Après la pluie... - end

Le renard s'était montré le plus impatient. Face aux deux guerriers, il ne semblait pas faire le poids, d'autant qu'il était très amaigri par les intempéries qui avaient sévi durant la précédente lune. À travers son pelage roux qui, il fut un temps, avait dû être magnifique et épais, Aigue-Marine pouvait apercevoir ses côtes. Il semblait affamé, et d'ailleurs, les deux guerriers de la Rivière l'avaient surpris en pleine chasse. Mais son déjeuner s'était enfui, averti par le raffut. Le renard était prêt à en découdre. Deux chats de Clan seraient un mets appréciable et certainement plus nourrissant qu'un pauvre mulot squelettique. Alors, tenaillé par sa faim, et contrôlé par la colère qu'on attribuait généralement aux goupils, il sauta en direction de Lapis Lazuli, qui manqua de peu de se faire arracher une bonne touffe de poils. Sa compagne de Clan ne put s'empêcher de pousser un cri, à la fois de terreur et de courage : maintenant que Lapis Lazuli avait reculé, c'était elle qui intéressait le renard. Sans doute allait-il procéder de sorte à fatiguer les deux félins l'un après l'autre, pour finalement en choper un, voire les deux, qui sait ?
Aigue-Marine était figée. Elle semblait campée sur ses pattes, comme si celles-ci s'étaient soudainement transformées en quatre troncs d'arbres épais et indestructibles. Si d'autres chats observaient la scène au loin, ils penseraient sûrement qu'elle allait se laisser attaquer, se faire dévorer, être aussi peu entraînée qu'un chaton. Mais la réalité était qu'elle réfléchissait. Elle réfléchissait à toute allure à la manière dont elle allait pouvoir s'en sortir. Le renard, bien que d'aspect fragile, était un prédateur féroce ; tous les chats de Clan le savaient et le redoutaient. Elle qui avait si peu confiance en elle et en ses capacités, allait-elle réussir à en venir à bout ?

L'attaque du renard l'obligea à se décider. Le temps n'était plus à la réflexion ni à la tactique : il fallait agir, improviser, et prier leurs Ancêtres pour qu'ils leur viennent en aide.
Le goupil sauta dans les airs et atterrit sur le dos de la guerrière au poil d'écorce. Celle-ci s'affaissa sous le poids de l'animal, qui la surprit : elle s'attendait, au vu de la silhouette très fine du renard, à ce qu'il soit très léger ; mais il mettait une sacré force dans sa prise. Elle s’arque bouta dans l'espoir de le faire chanceler, ce qu'elle parvint à faire. Cela dit, elle ne réussit pas à s'en débarrasser : l'ennemi tenait bon et plongeait toujours ses griffes dans le poil épais d'Aigue-Marine, dont le grognement se faisait chaque seconde un peu plus fort, un peu plus terrifiant, du fait de la douleur, mais aussi de la colère. Aigue-Marine semblait avoir besoin de se donner du courage par la voix.

Après avoir vu que sa technique de défense ne fonctionnait pas, elle décida de jouer le tout pour le tout. Soudainement, elle se laissa tomber au sol et profita de l'effet de surprise pour se retourner : elle était désormais le dos contre le sol, tenant fermement le renard entre ses pattes pour lui éviter de s'échapper. Son but était, avant que celui-ci ne se remettre de sa surprise, de lui lacérer la peau du ventre à l'aide de ses griffes. Cet endroit du corps était très sensible, chez tous les animaux, et Aigue-Marine était certaine que, à réussir ce qu'elle projetait, elle et Lapis Lazuli sortiraient vainqueur de ce face à face tonique.


Spoiler:

L’animal au pelage roux flamboyant rendu presque terne par la faim et la fatigue poussa un puissant cri de douleur. En dessous de lui, Aigue-Marine, dos au sol, venait de planter ses puissantes griffes dans la chair de l’animal. Rouge, le sang se mit à couler, s’étalant autour des plaies. Elles n’étaient pas bien grandes - pas de quoi l’éventrer, en tout cas- mais suffisante pour le déstabiliser.
Abasourdi par cette attaque, il recula d’un bond, se libérant des griffes de son adversaire. Plus confus que blessé, il voulu jeter quelques regards à son poitrail légèrement sanguinolent, mais ne se le permettait pas. Son regard se déplaçait rapidement entre Lapis Lazuli et Aigue Marine, les deux guerriers aux noms de pierre. Les deux guerriers bien déterminés à se montrer aussi puissants que ces dernières.

Haletant, la rage se dessinait davantage dans ses yeux, et ses babines se retroussaient toujours plus, dévoilant d’horribles crocs et une haleine transpirant la charogne. Son attitude était très claire: lui aussi avait décidé d’en découdre. Sa posture, ses grognements et son regard déterminé laissaient transparaitre un message simple mais efficace: je serais celui qui vous arracherait la vie.
Face à ce comportement, le guerrier gris-bleu émit un feulement de colère. Le goupil était jeune, terriblement borné et stupide. Mais au delà de ça, c’était un danger ambulant et ils ne pouvaient le laisser s’en sortir.
Cette fois-ci, ce fut le matou qui prit les devants. Son oeil droit crevé, il lui tourna autour, la face tournée vers la gauche. Un angle mort pourrait lui être fatal. Se faisant toujours plus menaçant, il ne quitta pas le prédateur des yeux. Il ne devait montrer aucun signe de peur. Et ce ne fut pas la tâche la plus évidente de toute.

Il avait beau essayer d’être le plus confiant possible, de mettre de côté les fins éventuelles de ce combat qui pourraient se conclure par une victoire du renard, Lapis Lazuli était d’un naturel logique. Bien entendu qu’il avait peur! Il faisait face à une créature plus grande que lui, plus jeune et sans doute plus dynamique quoiqu’affaiblie par le blizzard. Les illusions de victoires ne lui sauveraient pas la vie. Il pouvait mourir, comme n’importe quel jour précédent ou à venir. La mort était toujours derrière lui, et face à un tel animal, toujours plus proche.
Sans doute le renard avait il peur lui aussi. Et c’était normal. Pouvait-on seulement juger, réprimander la peur? Elle qui sauvait tant de vie?
Il fut d’ailleurs probablement inquiété par les intentions inconnues de son adversaire, puisque lorsque le chat de la Rivière fut plus proche, il lui lança un coup de pattes griffues qui vinrent l’atteindre au niveau du flanc. Rien de bien grave, quelques gouttes de sang à la rigueur, mais assez pour énerver le vétéran.
Il poussa un cri, non pas de douleur mais de rage, sortant ses griffes blanches autant qu’il le pu, pour lui assener un coup à la gueule.
L’haleine putride du renard vint se faufiler jusqu’aux narines du chat borgne lorsqu’il se mit à glapir à quelques longueurs de queue de lui, reculant à nouveau. Mais en se déplaçant, il se rapprocha de la femelle brune. C’était désormais à son tour de riposter, et il lui faisait entière confiance.

Spoiler:

Aigue-Marine, sur la défensive, avait observé de près la technique d'attaque de son compagnon de Clan. Elle avait feulé avec lui, grogné avec lui, senti des frissons lui parcourir l'échine en même temps que lui. Quand les griffes du renard avaient réussi à blesser légèrement les flancs de Lapis Lazuli, elle avait ressenti la douleur elle aussi ; puis elle s'était réjoui de l'attaque du vétéran, qui semblait avoir encore affaibli le renard.
Celui-ci avait reculé un instant, recroquevillé, haletant. Pendant un court moment, la guerrière brune eut l'espoir qu'il choisisse de déguerpir. Mais au bout de quelques secondes qui lui parurent une éternité, le goupil roux se redressa et sembla même s'agrandir, comme si la fureur lui permettait de gagner en épaisseur et en hauteur. Plus que par la douleur, le jeune mâle au poil dense et à la queue touffue semblait se laisser mener par la rage. Il avait sans doute trop de fierté pour se laisser battre par deux chats de Clan ; et peut-être avait-il aussi trop faim, d'ailleurs, pour laisser s'échapper un éventuel repas.
C'était donc reparti pour un tour ; et après Lapis Lazuli, c'était à Aigue-Marine de se lancer dans la gueule du loup... ou du renard, vu la circonstance.

Dans un feulement, elle se lança sur le rouquin et atterrit sur son arrière-train, stablement attaché au bas de ses hanches, qui constituait un endroit tactique très intéressant puisque c'était grâce à ces muscles proches des flancs et des pattes que chaque mammifère prenait appui, et donc pouvait sauter, attaquer, courir, se défendre... Aigue-Marine avait comme objectif de blesser le renard à cet endroit le plus possible. Elle commença donc à griffer et mordre. Mais elle était tellement concentrée sur son attaque qu'elle en oublia sa défense, et un cri aigu de douleur s'échappa de sa gorge lorsqu'elle sentit son oreille se déchirer sous les crocs agile du renard. Celui-ci, très fin, avait réussi à tourner sa tête de manière à attraper son assaillante au niveau des oreilles.
Mais plus que la déstabiliser, la douleur que ressentit Aigue-Marine lui insuffla une force nouvelle, une force de vaincre qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Elle était déterminée à s'en sortir, et surtout, elle faisait le serment de ne plus jamais laisser quelconque lui asséner un tel coup. Elle avait été un instant aveuglée par le sang qui coulait de la blessure de son oreille, mais il était désormais très clair qu'elle était loin d'abandonner.

Lorsqu'elle estima qu'elle avait suffisamment désarçonner le renard, la guerrière tigrée s'éloigna de lui d'un bond et observa le fruit de son labeur. Le renard saignait abondamment de l'arrière-train et semblait fragilisé à cette zone. Il boitait légèrement et léchait brièvement ses plaies, profitant du temps d'accalmie.
Un instant, Aigue-Marine se laissa attendrir par la vue du renard blessé et saignant. Un pincement au cœur la surprit : ce spectacle la blessait, elle aussi, comme si elle éprouvait de la peine pour l'animal. Elle s'en voulait presque d'être tombé sur lui et d'avoir dû l'attaquer. Quelle chatte de Clan faisait-elle si elle se laissait apitoyer par l'un des animaux les plus dangereux pour les félins ?



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Aigue Marine se lança sur l’arrière train de la bête, sauvage et forte, déterminée à s’en sortir. Elle s’acharnait à l’handicaper, afin de le rendre le moins dangereux possible dans les secondes à venir. Mais sa ferveur était telle qu’elle en oublia l’adversaire. Le renard se retourna, se pliant dans un angle étrange afin d’atteindre son assaillante.
Le guerrier gris bleu voulu l’avertir, mais il eut finalement plus de peur que de mal. Il n’acceda pas à sa gorge, qu’il voulait viser sans doute, mais du se contenter d’un morceau d’oreille qu’il arracha d’un vif coup de croc. Loin d’être une blessure fatale, elle restait douloureuse, arrachant à la femelle un cri de douleur aigu. Enfin, lorsqu’il fut suffisamment amoché, elle relâcha l’emprise qu’elle avait sur lui, se réceptionnant d’un bond quelques mètres plus loin.
S’il aurait pu être fier d’elle, une expression nouvelle sur son visage vint décontenancer le vétéran. De la pitié, peut-être. De la tristesse.
Oui, le renard était mal en point. Oui, il souffrait. Oui, elle pouvait être triste. Mais elle ne pouvait lui accorder de pitié. Affaibli ou non, il restait un prédateur, et lui n’en aurait aucune, de pitié, s’il venait à pouvoir reprendre sa revanche. Lapis Lazuli ne lui en aurait pas voulu, si elle avait eu cette réaction face à un autre félin. Mais cette fois-ci, ça ne pouvait être acceptable. Alors, contre sa volonté, il baissa sa garde, se tournant vers la jeune guerrière.

« Aigue Marine, c’est un renard que tu as en face de toi. Un renard jeune, pas un chaton sans défense. Il est peut être blessé, mais dans quelques lunes, il sera de nouveau sur patte. Penses-tu qu’alors, une fois qu’il aura récupéré ses forces, il aura la même attitude que la tienne face à une pouponnière de chaton? Penses-tu vraiment qu’il… »

Il fut coupé en plein milieu de sa phrase. C’était son oeil droit qu’il avait tourné vers l’adversaire. Son oeil aveugle, crevé, en direction d’un prédateur qu’il avait sous estimé par son état. Et maintenant il était là, à côté de lui, faible mais déterminé à ne pas mourir. Assez déterminé pour mettre de côté la douleur et bondir vers le guerrier pour lui planter des crocs puissant dans le flanc.
Il les sentit, rapides, s’enfoncer progressivement dans son muscle, expulsant le sang en dehors des plaies. Une douleur vive, puissante, paralysant sa cuisse temporairement dans une contraction atroce.

Le guerrier gris-bleu hurla, de douleur et de rage, contre le goupil et lui même. Il avait baissé sa garde, et en payait le prix. Il avait sous estimé un prédateur. Ô, terrible erreur qu’il payait là. Sans même réfléchir, il leva une patte puissante, toutes griffes et crocs dehors, ne pouvant quitter le renard des yeux qui le saisissait encore d’une mâchoire forte. Et ces griffes virent se planter dans ses yeux, les rayant de profondes cicatrices.
Le sang gicla des globes oculaires de la bête rousse. Du sang et de la bave, expulsée dans un cri plus puissant encore que celui du chat, qui vinrent se poser sur la gueule de ce dernier. Et dans ce cri, sa mâchoire s’ouvrit à nouveau, libérant enfin le mâle de la Rivière.
Difficilement, il s’éloigna, ne parvenant que moyennement à utiliser son membre blessé, tandis que le renard cherchait désespérément à voir, ses pupilles injectées de sang.

« N’accorde jamais ta pitié à un être qui n’en a aucune, Aigue Marine. »

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Lapis Lazuli rappela Aigue-Marine à l'ordre, lui rappelant que si elle ressentait de la pitié face au renard blessé, ce dernier n'en aurait pas, lui, face à elle, et encore moins face aux membres les plus faibles de la colonie. Cette pensée raviva la colère de la guerrière, qui en oublia toute pitié ; ce sentiment de rage enfla encore quand le renard attaqua Lapis Lazuli, le blessant sérieusement et, surtout, le prenant de surprise : pour lui parler, le vétéran avait dû baisser sa garde, et c'était donc un peu sa faute s'il s'était fait attaquer.
Aigue-Marine vit rouge et se lança sans hésiter dans la bataille. Elle atterrit mollement sur le goupil et s'acharna à le faire lâcher prise. Le coup de pattes puissant que Lapis Lazuli lui asséna parvint à cet objectif, et décontenança tant le renard qu'Aigue-Marine bénéficia de longues secondes pour continuer à le blesser. Il ne voyait plus grand chose et devait sûrement être un peu assommé par la puissance patte qui l'avait cogné.

Finalement, après un dernier coup de griffes arrières puissant, le renard disparut dans les fourrés avec un glapissement très sonore et qui trahissait sa douleur, mais aussi sa rage d'avoir perdu ce combat.
Les guerriers devraient être vigilants dans les temps à venir : les renards étaient des animaux rancuniers et n'hésitaient pas à revenir sur les lieux de leur défaite.
Mais en attendant, Aigue-Marine et Lapis Lazuli devraient rendre visite au guérisseur : ils avaient bien ramassé aussi, pendant ce combat.

« Rien de grave ? » lança-t-elle, se préoccupant des blessures de son partenaire de combat. Elle-même en avait aussi, et d'ailleurs la déchirure de son oreille la lançait horriblement. Mais ce combat lui avait donné une énergie nouvelle. Elle se sentait pleinement guerrière.


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