Dompter le Danger ft. Coup de Foudre - end

Il semble que le temps passe plus vite près de ce parterre de bitume. Depuis quand est-il posté là ? Il l'ignore. D'ailleurs, il s'en fout un peu.

Tiens, ça fait longtemps qu'il ne s'en était pas foutu. Est-ce que c'est gr-- Il s'en fout.

VRRAAAOUMMM

Dix-sept.

Ses yeux mornes ne suivent même plus les Monstres. Il se contente de remuer ses moustaches, après le vif coup de vent que ces bêtes laissent derrière elles. Le tremblement qui les précède ne lui prend plus l'estomac et il s'est accoutumé de leurs yeux lumineux qui brillent dans la pénombre.

Il ne fait pas encore nuit, mais certains Monstres luisent déjà. D'autres, se font plus discrets. A croire que comme chez ses congénères les chats, il y a des Monstres idiots et des Monstres malins.

Mais Lui; est-il un id-- Il s'en fout.

Son oreille gauche tique une fois. Pas un Monstre, ça.

Une seconde fois; c'est bien la végétation qui bruisse un peu plus loin. Le vent dans son dos, le mâle se permet d'humer l'air humide du soir.

Coup de Foudre.

Il aimerait pouvoir s'en foutre.

Encore du mouvement.

Il aimerait pouvoir s'en foutre, mais on dirait qu'on ne lui laisse pas le choix. Bon, c'est vrai qu'il a passé toute sa journée ici mais b---

VRRAAAOUMMM

Oh, Deux.

Devinant son camarade enfin à porter de voix -sans doute profitant du vacarme pour avancer- Cœur de Puma engage sans bouger d'un poil -pas même pour croiser le regard de son supérieur.

« Tu as déjà remarqué comme ils rentrent tous en Ville, le soir ? »

Descendre d'un arbre c'est toujours chiant, surtout sur les frontières. Non seulement ça pue la pisse - allez savoir pourquoi ça ne dissuadait pas les indésirables de passer outre - mais au-delà de la zone du Rocher des Serpents, rasée par le feu de brousse d'il y a quelques cycles, ça pue le soufre, et le Monstre.

Coup de Foudre préfère marcher dans les arbres et les branches. La hauteur, le vertige, mais surtout la précarité est facilité par son corps de bengal. En d'autres mots, c'est sa spécialité.

Marcher par terre...

C'était pour ça que d'habitude, il se traînait les pattes, mais dans la brousse, les repousses d'arbrisseaux et l'hallucination sensorielle que son corps se rappelait du lieu... En gros, adieu la discrétion. Il lâcha même un bruyant grommellement en se tirant des buissons, donnant un coup de postérieur un peu leste à une branche beaucoup trop entreprenante qui lui avait mis les griffes sous le poil. La coutume voulait qu'il dise "jamais le premier soir" mais...

— « Tu as déjà remarqué comme ils rentrent tous en Ville, le soir ?

Se dépêtrant de son fanclub de copeaux, Coup de Foudre redressa les oreilles pour jeter un coup d'oeil à Coeur de Puma, qui était allongé en bordure de la terre noire du Chemin du Tonnerre. Il plissa ses paupières quant aux paroles cryptiques du guerrier, tordant son cou au dessus de son épaule pour bien s'assurer que c'était à lui qu'on s'adressait. Puis il fit et mine de s'ébrouer, et de s'approcher d'un pas claudiquant, chassant l'air derrière lui de grands swishs de la queue.

Au loin disparaissait la carapace iridescente d'un monstre - oh, il avait du le manquer avec son boucan de buissons - mais Coeur de Puma avait l'air... étrangement calme. Le deuil rendait les chats bizarres. Le deuil, pour aussi peu ou longtemps qu'il durait, rendait les chats comme lui.

— ...Depuis quand tu t'intéresses à leurs moeurs? Poser la question fit se hausser haut ses sourcils, et Coup de Foudre cilla.

— ... Si tu observes bien, la démarcation interminable du milieu, celle qui blanchit la pierre noire, contrôle la direction d'où vont leur nez. Ceux du côté Bourbier vont vers les Hautes Pierres; ceux du nôtre vont vers la Ville.

Qui était-il pour cracher sur la bizarre obsession de Coeur de Puma? La plupart des discussions qu'il avait sur les Monstres se coupaient courtes avec la peur intrinsèque qui prenait ses interlocuteurs.

« ...Depuis quand tu t'intéresses à leurs moeurs? »

La question de Coup de Foudre flotte un moment avant de s'oublier dans les airs.
Cœur de Puma l'ignore ou tout du moins il n'y répond pas.
On ne saurait dire si c'est parce que la réponse est évidente, impertinente ou bien si c'est qu'elle lui arracherait la gueule avec une violence telle que même ses yeux échapperaient de nouvelles larmes chaudes et salées amères.

« ... Si tu observes bien, la démarcation interminable du milieu, celle qui blanchit la pierre noire, contrôle la direction d'où vont leur nez. » Sans décoller du bitume, ses iris s'illuminent un peu pour chercher ledit marquage. « Ceux du côté Bourbier vont vers les Hautes Pierres; ceux du nôtre vont vers la Ville. »

Il acquiesce d'un mouvement de l'oreille du côté où se trouve à présent son lieuten---chef peu importe.

Ce n'est pas comme si Coup de Foudre lui apprenait quoi que ce soit. Mais puisque l'heure est au partage : « Ils voient la nuit et éclairent devant eux à l'aide de leurs yeux. » commence-t-il, vide. « Ils peuvent pousser un odieux cri strident. » Ses tympans s'en souviennent. « Non seulement ils rentrent en Ville le soir, mais ils en partent le matin. Et quand le soleil est à son zénith, c'est la débandade. Parfois, il vient des Monstres à Deux-pattes. C'est comme ça que j'ai compris qu'ils sont montés par des Bipèdes qu'on voit mal dans les Quatre-pattes. » Sa tête pivote légèrement vers son interlocuteur, sans qu'il ne le regarde encore. « Eux aussi, ont chacun leur propre timbre de voix. » en rebasculant sa face vers la roche sombre, laquelle se met alors à trembloter avant qu'un énième Monstre ne passe.

Comme toujours, Cœur de Puma ne cille pas. Pas même lorsque le courant d'air faisant suite à la bête ne vient lui chatouiller les moustaches. Il attend que le Monstre soit plus loin, pour demander à son camarade son propre rapport : « À toi. », jetant un dernier coup d'œil à l'objet métallique qui s'éloigne, du côté opposé de Coup de Foudre.

— Ils voient la nuit et éclairent devant eux à l'aide de leurs yeux, lui répondit Puma, s'engageant dans cet échange bizarre sans ciller. Ils peuvent pousser un odieux cri strident.

— Non seulement ils rentrent en Ville le soir, mais ils en partent le matin. Et quand le soleil est à son zénith, c'est la débandade. Parfois, il vient des Monstres à Deux-pattes.
— Ah, les tailles de guêpes. Les demi-monstres, d'acquiescer Coup de Foudre en se rappelant leur forme, leur vitesse, et leur victime tout à la fois.

— C'est comme ça que j'ai compris qu'ils sont montés par des Bipèdes qu'on voit mal dans les Quatre-pattes. Eux aussi, ont chacun leur propre timbre de voix.

À cette observation, Coup de Foudre fronça légèrement les sourcils. Sur le Chemin du Tonnerre les monstres courraient; c'est à la Ville qu'ils finissaient par se stopper, fermer leurs yeux lumineux et dormir.

C'est à la Ville, donc, qu'on pouvait voir les Pattes-Nues sortir de leur carapace. Il se rappelait des ondits qui avaient été brièvement propagés sur Coeur de Puma, qui quelques fois fuyait le campement pour se réfugier là-bas. Coup de Foudre lui-même n'y avait pas mis les pattes depuis des cycles - qu'on le croit ou non, Coup de Foudre accordait une grande importance quant à s'intégrer au quotidien du Clan, et apprendre à connaître (et reconnaître) ses... ugh, "camarades". Pêcher des partenaires en les visitant à leur fenêtre ne l'intéressait plus autant qu'avant.

Le sol se mit à trembler; un autre monstre passa son chemin, laissant derrière lui la lumière diffuse de ses quatre yeux brillants. Coup de Foudre suivit sa course du nez et Coeur de Puma s'était tut, le temps que le grondement du Monstre ne s'éloigne, et qu'il puisse être entendu:

— À toi.

Comme s'ils s'étaient lancés dans une compétition. Coup de Foudre joua le jeu, ne serait-ce que parce-que le nouvel air de Puma lui était familier:

— Ok. Voyons voir... Ceux qui n'ont pas une taille de guêpe possèdent tous un poitrail plus ou moins de la même largeur. Leurs pattes sont équidistantes. Ils un exosquelette sous leur ventre qui fait reluire les rayons du soleil comme de la glace.

La vue est magnifique - le battement de leurs capillaires, la vibration de leurs poumons, tout l'air que leur corps est capable de déplacer et même cette odeur rance, qui bouche le nez...

Sans parler des vies qu'ils arrachent en un rien de temps. Il haussa les épaules - l'impitoyable Nature l'avait toujours fasciné et l'avait toujours poussé à apprendre, à observer l'environnement, à reconnaître la répétition et à l'exploiter. Il voulait partager tout ce qu'il savait, mais Coeur de Puma vivait un deuil, et se fichait probablement de sa passion sur les Monstres, qui lui avaient arraché sa fille.

C'est un peu comme si un inconscient lui paradait sa passion des chiens — Coup de Foudre aurait peut-être fait une exception à tout ses voeux d'entente pour réduire l'importun en morceaux, alors il se tut, il s'assied, et il balança sa queue de sorte à effleurer celle de Puma dans le seul contact qu'il connaissait signifiant "soutien" qui n'était pas de le percuter avec son front. Il jugeait que le percuter, en ce moment, serait trop. Mieux valait tester les eaux.

« Ok. Voyons voir... Ceux qui n'ont pas une taille de guêpe possèdent tous un poitrail plus ou moins de la même largeur. » Ses yeux se ferment, ses sourcils se froncent. Cœur de Puma se concentre. « Leurs pattes sont équidistantes. » Il ravale le vomi de ses émotions. « Ils un exosquelette sous leur ventre » Juste des connaissances. « qui fait reluire les rayons du soleil comme de la glace. » Il lui faut juste des connaissances. « La vue est magnifique » Ses griffes dans la terre; partout mais pas sur sa sale gue-- Il se crispe. « le battement de leurs capillaires, » "magnifique"? « la vibration de leurs poumons, » quel connard « tout l'air que leur corps est capable de déplacer » Il tremble. « et même cette odeur rance, » Mâchoire serrée. « qui bouche le nez... »

Hmpf

Liquide chaud qui échappe au coin de son œil.

Qui refroidit le long de son museau.

Qui tombe entre ses pattes bandées.


Et ce bout doux qui effleure sa queue.


Frrr--

Il la dégage aussitôt; se redresse et la lève bien droite derrière ses oreilles rabattues.

« Et après? » Ses yeux plantés dans ceux de Coup de Foudre. « Continue! » qu'il ordonne.

Dans sa voix, la colère. Toute son impuissance. Des regrets. De la peur.

Le besoin absolu de savoir.

La queue de Puma eut un violent tressaut en se retirant de la sienne, arrachant un sursaut au Bengal. OK; pas de contacts. Il fallait croire que même les poils contre les siens étaient de trop. Coup de Foudre pria de détourner sa tête, de regarder la route, et le reflet des yeux des Monstres qui brillaient dans l'humidité.

— Et après?
Coup de Foudre tiqua de l'oreille, tourna l'oeil, vit la désespoir dans ceux de Puma qui ne le lâchait plus du regard.

— Continue!
—-- ...

Il se demanda, un instant, si un oeudème ne gonflerait pas dans l'oeil de Puma; si son oeil enflé ne le laidifierait pas, et s'il ne tenterait pas de se cacher, comme lui, de la curiosité qui prenait autrui devant une tel signe de vulnérabilité. Pendant un instant, il chercha son visage, furetant son attention sur sa truffe, ses moustaches, ses babines, la cicatrice à son nez. Dans le soir qui tombait, Puma était grisaillé, et Coup de Foudre devait se faire violence pour le reconnaître comme un chat roux et pas comme un fantôme au masque en face.

Il inspira son air, fit mine d'ouvrir la bouche, et puis la referma d'un clap de toutes ses dents droites. Lésé, embarrassé par un sourire meurtri, il haussa les épaules comme réponse à sa demande. Il y avait un goufre que toutes les réponses du monde ne pourraient jamais remplir. Même le plus curieux des chats devait parfois s'avouer inutile, vaincu, bredouille. Quoi qu'il puisse lui dire, Nuage de Rossignol ne reviendrait pas à la vie.

À défaut d'avoir d'autres infos pour satisfaire son manque à Puma - et d'avoir été refusé son geste de soutien -, Coup de Foudre recourba sa queue vers lui-même, s'entourant avec, s'étreignant.

Son injonction fend le crépuscule sans trouver de réponse. Coup de Foudre lui-même est désarmé; Cœur de Puma peut le dire.

Mais au moins lui sait le dévisager. Le jaune vif de son camarade l'électrifie; dans ses yeux il se sait vivant.
Coup de Foudre a le temps de faillir répondre par sa gueule avant que Cœur de Puma ne relâche ses épaules bandées, comme vaincu. Et ce sourire embarrassé collé à un visage auquel il ne va même pas. Coup de Foudre, embarrassé ?

Maintenant ce sont ses gros sourcils broussailleux qui s'affaissent. Puis son menton, qui tremble quand de ses narines échappe un souffle chevrotant. « Continue… » La dernière syllabe lui glisse des mâchoires comme une imploration tandis que son regard s'accroche avec toute la force du monde au visage crispé de Coup de Foudre.

Le soir est calme.
Cœur de Puma n'a pas besoin d'autant de temps qu'auparavant pour abandonner l'idée qu'on lui réponde. Alors reflet de l'autre dans un miroir, le balafré se recroqueville à son tour mais l'effort lui arrache une larme lourde de fatigue qui coule sur sa joue gauche. Le souffle court, le brun-roux coupe le contact visuel.

Peut-être qu'il préfère qu'on ne le voit pas, finalement.
Peut-être que lui aussi ne veut pas savoir.

Il y a pourtant quelque chose dans ces prunelles jaunes qu'il désire plus que tout. Son corps lui-même ne sait plus réagir; faut-il confronter l'éclair ou le fuir toujours ? Ses pattes en tremblent, sa gorge est sèche et ce silence qui le plombe...

Il le comble d'un reniflement gras dont il ne cherche pas à s'excuser auprès du bengal.

Mais l'heure n'était plus à meubler le silence. L'heure était à le confronter. Et Coup de Foudre ne connaissait que trop bien ce malaise qui rampait sous la peau de Coeur de Puma à ses côtés. Il le reconnaissait de Fifi, de Roux, de Bec, de Brisé... Coeur de Puma ne voulait pas son soutien physique, mais il n'avait pas complètement rejeté sa présence, pas complètement rejeté son regard.

Coup de Foudre laissa le sien suivre les yeux phosphorescent d'un Monstre qui fila devant eux, appréciant la bourrasque de sa course qui le fouetta au nez, faisant balotter son poil ras.

Son oreille se tordit vers Puma lorsqu'il l'entendit renifler. Il battit l'air de l'oreille, la redressa, et quitte à pouvoir lui faire ressentir sa queue contre la sienne il la battit contre l'avant-main du guerrier qui deuillait. D'abord pour lui rappeler sa position dans le présent, dans la chair de la réalité, ensuite pour attirer son attention, car Coup de Foudre s'était levé sur ses quatre pattes et le regardant par-dessous son épaule.

— ... Je te montre?

Qui sait si c'était la technique ou la tête cassée qui lui permettait d'échapper à la mort à toutes les fois qu'il retentait l'expérience. Qui sait s'il pouvait seulement enseigner ce tour à des plus jeunes, moins disciplinés, nerveux et épris de peur.

Dans une flaque, son reflet souriait à l'envers, présentant à une classe d'apprentis le Chemin du Tonnerre. Aujourd'hui, qu'il leur disait, cours d'Anatomie Monstrueuse. Noisette bousculait Rossignol de la patte et elle se plaignait au professeur. Coup de Foudre de demander à Noisette ce qu'elle faisait. Juste s'amuser, elle répondait (elle pouvait répondre). Coup de Foudre de l'avertir que le Chemin du Tonnerre nécessitait à tout le monde d'être calme, droit, attentif, sans quoi beaucoup ne pourraient plus manger de proies une fois la tombée du soir. Et dans ce monde qui n'existait pas, qu'il se forçait à boire à toute les fois, on l'écoutait.

C'était beau de rêver.

Troublé et cherchant encore ce qui lui manque tant, Cœur de Puma n'entend même pas son camarade se redresser. C'est la queue qu'il a chassé juste avant qui retient son attention en glissant sur son épaule.

Eh bien. Coup de Foudre part déjà.

Il doit faire peine à voir pour que même lui ne porte plus aucun intérêt.
Voilà longtemps que le Clan fait de même.

Plus personne ne le regarde dans les yeux. Ont-ils tous cette boule épineuse dans la gorge qui les empêche de respirer à la seule pensée que sa fille ait pu souffrir comme elle a souffert ? Est-ce qu'ils se posent tous ces mêmes questions le soir venu ou quand ils approchent l'asphalte grondante ? Ont-ils peur de la voir ? Qu'un stupide rossignol se mette à chanter à leur passage comme pour leur rappeler la douce mélodie que ce putain de Monstre a bien pu éteindre à jamais en percutant sa fille ?
Est-ce que tout le monde se sent aussi coupable que lui ? Est-ce que ça les bouffe aussi ? Tous ces lâches qui font comme si rien ne s'était passé.

« ... Je te montre? »

Il reprend une bouffée d'air. Même relevés vers le bengal, ses yeux ne perçoivent qu'une grosse tâche sombre dans le flot de ses larmes. Il hoche la tête mécaniquement; pour qu'on ne le regarde plus.

Sans plus de voix, Coeur de Puma ne parla plus que d'un mouvement de la tête. Coup de Foudre pencha la sienne en réponse. S'il s'était déjà éloigné, il revint toutefois sur ses pas pour bousculer le guerrier de la patte, initiant un tout nouveau genre de contact.

— Eh. Sors de ta tête.

Sa queue tapa ses jarrets et il fronça légèrement les sourcils, ses babines formant un sourire asymétrique.

— Utilise tes mots, tu veux?