Une question de gibier | ft. Nuage de Ronce - abandon

Je m’éveillai doucement après une longue sieste. Les rayons du soleil tapaient fort contre mon lourd pelage, j’avais chaud, mais ce n’était pas désagréable pour autant : je ne pouvais pas me plaindre car je ne supportais pas que ce soit le bruit qui me réveille. Aaah, le silence de la pouponnière, c’est vraiment super plaisant. De manière générale je n’aime pas l’agitation, et en cette saison aucuns chatons turbulents ne venaient perturber mon petit quotidien, en dehors des quelques parties de jeux qui ne dérangeaient pas.

Je me levai, discrètement pour ne pas déranger mes sœurs qui dormaient encore, puis m’ébrouai. Toute ma petite famille dormait dans le plus grand calme, et j’étais la première à me réveiller. Si je pouvais m’occuper un moment à fouiller les recoins de la pouponnière, ça ne me suffisait pas. J’avais eu le temps, de l’explorer, et maintenant je la connaissais par cœur. Et ce n’était pas que je m’ennuyais -il suffisait d’aller voir les autres chatons- mais j’avais une terrible envie d’aller voir plus loin. Juste un coup d’œil, sur le palier…

Et wow ! Le soleil m’éblouissait en plus de sa chaleur, la clairière du camp était illuminée de tous les côtés et quelques petites fleurs coloraient le tout. Quelques guerriers étaient sur le départ, sûrement pour une patrouille, tandis que d’autres étaient plus affairés à manger du gibier. J’en avais très peu mangé du gibier, maman disait qu’on était trop jeune, mais l’odeur était alléchante me faisait déjà envie… Mais je ne pouvais pas priver les grands d’un repas, si ?

De toute manière, je ne pouvais pas sortir. Maman me gronderait. Mais… Pourquoi je n’aurais pas le droit de sortir par une si belle journée ? Je ne faisais de mal à personne, si ? Je pourrais chercher à en apprendre plus sur les proies, et je pourrais raconter tout ça à mes sœurs ! Motivée, je vérifiai qu’elles sommeillaient toutes, puis partis joyeusement au milieu de la clairière. OOops ! Et si un guerrier me voyait alors que je n’avais pas le droit ? Tant pis, je ne reculerai pas ! Obstinée, je me dirigeai vers le guerrier le plus proche de moi. C’était une chatte toute noire, aux poils mi-longs, et elle avait de drôle de yeux ambrés. Elle était en train de manger un beau morceau d’une viande que je ne connaissais pas. Hmmm.. Peut être Ronce de.. Nuage ? C'était une apprentie, non ?

- Salut ! C’est bon, ce que tu manges ? C’est quoi ? lui demandai-je, ma curiosité piquée.

Je me concentre un peu plus sur son visage, me forçant à trouver une réponse dans mon esprit. Elle ressemblait en tout à la description qu'on m'avait dressée d'elle, et aucuns détails ne faillaient. Un petit regard sur le côté et... Oui, la longue cicatrice, tout y est ! C'est bel et bien Nuage de Ronce ! De loin, on aurait dit une guerrière. Mais soudainement, je me rends compte que ma petite inspection pouvait devenir gênante pour ma camarade. Je rougis, et mon corps s'empresse de s'excuser à la place des mots : les oreilles et la queue baissées, et une expression gênée.

- Oui, c'est très bon ! C'est une grenouille, tu en veux ? Me répondit-elle, avec affection.

Ravie de cette rencontre avec une gentille camarade, je frémisse. De la grenouille ! J'en avais encore jamais vu vivant... Enfin, jamais vu tout court. Mais à cette pensée, je me souvins de ce qu'est réellement la viande. Une grenouille morte ! Je ne peux pas m'empêcher d'être triste pour elle, mais après tout, on ne peut pas se nourrir d'autre chose. J'espère que celui qui l'a chassé n'a pas oublié de remercier le clan des étoiles !

- Oh ! J'aimerais bien mais... Je ne voudrais pas priver les apprentis de leur repas. Moi, j'ai déjà été nourris tout à l'heure !

Je voulais être raisonnable, je ne voulais pas non plus avoir la réputation d'être une grosse goulue ! Déjà que tout le monde me regarde bizarre ici, faudrait pas que ça empire. Et puis, j'avais entendu dire qu'il fallait d'abord nourrir les anciens et les chatons, et que les apprentis venaient en dernier. Ce serait égoïste de prendre une proie par gourmandise ! Non, ce n'était pas vraiment sage de faire ça.

- Mais parle-moi plutôt des autres animaux que tu chasses. C'est lequel, ton préféré ? Je veux tout savoir !

- Eh bien, je chasse des souris, des grenouilles, des lézards... Parfois, on tombe sur des musaraignes, ou des oiseaux, pleins d'oiseaux ! Les plus rares sont les grives et les merles ! Enfin je crois... Je n'ai jamais chassé de proies vraiment rares, moi...Je sais que les chauves-souris et les corbeaux sont assez rares, mais on dit que les faisans et les faucons le sont encore plus ! Et comme il paraît qu'ils sont très gros, ça doit être hyper difficile de les attraper ! Me répondit-elle, en souriant.

Wow ! Il y en avait des choses à savoir ! Étonnée, je l'écoutai tout du long avec de grands yeux admiratifs. Elle me parla des proies rares et les moins rares, et fascinée, je m'empressai d'essayer de tout imprimer dans ma petite tête. Moi, j'attraperai des faisans et des faucons, parce que je veux être une bonne chasseuse pour nourrir tout mon clan ! Et j'espère que je le deviendrai, avec mon mentor... Et si c'était elle, mon mentor ?

- Et ma proie préférée, c'est la grenouille, c'est pour ça que j'en ai pris une ! S'empresse-t-elle de rajouter, une fois une pause marquée. Je ricanai en guise de réponse, puis repris : - Tu en sais des choses ! J'espère au moins t'arriver au jarret, quand je serai apprentie !

Mais je me remémorai tout en évoquant mon futur rôle d'aspirant qu'il fallait aussi se battre pour devenir guerrière. J'en eus des frissons... Je ne m'imaginais absolument pas aux côtés de chats d'autres clans pour leur faire la guerre, moi. Pourquoi ne pas apprendre à les connaître, eux et leurs motivations, plutôt que de tout de suite vouloir les chasser ? « J'espère ne jamais avoir à sortir les griffes et les crocs, encore moins pour le clan, plus tard... » pensai-je en baissant la tête. Puis une autre question à ce sujet me vint :

- Dis... On doit souvent se bagarrer quand on est apprenti ? Histoire de savoir à quoi je devais vraiment m'attendre. J'en avais de la chance, de pouvoir discuter avec quelqu'un de si instruit...

Elle m’adressa un grand sourire. Hihi, trop contente d’avoir trouvé une personne de plus qui m’aimait bien ! Mais aussitôt, elle eut l’air triste pendant un court instant. Qu’est-ce que j’avais bien pu dire pour qu’elle change d’humeur si vite ? J’avais beau chercher, je n’en avais aucune idée. Pourtant, j’étais forte en devinette. De plus, j’ai eu à peine le temps de la voir, puisqu’elle renchérit aussitôt :

- Bien sûr ! Mais ne t'inquiètes pas, tu ne dois le faire qu'avec ton mentor, on ne s'affronte pas entre apprentis ! Sinon, on n’apprendrait rien !

Qu.. Quoi ? Mais… Mais je ne comprends pas… Je veux pouvoir aider les autres, les réconforter, aider les reines, le guérisseur, aller chercher des plantes ou de la mousse, je veux pouvoir discuter avec les anciens qui se sentent seuls, et je veux surtout pouvoir courir en toute liberté dans la forêt. Je ne vois pas pourquoi on ne nous en parle pas plus souvent de tout ça au lieu de nous parler de la guerre. Je savais bien que ça faisait partie de l’entraînement aussi, changer les litières, mais plus personne ne faisait ça après son baptême de guerrier. Alors que se battre, ah ça… Toutes ces histoires de griffes et de crocs m’échappent, pourtant ça semblait passionner les autres…

- Mais… Moi je ne veux pas faire la guerre, c’est mal… Et je ne veux pas l’apprendre non-plus. Pourquoi on ne nous enseigne pas à faire le bien, plutôt ? Je fis une mine renfrognée, puis reprit en pensant à mes camarades de pouponnière : les autres eux, rêvent d’être guerrier et de se battre… Moi, je déteste ça.

J’étais assez déçue de devoir être contrainte à me battre. Hmpff, je n’en ferai rien moi ! Ils pourront toujours s’entraîner, j’irai faire autre chose : comme chasser.

Soudainement, je remarque la vilaine plaie qui longe une de ses pattes. Les croutes qui commencent à peine de se former m’indiquent que la plaie est récente : pas besoin d’en dire plus, elle a participé à la bataille contre le clan du Vent. Quelles horreurs a pues-t-elle voir ? C’est horrible ! Mes yeux se brouillent. Je déteste montrer mes sentiments en public mais… Je ne peux pas imaginer toute la souffrance qu’elle a vécu. Je ne peux pas m’empêcher de la ressentir, non plus.

Et je le vois sur sa tête, elle s’en souvient. Elle s’en souvient et je peux presque le voir dans ses yeux. Elle essaie de m’expliquer, mais je sais très bien qu’il n’y a pas d’explications rationnelles :

- Pourquoi on fait ça... Eh bien, je pense que c'est pour nous prouver les uns aux autres notre loyauté à notre Clan. Et parce que le gibier est tellement rare, parfois, qu'il n'est pas possible de le partager pacifiquement ou de le donner. Il faut se battre pour l'obtenir, survivre, nourrir ceux qui ne peuvent pas ou plus chasser... Tu comprends ?

La loyauté ? Je suis certaine qu’il y a bien d’autres façons de la prouver. Je ne sais pas moi… Rien que de nourrir ses camarades et de les soutenir n’est-il pas une preuve de loyauté ? Et à quoi bon être loyal si c’est pour qu’on me regarde de travers tout le temps… Quant au gibier, je n’en sais rien. Je ne sais pas à quel point c’est difficile pour le clan à la saison des neiges. Mais si ça l’est autant que les anciens le dise, alors, il faudrait s’entraider : tous. Il n’y a aucune raison d’en arriver là. Alors je lui explique, en larmoyant :

- Non… Non parce que ce n’est pas vrai. Je ne suis pas d’accord. Je la regarde, droit dans les yeux. Vous ne prenez juste pas assez le temps de réfléchir. Puis je baisse la tête.