Papillon, rivière et coucous, et puis c'est la fin de l'été [avec Étoile Foudroyante]

— Coucou, Fifi.

En plus de la terre, qui avait bue l'excès, les Nus-pattes sur le chemin du Tonnerre avaient ramenés toute sorte de monstres, au fil de la saison, pour boire et boire et boire le débordement de la Rivière. Voilà toute une saison où il n'avait pas pu poser les pattes (humides) sur les pierres (...humides) de leurs Rochers du soleil. La violence de l'eau avait érodé une croûte à la berge, déséquilibrant quelques cailloux qui s'étaient perdus au fond du lit.

Leurs Rochers du Soleil avaient piètre allure, désormais.

Lui aussi.

— C'est pas grand chose, mais tiens.

Là où se tenait droit l'irréductible noisetier, on lança les arrêtes d'une toute petite truite, que Source Fleurie et Oeil de la Tempête l'avait aidé à chasser, aujourd'hui.

— Comme il ne reste plus que tes os, j'ai pensé que tu ne mangeais plus que des os. Bon appétit, j'imagine.

Une pause. Le bengal, le nez dans le cou, l'encolure ronde et le dos droit, à quatre pattes devant le noisetier, s'était interrompu le temps de chercher ses mots, mais aussi le temps d'échapper le souffle d'un rire. Il se sentait parfaitement ridicule, en ce moment.

— ...La Rivière t'as probablement déterrée et jetée plus loin. Mais je suppose que je ne m'adresse pas à toi physiquement mais... spirituellement, j'ai bon?

Il secoua sa tête. S'avança d'un pas traînant dans le sol boueux, se fichant le front contre l'écorce du noisetier qui l'étreignit dans les ombres de ses branches. Son feuillage bruissa, annonciateur de la souplesse de ses feuilles qui, bientôt, s'assécheraient. Bordel Fifi, ces conneries c'est pas mon truc. J'ai perdu Brisé, j'ai perdu Ciel, j'ai-- Il s'enfonça le front davantage, plissant son visage, couchant les oreilles dans le cran, et serrant ses dents sur l'expression d'un sourire féroce.

— Hurff...

Est-ce que leur morte-née, Noisette, était avec eux, où qu'ils soient? Est-ce qu'elle avait une voix, même si elle n'avait jamais parlé? Des ambitions, sans même savoir ce qu'était un mot? Comment les férus croyants des Étoiles faisaient pour ne pas tous devenir cinglés?

La douleur d'une migraine se fit sentir. Lentement, à contre-coeur, il écarta sa tête de l'écorce, non sans y passer ses muqueuse et sa joue et toute la longueur de son corps, tiens, s'arquant le dos pour lever tout en haut sa queue au-dessus de sa croupe.

Puis ses yeux s'arrondirent.

Un papillon voleta au-dessus de son nez, et par réflexe, le bengal lui décocha un coup de patte retourné. Dans la volte du coup, son sang se glaça dans ses veines.

Là, face à lui, fraîche de sa convalescence et d'un exercice, se tenait sa petite fille, Nuage de Feuille, ses oreilles longues et touffues à l'affût, comme si, à son plus grand malheur, elle avait tout entendu.

Merci Loupiot!!!

HRP:

Combien de scénarios sont-ils possibles à cet instant? Étoile Foudroyante est suspendu par un fil attaché à sa gorge, lui rouvrant la cicatrice qui s'est refermée dedans. Sa queue est trop immobile pour chasser l'air. Ses yeux, trop ronds pour ciller. Il ne quitte plus l'apprentie du regard tandis que sa tête lui déferle les mots et les rôles qu'il pourrait prendre pour déescaler ce qu'elle a vu ou lui mentir ou lui avouer ou lui--

— Rien vu, rien entendu !

Penaud, son chef ne put rien faire que la regarder s'éloigner dans toute sa vivacité, bondissant de rocher en rocher. Son oreille se releva, mais seulement pour que l'autre ne ploie à son tour, mesurant, confus, l'importance des derniers évènements. Puis, alors qu'il se recalibrait - et qu'il recalibrait le temps de verbe à mon texte - un mouvement dans les herbes attira son oeil et lui fit hausser les sourcils.

Ses pupilles se dilatèrent. Le mouvement s'élargit, et le papillon dans toute sa tenue de bleue avait déployé ses ailes avant de regagner les airs. Il voleta à nouveau, juste sous son nez, juste pour le narguer, avant de chercher quelque fleur dans les parages. Étoile Foudroyante poussa un soupir, couchant les deux oreilles, secouant sa tête en se moquant de lui-même. Heureusement, il avait l'habitude de retomber sur ses pattes.

Et heureusement, la... bonne foi de Nuage de Feuille eut du bon.

— Tu sembles en forme, on dirait.

Il s'étira les pattes, le poitrail, puis se détendit comme d'un ressort pour bondir sur les rochers à son tour, grommelant à leur manque de chaleur. Dire qu'ils avaient l'habitude de paresser au soleil, ici.

— Ça fait du bien de revoir toute ton énergie. Même si — il n'était pas vraiment sûr de ce qu'il avançait, laissant le rôle le posséder plutôt que faire l'inverse — la petite pause n'a pas fait de tort.

Par politesse - par habitude - il se tendit pour renifler l'éclair fauve et roux qui s'amusait à bondir. Puis, son regard suivi malgré lui la marque ouverte sur sa lèvre, lui rappelant les malocclusions respectives de Bec Croisé et de Sourire de Lièvre. Malgré l'effort du bien-paraître, il ne pouvait pas cacher les cernes qui lui avaient creusé l’œil après avoir versé des larmes en secret. Heureusement, ce-dernier avait dégonflé depuis quelques temps déjà, épargnant à Feuille l'odieux spectacle de le voir suppurer de tout son débordement d'émotion. Étoile Foudroyante tapa le ciment avec la queue; l'impact le fit exploser en mille éclats de verre de glace.

En battant des cils, les rochers du soleil étaient parfaitement intacts.

Merci Loupiot!!!

— Mmh. Ouais, c'est sûr que ça va mieux, maintenant.

Ravi de constater que la provocation ne fait pas mouche, Étoile Foudroyante s'embellit d'un sourire, battant d'une oreille les souvenirs déconstruits d'une Vie qui ne lui appartenait plus. Bien qu'il ne se rappelait plus de voir par les yeux de Rossignol, il se rappelait d'avoir vu par les siens; les mémoires se disputaient le point de vue et l'angle de la caméra, et l'objectif ne savait plus où donner de la tête. Peut-être qu'il devenait fou, enfin.

Quel chef ne le deviendrait pas, gavé de tout ces souvenirs de chats d'antan...?

— 'Rien vu, rien entendu', j'imaginais que tu me rendrais la pareille haha ! Mais finalement, te voilà.
— Oh, non, je te dérange? lui demanda celui qu'elle avait pris un flagrant délit en train de parler aux os de feue sa compagne. Tu veux que je m'en aille?

Naturellement, Nuage de Feuille joua le jeu, lui rappelant aussitôt le jeu d'acteur de sa fille, Source Fleurie, qui avait s'agit si longtemps de la nourrice de l'apprentie.

— Haw c'est que, tu as besoin d'être consolé, finalement ?

Son oreille battit l'air, ses yeux se plissèrent, mais l'idée fit son chemin quelque part dans sa tête, et toutes les défenses du bengal fondirent, au profit d'un air penaud, haussant haut les sourcils tout en hochant la tête d'un air pas peu déçu.

— ... Ouais, en fait.

Il initia le premier contact en se rapprochant de la grande chatte (whoa... elle avait bien poussé dis-donc, il se rappelait de l'époque où elle était minuscule et tremblotante, comme son nom), lui collant son front contre une épaule et poussant un lourd soupir tout contre elle.

La perdrait-il, elle aussi? Si son frère était de retour parmi eux, après une rigoureuse aventure dont il en oubliait les détails, s'agissait-il d'un signe précurseur que Feuille serait la prochaine à disparaître? Que pour chaque retour fêté, il fallait pleurer un départ? Étoile Foudroyante ne savait plus où il en était avec tout ces deuils émoussés qui lui pesaient sa tête cassée. S'il battait des cils, disparaîtrait-elle à son tour? Avait-elle déjà disparue? S'agissait-il, en ce moment, de rien de plus qu'un autre souvenir dans lequel il s'était perdu...?

Merci Loupiot!!!

HRP:

   Plusieurs fois l'apprentie cligne des yeux, à mesure qu'elle observe le changement d'attitude de son chef. Si elle semblait amusée, elle apparaît maintenant interrogatrice. Et lui s'il semblait tout aussi railleur, il apparaît maintenant penaud.
   C'est peut-être même plus que ça. Car Nuage de Feuille s'attendait plutôt à un franc refus, ou bien une de ces blagues étranges dont Étoile Foudroyante à le secret. Ou bien un retournement des mots, plus ou moins habile, pour tenter de la mettre dans l'embarras ou la provoquer. C'est sur que Feuille s'attendait plutôt à ça.

« - … Ouais, en fait. »

   Les oreilles de la petite plus si petite se tendent à cet aveu. Qu'elle trouve cinglant, sans trop savoir pourquoi ; c'est une histoire d'empathie ? Elle a toujours su ressentir au centuple pour autrui après tout. Bien que ça se perde, de plus en plus. Le temps passe et les enfantillages se cassent, ce qu'elle possédait se cachent pour laisser la place aux nouveautés. Les quelques mots de son chef donnent l'impression particulière de faire tomber quelque chose et elle se demande bien quelle est censée être son attitude face à la nudité. Émotionnelle car les chats ne se soucient pas d'être nus.
   Ce chat bizarre qui, à la moindre interaction qu'elle a pu avoir avec lui, a passé tout son temps à bousculer la réflexion, à briser ses attentes pour en créer des nouvelles, qui l'intrigue, aiguise sa curiosité comme un rasoir tranchant et puis, au final, qu'elle aime bien. Puisque parfois, il y a comme ce fil tendu entre les deux branches de ces deux arbres et, en grands équilibristes qu'ils sont, ils peuvent s'y tenir côte à côte. Ça s'appelle être sur la même longueur d'onde et elle n'a pas ce sentiment avec beaucoup de gens – avec personne. Et bien ce chat-là, il est tellement petit soudain. Les pupilles de Nuage de Feuille s'arrondissent, si sombres, comme pour absorber toute entière cette vieille silhouette se laissant aller, tout contre son imperturbable épaule. Et elle a l'impression qu'il rapetisse, qu'il rapetisse encore et encore jusqu'à n'être pas plus grand qu'un chaton, qu'elle doit se pencher et tordre son cou pour le regarder convenablement.
   Nuage de Feuille ne sait pas ce qu'elle est censée faire.

   Tendre la patte ? Pour remonter sur le fil ? Éviter la chute ?

« Ou la provoquer. »

   Très naturellement, son sourire revient sur ses lèvres et elle referme ses paupières pour mettre un terme au déroulage étrange de la bobine. Ses inarrêtables pensées, grouillant comme des insectes, elles roulent trop vite et c'est épuisant. N'est-ce pas ?
   Elle prend une grande inspiration et, à nouveau, elle entend le bruit de l'eau qui s'écoule.
   Tout est calme.
   Ses oreilles tiquent ; opérationnelles, prêtes à écouter. Sa grande queue vient les entourer gentiment et sur la sienne, elle pose sa propre tête. De gros ronronnements, qu'elle espère rassurants au possible, prennent toute sa gorge et font vibrer le crâne d’Étoile Foudroyante.

« - Je ne te laisserai pas tomber, qu'elle lui murmure entre deux ronrons. »

HRP:

Après un moment, aussi confuse qu'il l'était au premier clin deuil qu'il avait du consoler, Nuage de Feuille lui rendit enfin son étreinte en entourant son vieux grand-père de sa queue, tout en posant sa tête vrombissante contre son crâne. La vibrothérapie eut du bon. Elle arracha le bengal du monde de l’abstraction en le forçant à reprendre possession de son propre corps, dans la réalité crue.

S'il avait pu pleurer après cette première fois, il l'aurait fait.

— Je ne te laisserai pas tomber.

Son corps ne put réagir que de la seule façon qu'il connaissait, c'est à dire en lui faisant rebondir les épaules, lui noyant un rire au fond de sa gorge qui ne se devina que par les secousses. Elle ne voyait pas son visage. Elle ne voyait pas la grimace qui lui déformait les traits.

— ..... Il t'arrives de penser au futur?

La déflagration de ses souvenirs était toute proche, et pourtant, il s'accrochait à cette épaule comme une bouée dans des eaux déchaînées.

— Au nom que tu pourrais avoir? À ta place dans le Clan? À celle que tu prendras lorsque j'aurai rendu mon dernier Pardon?

Il ne pouvait s'empêcher de se moquer de lui-même. De ces inquiétudes qui naissaient d'un débordement quelconque, et non pas d'une peur véritable. Mais, comme son amour avait du être construit ventricule par ventricule, peut-être que sa peur aussi. Que s'il ne pouvait en ressentir l'affolement, il pouvait ressentir la colère et la confusion qui venait à l'idée de tous les perdre une fois encore.

Ou c'est qu'il tâchait de s'en convaincre.

Que réellement, tout ce qu'il ressentait, était l'inévitable fatalité qu'il les perdrait tous de toute façon, et que ses "inquiétudes" n'étaient qu'un rôle qu'il s'était enseigné afin de combler l'ennui du silence.

Merci Loupiot!!!