Respire... Et... Skate? [pv Rusty] - end

Un nom... Normal? La formule fit sourire Tonton. C'était bien la première fois qu'on lui disait ça ! Depuis que les enfants l'avaient baptisés ainsi (allez savoir pourquoi), il en avait entendu, des blagues à ce sujet. C'était bête, comme nom, ça n'en était presque pas un. Il le portait plus comme un titre, un souvenir des jours meilleurs. Mais quelque part, il voyait exactement ce que Rusty voulait dire. Les noms vraiment étranges, il y en avait plein la forêt. Les Nuage de-, les Queue de-, les noms interminables qui en plus changeaient quand on recroisait le chat ! Impossible de se souvenir de tout ça. Finalement, Tonton, c'était... Simple. En comparaison.

Après l'avoir rassuré qu'il était bel et bien invité à rester, Rusty partit sur une nouvelle tangente, qui fit perdre à Tonton son léger sourire. Il parlait de ses enfants qui ne passaient plus le voir, plus pour lui même que pour Tonton, comme si il réfléchissait à voix haute. Aussi, Tonton ne dit rien. C'était sans doute mieux - cette histoire avait l'air d'attrister Rusty, et de l'entendre parler de ça ramenait Tonton à sa propre situation, bien qu'elle ne soit pas vraiment comparable. A son âge, Rusty avait du en avoir, des portées. Des tas de chats désormais adultes qui n'avaient plus besoin de lui... Ca devait être très dur. Tonton ne s'imaginait pas se comparer à ce que le vieux matou devait ressentir. Ses enfants à lui, ils n'avaient sans doute pas beaucoup grandis. Et ce serait déplacé de les comparer aux chatons de quelqu'un... Ça n'avait rien à voir...

Bien heureusement, ils arrivèrent à destination avant que Tonton ne se sente obligé de renchérir sur ce sujet dangereux.

Pour une cabane, c'était une belle cabane. Tonton s'imaginait que ça devait servir aux Bipèdes à stocker les choses dont ils n'avaient pas besoin (ou qui faisaient tâche dans leurs jolies maisons). C'était assez grand et sec pour que les deux matous puissent y être à l'aise, et Tonton du avouer que d'avoir un abri de la pluie n'était finalement pas si mal. Il était sans doute resté dehors à se lamenter sur son sort plus longtemps qu'il ne l'avait cru...

Trop occupé à observer ce nouvel environnement, sa truffe s'agitant un peu pour repérer de nouvelles odeurs (d'autres chats?), Tonton manqua presque le signal de Rusty - l'heure de manger ! Le gros chat blanc fût surpris de voir une gamelle, une vraie, remplie de quelques proies des bois. Hum. Étrange. Et Rusty, lui, se servit dans un grand sac de croquettes (!!!) qu'il vint renverser vers lui, histoire qu'ils mangent côte à côte.

Bon. Comme c'était la gamelle qu'on lui avait présenté, Tonton se pencha et prit une souris, en prenant bien soin de déposer ce qu'il restait de son pauvre collier-qui-n'en-était-pas-vraiment-un à côté, histoire de ne pas le salir davantage. Ça avait l'air bon. Une souris, quoi. Mais à voir la diversité de nourriture présente dans cette cabane, et comme les odeurs ne correspondaient pas, il ne pût s'empêcher de demander:

"Vous vivez avec des..."

Il hésita sur le mot. A la ville, on en avait plein. 'Deux-Pattes', 'Les Autres', 'Les Grands'... Mais ici, les chats de la forêt disaient 'Bipèdes'. Il valait peut-être mieux les imiter, pour être sûr d'être compris...


"Bipèdes?"

Si c'était le cas, ils n'étaient pas passés depuis longtemps. Tonton ne reconnaissait pas leur odeur. Mais... Les croquettes ne pouvait venir que d'eux, non?

Plus que manger, le vieux Rusty aspirait ses croquettes en les emportant quatre à quatre à chaque large lapées. Bientôt sa bouche fut trop remplie mais l'extra-stockage força ses dents, un peu afaiblies, à bien mordre sa bouchée. Rusty ne se plaint ni de la douleur ni de la difficulté, sans non plus faire mention qu'il s'agissait de ses croquettes préférés du vétérinaire qui servaient à garder ses dents propres.

En contrepartie, Rusty, étant un chat, bien qu'il se convainquait de contrôler ses portions n'avait aucune idée qu'il mangeait à 10 croquettes l'équivalent de trois repas.

Quant à Tonton, il ne se servit d'aucun fruit de sa pêche, préférant, bizarrement, ceux de sa chasse. Une toute petite souris dans laquelle il planta ses dents.

— Vous vivez avec des... Pendant que Tonton cherchait ses mots, Rusty s'efforça à croquer, rentrant le menton et tendant tout son dos tout en ayant fléchi les coudes pour s'accroupir devant le repas.

— Bipèdes?"

Croc-croc et croc-croc-croc. Des éclats de croquettes volèrent à ses babines sur lesquelles Rusty passa un bref coup de langue, avant de retrousser et grimacer à l'effort du dernier gros CROC.

— Orf, plus depuis longtemps...

Les dents étaient peut-être gâtées (sans doute moins, grâce au contrôle-dentaire?), la langue, elle, s'était déliée avec les années.

— Quand mon humain est parti, j'ai attendu son retour pendant plusieurs saisons... C'est Trash qui est venu m'offrir d'habiter avec lui."

Sans vraiment réfléchir, Rusty, qui était déjà accroupi, se mit à laper l'eau qu'il laissait lui-même couler sur les lattes. Bien plus savoureux que la vase du bourbier. Un petit rire lui secoua les épaules: Maintenant que j'y pense, c'était un jour de pluie exactement comme aujourd'hui!... Il redressa son menton mouillé, mais n'osa pas regarder son interlocuteur. Sa tête, ses pensées, ses priorités, maintenant que son invité était au sec, se trouvaient ailleurs.

— Alors vous aussi vous avez perdu votre maison?

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C'était étrange d'avouer à quel point le calme de la scène avait calmé les nerfs de Tonton. Partager un repas avec un parfait étranger qui lui avait ouvert sa porte sans raison apparente, être au chaud et à l'abri de l'averse qui continuait dehors... Si il n'avait pas eu ce qu'il restait de son collier, petit morceau de tissu encore tout trempé et trainant sur le sol, dans son champ de vision, Tonton aurait pu se convaincre qu'il ne s'était rien passé de grave aujourd'hui.

Peut-être qu'il ne s'était rien passé de grave, aujourd'hui, en fait...

Malgré la chaleur du moment, le matou ne parvint pas à se détendre complétement, et la petite souris qu'il avait choisit lui resta sur l'estomac. Il se retrouva presque soulagé quand Rusty arrêta de faire croquer sa nourriture bruyamment entre ses dents pour lui répondre, avant de se raidir à nouveau quand les mots du vieux chat résonnèrent un peu trop en lui.

Au fond, ils étaient un peu dans la même bateau... Sauf que, dans le cas de Tonton, c'était lui qui était parti (involontairement, mais parti quand même) de son foyer. Et que Rusty, lui, avait du en passer, des lunes sans son 'humain'. Tonton n'était pas certain de l'âge que pouvait avoir le chat avec qui il taillait le bout de gras- passé un certain nombre d'années, tout les vieux chats se ressemblaient un peu. Il avait l'air assez vif et bavard, plus que les très très vieux ancêtres qui passaient leurs temps à dormir, mais tout de même... Il avait du en voir, des choses. Et en passer, du temps à regretter ceux qui étaient partis.

"En quelque sorte," répondit-il quand Rusty, justement, lui demanda si lui aussi, il avait perdu sa maison."En fait, c'est plutôt la maison qui m'a perdu."

Ça n'était peut-être pas très compréhensible. Tonton sentait bien que quelque fois, à force de ne pas préciser de quoi il parlait, des quiproquos se créaient. Un paquet de chats qu'il avait rencontré devaient être convaincus qu'il avait juste perdu une portée de chatons, ou quelque chose dans le genre... Il fallait peut-être mieux être clair, cette fois ci. Tonton se racla la gorge.

"Je n'habitais pas vraiment là bas... Officiellement. C'était une grande maison, avec beaucoup... Beaucoup d'enfants. Je crois qu'ils vivaient tous là bas parce qu'ils n'avaient pas de famille à eux, vous voyez? Moi, je passais là bas, je les surveillais, je jouais avec eux..."

Il n'en avait jamais vraiment parlé, de cette vie là. Pas à d'autres chats, en tout cas. Il avait brièvement abordé le sujet avec Grenouille, mais sans jamais rentré dans les détails.

""C'était un peu... Comme une famille. Pour moi.""

Il baissa les oreilles. Quel pitoyable spectacle... Rusty le récupérait au 36ème dessus, à sangloter sur un bout de tissu, et le voilà qui dévoilait ce genre de trucs, à un chat qu'il connaissait à peine...

Non, décidément, ça n'allait pas bien, aujourd'hui...

La pluie tapait le bois mais ils étaient bien à l'abri. Elle n'entrait vraiment en angle que par la fenêtre, mouillant la selle du tracteur-tondeuse qui faisait le guêt en-dessous.

— En quelque sorte. En fait, c'est plutôt la maison qui m'a perdu.

L'explication confondit le vieil abyssin, qui plissa un peu les paupières, ses larges oreilles s'abaissant de méfiance. Ça lui rappelait sa fille, Bouquet de Muguet, à qui "la maison" l'avait aussi perdue. Même si Rusty avait un certain attachement pour le territoire du Bourbier, Le Clan de l'Ombre avait mal-traité Muguet au point de la pousser à fuir. Elle vivait à la Rivière, désormais, elle était en sûreté, et sa propre fille à elle vivait dans la Tribu du Soleil tout près. La question était donc: est-ce qu'on avait maltraité Tonton?

— Je n'habitais pas vraiment là bas... Officiellement. C'était une grande maison, avec beaucoup... Beaucoup d'enfants. Je crois qu'ils vivaient tous là bas parce qu'ils n'avaient pas de famille à eux, vous voyez? Moi, je passais là bas, je les surveillais, je jouais avec eux...

Mais au fil de son explication, Rusty compris que l'histoire de Tonton ne ressemblait pas exactement à celle de Muguet. Le froncement de ses broussailleux sourcils blancs s'allégea, et une vieille image s'anima dans les yeux de ses pensées.

— Tu habitais un refuge?...

Pas un refuge pour chats, mais un refuge pour humains? Ça existait? Ça devait exister - il existait bien des choses que Rusty ne connaissait pas (encore), et Tonton lui semblait bien trop triste pour lui mentir et lui tricoter une histoire...

— C'était un peu... Comme une famille. Pour moi.

Rusty secoua sa tête mouillée. Il redressa le dos, passant d'accroupi à assit, plongeant son regard dans son interlocuteur sans ciller.

— Pas "comme", Tonton, il insista, mais sans ne rien perdre de sa douceur. Ils   sont   ta famille.

Il laissa son attention redescendre sur le collier-douillette de Tonton.

— C'est tout ce qu'il te reste d'eux?

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Tonton hocha la tête au mot "refuge". A ses yeux, ce n'était pas tout à fait ça, et il devait bien exister un meilleur mot pour désigner son foyer perdu, mais il n'en connaissait pas d'autre. Refuge, ça sonnait bien. Ça faisait "havre de paix". C'était ce que ça avait été pour lui, finalement, cet endroit...

Ce qu'il aurait pu dire pour préciser ce à quoi le refuge ressemblait se perdit immédiatement dans sa gorge noué quand Rusty déclara - non, affirma, que ceux qu'il avait laissé derrière lui, ses enfants qu'il avait perdu et n'arrivait plus à rejoindre... Qu'ils étaient sa famille.

Et ça, le matou ne savait pas quoi y répondre.

N'ayant jamais vraiment partagé cette histoire avec quiconque, Tonton n'avait jamais prit une seconde pour se demander ce qu'un autre chat pourrait penser de son lien si spécial avec ses enfants. Oh, il avait bien dans l'idée qu'il aurait été l'objet de... Quolibets. Quand il vivait en ville. Les chats des poubelles n'aimaient pas tellement les bipèdes. Et ici, dans la forêt... Ce serait probablement pire, si les chats des clans en avait quelque chose à faire de lui.

En tout cas, Tonton ne s'était jamais imaginé qu'on puisse écouté son histoire sans s'en moquer, et, surtout, qu'on aille dans son sens.

Car c'était idiot.

C'était idiot. Ses "enfants" n'en étaient pas, une barrière immense existaient entre eux, et maintenant qu'il n'était même plus là pour eux... Se souvenaient-ils seulement de lui? Tout allait si vite, chez les Bipèdes...

Pourtant Rusty parlait de famille. Avec l'air de savoir exactement de quoi il était question. Comme si lui aussi, il s'était trimballé un certain bagage pas commun. Tonton n'osa pas le lui faire remarquer. D'ailleurs, il n'osa rien faire d'autre que répondre à la dernière question, la moins gênante, qui le ramenait quand même à son triste constat de départ:

"Oui. Un des petits m'avait attaché ça au cou, un peu avant que je ne sois emmené ici..."

Un vague souvenir de la petite caisse dans laquelle on l'avait enfermé, de l'odeur horrible de l'intérieur d'un monstre et de la voix de la femme qui l'avait trainé loin de chez lui lui fit froncer le nez, et il se força à revenir au présent. Au morceau de tissu sur le sol.

"J'imagine que c'était idiot de penser que j'allais pouvoir le garder encore longtemps. Même si ce chat ne m'avait pas attaqué, ça aurait finit par tomber tout seul... J'ai déjà bien vadrouillé avec, il est tout abimé..."

— Oui. Un des petits m'avait attaché ça au cou, un peu avant que je ne sois emmené ici...
— Oh, Tonton...
— J'imagine que c'était idiot de penser que j'allais pouvoir le garder encore longtemps. Même si ce chat ne m'avait pas attaqué, ça aurait finit par tomber tout seul... J'ai déjà bien vadrouillé avec, il est tout abimé...

Rusty n'était pas d'accord, il ne trouvait pas la douillette-collier si abîmée, mais Rusty dormait dans des draps moisis alors qu'en savait-il vraiment? Ils n'avaient ni accès à des toilettes-à-chasse-d'eau, ni à une machine à laver, et la technologie de "sécher sur un fil" échapperait peut-être toujours au vieil abyssin, mais ce qui ne lui échappait pas était cette vérité qui rattachait Tonton à ce collier qui n'en était pas un.

— ...Quand j'étais encore chaton, je ne tenais pas en place, et mes cabrioles me faisaient tout le temps sortir la tête de mon collier. Pourtant, je l'ai toujours ressenti autour de mon cou, même quand j'ai arrêté de le porter.

Cette... chaipastrop comment expliquer... appartenance, à ma maison?...

Il se voulut encourageant, mais il ne voulait pas prétendre en savoir plus sur la peine de Tonton que lui, alors Rusty haussa les épaules. Sinon, les noeuds, les Vétos des Chats en sont les experts. Si tu tiens vraiment à le rattacher, je pourrais peut-être t'aider à rencontrer l'un d'eux?

Espresso habite dans le Clan de l'Ombre, au bourbier, et il ne m'aime pas beaucoup mais une fois, il m'a guéri la patte.

Il se rappelait cette 'attèle' en bois qu'il lui avait construite autour de la patte. Il se rappelait son propre Véto qui avait miaulé de réprobation très fort à son Père.

— Bon alors par contre, je ne sais pas s'il guérit les plaies du coeur, mais...

Son "ça vaut la peine d'essayer?" un peu naïf transparut au travers du sourire asymétrique d'un chat qui se voulait aussi gentil qu'il était têtu. D'ailleurs, Rusty n'avait pas manqué le nom du chat qui avait blessé Tonton, Queue de Babouin, et il lui faisait une courtoisie en se retenant de proposer à Tonton d'aller lui tirer les oreilles et lui exiger des excuses.

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Rusty était frêle, et Tonton était une armoire à glace.

Rusty était vieux, et Tonton était... Bon, pas si jeune, mais plus que lui quand même.

Rusty n'avait pas la langue dans sa poche, et celle de Tonton avait du mal à se délier, souvent.

Et pourtant...

Tout ce que disait ce vieux matou, qui était si différent de lui sur tant de points, résonnait en Tonton. Il comprenait. Ils se comprenaient. Le collier, la sensation... D'appartenir. A un endroit, à des gens qui comptent et pour qui l'on compte... Cette loyauté pour cette maison qu'il avait perdu, Tonton ne s'était jamais imaginé qu'il trouverait un chat qui la comprendrait. Même chez les chats domestiques, il avait remarqué une certaine nonchalance, une distance mise entre les félins et les hommes. Comme si ils ne voulaient pas admettre qu'ils se sentaient à leur place, dans un foyer...

De s'entendre dire tout ça émut Tonton plus qu'il ne l'aurait cru. Il fût rassuré quand des nouvelles données dont il ne comprenait pas vraiment le sens vinrent le distraire (même si la remarque sur les blessures du cœur lui resserra quand même un peu la gorge), le poussant à demander:

"Les... Vétos des Chats?

Le nom "Espresso" ne lui évoque pas grand chose. "Clan de l'Ombre", en revanche...

"Ah, le Clan de l'Ombre ne... M'apprécie pas.

Mis à part Grenouille, mais ça, il n'avait pas très envie d'en parler. Il s'imaginait avec appréhension que Queue de Babouin, de retour chez lui, avait parlé de leur petit accrochage. Il espérait que Grenouille avait eu assez de bon sens pour ne pas montrer qu'elle le connaissait.

— Les... Vétos des Chats?

Ah, le vieil âge ne lui allait pas, quel étourdi il faisait, il s'était contenté d'assumer que Tonton savait pour les Clans, et leurs Vétos! Mais Tonton changea de sujet, en baissant les yeux sur ses pattes et la gamelle encore pleine toute près.

— Ah, le Clan de l'Ombre ne... M'apprécie pas.
— Oh, le Clan de l'Ombre ne m'apprécie pas non plus, Rusty lui répondit, se voulant rassurant(?), du moins à en croire par son sourire rayonnant.

Il but encore un peu de l'eau qu'il laissait dégouliner sur le plancher. Mais ça ne fait rien. Mon petit ami c'était leur chef, avant celui de maintenant et celui avant celui de maintenant; même s'ils ne m'apprécient pas trop, ils apprécient Oeil Vert, et si Oeil Vert demande l'aide d'Espresso, alors selon leurs Codes de Clan...

Rusty ne termina sa pensée que par un petit clin d'oeil.

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Il en balançait à tout vas, des noms, ce vieux chat. Tonton commençait à en avoir le tournis. C'était sans doute un des symptômes du grand âge - plus on vivait, plus on faisait de rencontres. Tonton se demanda brièvement si lui aussi arriverait un jour à avoir assez de souvenirs pour noyer son interlocuteur sous les noms. Pour l'instant, il n'en connaissait pas beaucoup. Il y avait Grenouille (Nuage de Grenouille, même). Branche Pâle et Queue de Babouin, mais eux, il préférait ne pas trop en parler. Et Rusty, désormais.

Une petite liste, mais c'était toujours ça de gagné.

Il jugea bon de ne pas trop poser de questions (même si le terme "petit ami" le fit pencher la tête sur le côté), histoire de se concentrer sur l'essentiel. Car dans ce flot de noms étranges, Rusty lui en apprenait quand même pas mal. Tonton n'arrivait pas tellement à s'imaginer comment il pouvait être lié aux Clans, mais il avait l'air d'en savoir un rayon sur leurs pratiques... Souvenir de ce... Petit ami? Quelque chose comme ça? Tonton osa une hypothèse:

"Tu as... Vécu avec les clans?"

Le "tu" fit buter sa langue - il était encore assez secoué par tout ce qui lui était arrivé pour avoir oublié si ils étaient vraiment passés au tutoiement. Rusty lui disait "tu" maintenant, mais il était plus vieux que lui, peut-être qu'il aurait du rester sur un registre plus respectueux...

"Je ne les connais pas très bien, mais ils m'ont l'air un peu... Hostiles. Envers les chats qui vivent avec les bipèdes.

Comme nous, il jugea inutile de préciser. Tonton ne vivait plus tellement avec les hommes, de toute façon, et c'était vraisemblablement le cas de Rusty aussi...

La conclusion de Tonton tirait son sens. En effet, vu la familiarité de Rusty avec les Clans et leurs règles, on aurait tout de suite deviné qu'il en ait fait parti, mais...

Rusty détourna les yeux sans s'en rendre compte, et sans s'en rendre compte, ses larges oreilles s'affaissèrent; Tonton poursuivit le reste de sa pensée:

— Je ne les connais pas très bien, mais ils m'ont l'air un peu... Hostiles. Envers les chats qui vivent avec les bipèdes.

Le sourire de Rusty sourire se surit d'une aigreur qu'il ne voulait pas montrer. De sa position accoupie, au dessus de l'eau qui lui coulait du poil, il la cachait, mais elle lui brûlait tout autant.

Sous la peau, ses trois stries partant du poitrail à son épaule gauche lui arrachèrent une grimace et les broussailleux sourcils blancs du vieil abyssin vinrent plisser son faciès grisonnant.

— Pas seulement qu'avec eux, ils sont hostiles envers leurs propres Clans et celui des autres. Je crois qu'on pourrait dire qu'ils sont hostiles tout court, tenta-t-il de plaisanter à faible rire, le genre qui n'aurait convaincu personne. Rusty transforma le rire en raclement de gorge.

— Je... n'ai jamais vécu avec eux, mais quand j'ai quitté la maison vide pour vivre ici, avec Trash, j'ai du apprendre à me débrouiller, quoi. Je ne connaissais pas trop les règles, et les plates-bandes ne sont vraiment désignées que par des odeurs, mais des odeurs, dans les terres sauvages, il y en a partout!

Un rire moins jaune, car il rappelait avec lui des chats de Clans qui avaient complètement changé le cours de sa vie. Il se demandait comment ils allaient, tous, mais il n'avait jamais vraiment osé retourner les voir. Les chats de Clans avaient des vies mouvementées et il n'était pas rare qu'ils ne survivent pas l'hiver suivant, ou l'hiver d'après, et Rusty leur proposait toujours de venir visiter la construxion, au verger, et de les héberger, mais voilà pourquoi quiconque se retournerait contre sa famille pour rien qu'un chat qu'ils avaient rencontré?...

— Ma préférée, c'était Madame Fée, qui vivait au Clan de l'Ombre, mais j'ai connu des chats d'un peu partout - le Clan du Vent dont nous sommes voisins, celui du Tonnerre près de la Ville, et celui de la Rivière, eh bien, près de la rivière.

Ici, dans le verger, nous sommes voisins de quelques chats qui ont quitté leurs Clans respectifs pour une vie sans batailles de territoire. C'est le Clan de mademoiselle Soleil.

Au fil de sa tirade, Rusty s'était redressé, car parler des choses qu'il connaissait avait un effet d'apaisement sur lui, malgré la latente tristesse qui venait après les années difficiles. La douleur prenait une autre forme, il se rappelait, et pour peu le (très grand) petit Whiskey lui manqua.

— Je n'ai jamais vécu dans un Clan, mais, de près ou de loin, nous avons toujours été voisins... Là dans son logis, accroupi près de sa gamelle, au chaud parmis les lattes et les échardes et l'odeur de moisi, son sourire retrouva toute sa sincérité. Je ne connais pas le Code du Guerrier, mais dans le Code du Bon Voisinage la règle numéro un est de prendre soin de nos voisins!

Une de ses larges oreille tiqua.

Oui, bon.

Okay —

— Ceci — Ceci dit, Tonton, je ne voudrais pas t'indisposer mais, je peux te demander de m'aider?...

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