poils longs, le genre qu'on s'imaginait plus dormir dans un salon qu'arpentant le marais. Et pourtant, elle était là... Et elle voulait savoir ce que lui pouvait bien faire ici, et ce qu'il voulait à Grenouille.

Autrefois, Tonton ne s'en serait pas beaucoup inquiété. Là d'où il venait, les chats n'avaient pas tellement intérêt à l'empêcher d'aller où bon lui semblait. Et se taper dessus ne lui faisait pas peur.

Mais ça, c'était avant l'épisode Queue de Babouin. Son accrochage avec le clanique, et toutes les rencontres qu'il avait fait depuis, avait rendu Tonton un poil plus méfiant. Les chats des clans n'avaient pas un raisonnement sensé, quand on s'approchait de leur territoire. Et si cette chatte (Luciole des Bois, elle avait dit) n'avait pas l'air complétement hostile, ses questions étaient on ne peut plus clair - sans une réponse convaincante, Tonton risquait gros.

Il se maudit intérieurement d'avoir prononcé le nom de Grenouille. Mais quel idiot ! Si sa protégée ne l'avait jamais dit ouvertement, il se doutait qu'elle ne devait pas crier sur tout les toits qu'elle le connaissait.

Soucieux de ne pas apparaitre comme un danger, il s'assit sur son arrière train, hochant la tête en direction de la nouvelle venue.

"Eh... Bonjour?"

Les politesses, c'était fait.

Maintenant quoi?

Nier connaitre Grenouille, c'était clairement trop tard. Et cette Luciole des Bois la connaissait aussi, évidemment. Tonton ne savait pas trop combien ils étaient, dans le clan de l'Ombre, mais de toute évidence, tout les membres se connaissaient... Et s'inquiétaient d'entendre un étranger prononcer leur nom.

"J'avais croisé Grenouille quand elle venait de se blesser," fit Tonton d'une voix aussi neutre que possible. IL était pour une fois ravi d'avoir une voix aussi monocorde. "Je ne l'ai pas revu depuis, je me demandais juste si elle allait mieux..."

La blessure de Grenouille, son horrible histoire avec Branche Pâle, ça datait, tout ça. Serait-ce assez crédible?

HRP:

Comme prévu, ça se compliquait.

Luciole des Bois, inquisitrice, voulait savoir ce qu'il savait. Et Tonton commençait à réaliser qu'il s'était emberlificoté dans une sale situation. Il en avait trop dit, dès le départ, et jouer les idiots ne prendrait plus.

Prendre ses pattes à son cou ou régler ça par une nouvelle bagarre n'aurait même pas marché - ça lui aurait permis de se sauver, certes, mais cette Luciole aurait alors pu rentrer chez elle et confronter Grenouille. Elle n'avait pas l'air commode - elle trouverait sûrement à redire si Grenouille expliquait qu'ils se voyaient de temps en temps, et qu'elle lui avait même offert une proie, une fois. Et attirer des ennuis à sa précieuse protégée, c'était hors de question !

Il fallait mentir, donc, et assez finement pour convaincre cette chatte. Tonton ne s'en sentait pas tellement capable, mais foutu pour foutu...

"Eh bien... Je l'ai croisée, peu de temps après son accident."

Il avait dit 'accident' un peu trop amèrement pour prétendre ne rien savoir sur la question. L'image d'une Branche Pâle couverte de sang, penchée sur le corps immobile de Grenouille, était encore fraiche dans son esprit.

"Elle avait l'air très secouée, alors on a parlé un peu..."

Tonton ne mentionna pas les croquettes qu'il avait partagé alors avec la blessée. Il n'en était pas vraiment sûr, mais vu comment les claniques réagissaient quand on parlait nourriture, il se disait que d'accepter ce genre de cadeaux était peut-être un interdit.

Luciole n'avait pas tellement l'air d'être le genre à s'émouvoir pour ça, mais Tonton tenta quand même d'ajouter :

"Elle... Me rappelait mes enfants. C'est pour ça que j'aurais aimé savoir si elle allait mieux."

Luciole des Bois...

Comprenait.

On ne pouvait pas vraiment dire qu'elle s'émouvait de l'entendre évoquer ses enfants pour justifier son attachement envers Grenouille, mais la chatte semblait un poil moins sévère tandis qu'elle lui proposer de s'avancer.

Tonton agita les oreilles, satisfait de voir une bonne conclusion arriver, et puis...

Et puis, chose rare, il se mit à réfléchir.

Il en savait, des choses sur les chats des clans, depuis qu'il trainait ses puces par ici. Sur le clan de l'Ombre en particulier, grâce à Grenouille et aux quelques autres rencontres qu'il avait pu faire aux alentours de leur territoire. Et, si il y avait bien une chose qu'il savait sur ces chats là...

"Hm. Tu voudrais que je traverse votre frontière?"

C'était que la frontière, une ligne imaginaire marquée par vous-savez-quoi, c'était du sérieux. Ces chats s'étripaient volontiers pour la défendre, et il voyait d'un très mauvais oeil les chats étrangers à leur groupe qui osaient s'en approcher. C'était bien pour ça, que Luciole était venue le trouver à la base, non? Pourquoi changeait-il d'avis si soudainement...?

"J'ai cru comprendre que vous n'invitiez pas tellement de chats de l'autre côté. Je ne voudrais pas froisser qui que ce soit en traversant."

Le mot 'problématique' fit perdre à Tonton toute sa prudence. Ses oreilles vinrent se plaquer sur son crâne, et il se hâta d'expliquer, d'une voix beaucoup plus perchée que d'habitude :

"N-Non, tu te trompes, il n'y a rien de... Problématique. Entre Grenouille et moi."

Ouh, la sale image mentale... Tonton se demanda brièvement si il sonnait un peu trop piqué au vif. Et si, quelque part, il n'aurait pas mieux fait d'être plus respectueux. Les chats des clans n'avaient pas l'air d'être très portés sur la politesse, mais quand même, il aurait peut-être du lui dire 'vous' au lieu de sauter au tutoiement directement. Enfin... Elle lui disait bien 'tu', elle, alors...

Corriger le malentendu, c'était plus important que ces histoires de pronoms.

"Elle me rappelle... Ma fille, mes enfants, alors je m'inquiète naturellement pour elle mais..."

Il fronça le nez. Ça n'allait pas être facile à dire, la suite.

"Moi, je ne suis rien pour elle. Juste un solitaire qui a croisé son chemin, une fois."

Solitaire qui avait partagé son repas en deux occasions et que Grenouille avait toujours l'air ravi de retrouver, mais ça, Tonton le garda pour lui. Il avait bien compris qu'il valait mieux prétendre ne pas être trop impliqué, maintenant que nier en bloc n'était plus possible.