[BATAILLE] Destin scellé - end

Autour d'eux, la bataille faisait rage. La mélodie des feulements et des crachats baignait les cris de douleurs et de rage. Ça et là flottaient des lambeaux de fourrures dont le panel des couleurs était largement diversifié. Parfois, le bruit sourd des chutes contre la pierre sonnait comme un tambour de guerre dans la foule de combattants. Et plus le temps passait, plus l'on pouvait apercevoir divers taches de sang, dans lesquelles s'embourbaient parfois des pelotes de poils. Le soleil, premier témoin de ce massacre, éclairait cependant ce dernier, et ses rayons commencèrent à réchauffer les rochers pour lesquels les matous se battaient. Plus que de vulgaires cailloux à vrai dire, cette bataille était surtout la preuve concrète que le Clan de la Rivière voyait son voisin du Tonnerre assez faiblard pour pouvoir l'écraser sur ses propres terres. Plus qu'un peu d'orgueil, il s'agissait d'une bataille pour la domination, pour l'honneur.

Le Clan de la Rivière n'avait pas besoin des Rochers du Soleil, d'un côté comme de l'autre de la rivière, le poisson nageait à foison. Et si les proies avaient bien manqué dans les prairies des attaquants durant le blizzard, elles y proliféraient désormais. Si bien que ce combat dépassait ces quelques taches de sang, et ces quelques poils arrachés. Ce combat visait bien plus loin.

Nuage de Saumon était, et ce malgré ses compétences minables, un animal très vif. Globalement, il comprenait rapidement les choses, mais ses années d'incompétence lui avaient surtout permis de développer d'excellents réflexes, desquels il ne tirait aucune gloire puisqu'ils étaient le signe de son impuissance. Cela dit, il ne pouvait affirmer que sa vivacité ne lui était d'aucune aide. Pour pur exemple, et alors qu'il venait d'effectuer un mouvement martial ridicule et qu'il exposait son flanc à son adversaire, lorsque celle-ci tenta de le lui mordre, il parvint à éviter sa contre-attaque en inversant habilement ses appuis.

La féline au poil gris, qui venait donc chercher le contact physique dans son attaque, avait également servi sa cuisse sur un plateau d'argent. Ni une, ni deux l'apprenti-guerrier au pelage de sable y planta les crocs ! D'un blanc immaculé, les quatre dents pointues s'invitèrent dans la chair de l'ennemie, entre le flanc et le début de la cuisse. Oh, ils ne s'étaient pas enfoncés bien loin, mais assez pour rendre les mouvements de la novice du Tonnerre plus douloureux.

Ses crocs, qui n'avaient alors servi qu'à achever les quelques poissons qu'il avait attrapé lors de ses séances de pêche auprès de son mentor Rivière Sombre, avaient finalement atteint le sang de son ennemie. Si la plaie n'était pas profonde, elle permettait tout de même au jeune novice de goûter à la saveur rouillée du liquide rouge, et c'est d'ailleurs cette affaire qui le fit desserrer la mâchoire, sans pour autant lâcher prise. Mais à peine Nuage de Saumon eut-il rebroussé chemin dans la violence qu'il sentit une autre paire de crocs -qui évidemment n'était pas sienne- s'inviter sans gêne au sein-même de son épaule.

La douleur était supportable, mais la surprise retint toute réaction. En effet, le matou couleur sable n'osa point bouger, et son cœur s'emballa. C'était la première blessure que la femelle grise lui infligeait, et il paraissait plutôt évident que l'animal de la Rivière n'appréciait guère la douleur qui allait avec. Il n'eut pas le temps de s'y accommoder que sa peine redoubla, les dents pointues plongeant toujours plus profondément dans son épaule. Cette fois-ci, la souffrance était trop forte, et elle semblait éveiller en lui un instinct encore inconnu. C'est alors que ses propres crocs quittèrent la chair sanglante de son assaillante, et dans la foulée il bondit, se libéra de l'emprise de son ennemie en aggravant bêtement sa propre plaie. Un feulement monta dans sa gorge avant d'exploser contre les rochers qui entouraient les deux apprentis.

Dans son regard d'azur, point de pitié, point de remords et point d'hésitation. L'animal bicolore se réceptionna avec agilité, et si tôt que ses antérieure eurent touchées le sol rocailleux, si tôt elles le propulsaient sur l'autre touffe grise. A nouveau, un feulement lui échappa, promesse d'une contre-attaque redoutable, attirant peut-être l'attention de quelques uns de ses pairs. Et c'est d'un généreux coup de patte -cette fois avec ses jolies griffes en ornement- que Nuage de Saumon atteint la joue de la féline qui venait de lui meurtrir l'épaule. L'élan donné par ses pattes arrières lui permit de venir se cogner contre la féline, si bien qu'il la poussa contre une pierre qui trônait là. Assez maladroitement, les novices culbutèrent le gros caillou, et le mâle, dont la choc avait été amorti par le corps musculeux de la féline, parvint à la plaquer au sol, le regard furibond. Ses jeux de chaton lui paraissaient désormais si loin...

Autour d'eux, la bataille faisait encore rage, et on ne savait dire qui l'emporterait du Tonnerre ou de la Rivière.