Nouveau Cobaye

Ah, enfin une réaction normale à son égard: le coup de patte dans sa queue lui arracha une esclaffée qu'il n'eut pas le temps d'étouffer, trahissant son amusement tout en se prélassant sur sa branche. En dessous, il entendit les pattes de l'apprenti tempêter sur la branche. Il faisait les cent pas.

— Eh ! protesta Tempête. Ce n'est pas c'que j'ai dit ! Arrêtes !

Étoile Foudroyante eut assez de civilité pour s'interdire d'en rajouter une couche.

(ou deux, ou trois, ou--)

— Je suis curieux ! piailla Nuage de Tempête. Je crois. Et je veux savoir ce qui est arrivé à ma mère quand ces sauvages de la rivière l'ont enlevés ! Mais je... J'ai pas envie de -

Il avait frappé un os? Le bengal tendit l'oreille à la suite.

— Quand tu connais quelqu'un, tu fais une image, tenta de lui expliquer son apprenti. Et chaque fois qu'on vient te dire un nouveau truc, cette image elle tremble. Avant, je voyais Queue de Lézard comme un chat fort et courageux et qui saurait me protéger... Et, maintenant, cette image est morte. Elle existe plus du tout, en fait. C'était... Juste une image, rien de réel.

Cette fois le bengal entrouvrit un oeil.

— Je sais pas comment dire.
— ... Comme un reflet sur l'eau, il conclut pour lui.

Il se demanda, l'espace d'un battement, si pendant tout ces cycles avant l'aube c'était bien son apparence qu'il avait passé tout ce temps à soigner, ou celle de son reflet.

— Je vois... Si je te retourne l'exercice, c'est à dire si je ne me contentais que d'un reflet de qui tu es, je n'aurais vu qu'un chat incapable de grimper aux arbres. Après tout, tu es tombé plus de fois que tu es monté, non?

Les ombres des branches dansèrent dans les marbrures de son poil. En fermant les yeux, derrière ses paupières, des perles d'un soleil d'hiver pétillaient. Plus haut, dans les branches, un autre Coup de Foudre s'était couché avec Elle, à observer le périmètre. Plus haut encore, un Coup de Foudre enragé pourchassait son fils et son foutu oiseau pour tenter de faire taire ce-dernier. Qui il était et qui il avait été qui il serait et qui il pouvait être — n'était-ce pas l'ensemble du même chat?

Il y avait des tendances, certes, et on adoptait des habitudes, bien sûr, mais au plus profond soi, Étoile Foudroyante croyait dur comme les barreaux de glace noire que petits comme grands, tout chat était arable de cultiver une infinité de possibilités.

— L'image de Queue de Lézard est peut-être "morte" — Quoique pouvait-on vraiment "tuer" un reflet sur la surface de l'eau? — mais ça ne condamne pas Queue de Lézard à ne plus être "fort" ou "courageux". En ne le réduisant qu'à un "poltron" "incapable de tout", tout ce que je te vois faire est te créer un nouveau reflet.

Par Rinkisha!

« ... Comme un reflet sur l'eau. » Nuage de Tempête releva les yeux vers son mentor, surpris, mais à l'écoute.

« Je vois... Si je te retourne l'exercice, c'est à dire si je ne me contentais que d'un reflet de qui tu es, je n'aurais vu qu'un chat incapable de grimper aux arbres. Après tout, tu es tombé plus de fois que tu es monté, non ? » Le ton désinvolte du chat marbré au dessus de lui fit grimper dans le corps de l'apprenti toute sa colère. Il se redressa sur ses pattes, un peu maladroit, et il serra les crocs.

Ce ne fut qu'après ce vif coup de sang qu'il comprit le sens de la phrase, où voulait en venir Foudre. Il se détendit et se rassit, l'air un peu penaud, puis perplexe.

« L'image de Queue de Lézard est peut-être "morte". Mais ça ne condamne pas Queue de Lézard à ne plus être "fort" ou "courageux". En ne le réduisant qu'à un "poltron" "incapable de tout", tout ce que je te vois faire est te créer un nouveau reflet.
- Hm... » Fit-il.

Il détourna le regard, avisa le sol, sous lui. Il songea qu'il n'avait pas envie de garder cette image déçue de son père et qu'au fond, il ne pouvait simplement pas le considéré comme courageux. Mais, il parvenait à comprendre ce qu'essayait de lui dire son mentor et il ne parvenait pas à remettre ça en question.
Il était vexé de s'être trompé, d'avoir dit ce qu'il avait dit sans avoir eut la réponse d'abord, car il détestait l'échec. Mais Tempête ne trouva aucun argument à donner à sa mauvaise foi, alors il soupira.

« Oui, je comprends. Je vois ce que tu veux dire-... Je devrais pas craindre que l'image que j'ai des chats que je rencontre change, puisque je n'ai qu'un aperçu de ce qu'ils sont. » Il grimaça. « Mais je... Pourrais jamais dire que Queue de Lézard est toujours celui que je voyais. J'imagine que c'est une facette de lui, qu'il peut être courageux, parfois. Mais je ne peux pas compter sur son courage, alors son courage n'existe plus à mes yeux. » Il déglutit légèrement et songea que cela n'avait aucune pertinence, dans la conversation.
Il se sentit soudain honteux et sa queue s'enroula à la branche, les oreilles basses.

— Oui, je comprends. Je vois ce que tu veux dire-... Je devrais pas craindre que l'image que j'ai des chats que je rencontre change, puisque je n'ai qu'un aperçu de ce qu'ils sont. Mais je... Pourrais jamais dire que Queue de Lézard est toujours celui que je voyais.

J'imagine que c'est une facette de lui, qu'il peut être courageux, parfois. Mais je ne peux pas compter sur son courage, alors son courage n'existe plus à mes yeux.

Ce genre d'introspection ne se faisait jamais sans affrontement. On ne changeait, après tout, que par nécessité — cette nécessité de s'expliquer et de réfléchir avait été complètement fabriquée par Étoile Foudroyante, qui utilisait cette admiration que lui vouait l'apprenti pour le motiver à se poser des questions plus fermes que "qu'est-ce qu'on mange demain".

Ce genre d'introspection amenait aussi une émotion que bien bon nombre de chats se refusaient de ressentir: la vulnérabilité.

— Je connais, avoua Étoile Foudroyante depuis sa branche. Mes dissidents pensent la même chose de moi. Leur discours se répète si souvent que je l'entend parfois sortir de ma propre bouche...

Il y eut un silence, dans lequel Étoile Foudroyante ne lui parla pas de toutes ces rumeurs qui lui grouillaient sous la peau. Des cicatrices de son corps qu'il rouvrait quand il craignait les voir disparaître. De l'origine de son nom - de la raison derrière celui qu'il avait choisi quand on lui avait donné les Vies.

Étoile Foudroyante ne lui dit rien de tout ça.

— Je voulais savoir ce qui se passait au Clan de la Rivière, tout en me demandant si la famille biologique de Source n'était pas mieux pour elle.  Je ne suis pas —

Il s'interrompit.

— ... Ils ne lui ont jamais fait de mal, tu sais. Pour la Rivière, Source était l'une des leurs. Une fille de Jolie Abeille, la soeur de feu leur guérisseur Écho des Ruisseaux, soit le chat responsable d'avoir aidé à la naissance de bien bon nombre d'entre eux.

Il haussa les épaules, se roulant sur le flanc. Sa queue retrouva son balant au-dessus de sa branche, rejointe par une de ses pattes qu'il fit pendre avec elle.

— C'est normal que la Rivière ait eut peur, car on leur a fait croire que c'est moi qui avait enlevée Source.

À leurs yeux, tout ce qu'ils ont fait, c'était la ramener à la maison.

Par Rinkisha!

« Je connais. Mes dissidents pensent la même chose de moi. Leur discours se répète si souvent que je l'entend parfois sortir de ma propre bouche... » Le ton qu'employant le Foudroyant surpris et acheva de calmer le jeune apprenti. Ils n'étaient plus en train de jouer aux devinettes, plus en train de se titiller pour affuter leurs esprits.
Du moins, c'est ainsi que l'interpréta Tempête qui, soudainement, conserva le silence. Il leva les yeux vers la branche, tout simplement, cet air à l'écoute qu'il savait avoir, presque inexpressif. Les dissidents, hein- On ne pouvait guère empêcher un chat de penser ce qu'il voulait, mais Nuage de Tempête ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la colère envers les rumeurs, envers ces chats qui feulaient dans le dos de son mentor.

« Je voulais savoir ce qui se passait au Clan de la Rivière, tout en me demandant si la famille biologique de Source n'était pas mieux pour elle. Je ne suis pas —
... Ils ne lui ont jamais fait de mal, tu sais. Pour la Rivière, Source était l'une des leurs. Une fille de Jolie Abeille, la sœur de feu leur guérisseur Écho des Ruisseaux, soit le chat responsable d'avoir aidé à la naissance de bien bon nombre d'entre eux. » Alors que Foudre s'allongea sur le flanc, laissant pendre sa queue et une patte au dessus de la tête de son apprenti, ce dernier agita les oreilles un instant. Il écouta avec attention sans comprendre le sentiment étrange qui envahissait sa poitrine.

« C'est normal que la Rivière ait eut peur, car on leur a fait croire que c'est moi qui avait enlevée Source.

À leurs yeux, tout ce qu'ils ont fait, c'était la ramener à la maison. »

Tempête avisa le sol, plus bas, et il déglutit. Il arrondit les doigts, faisant nerveusement sortir et rentrer ses griffes dans leurs fourreaux de chair, avant de plisser légèrement les yeux. Il laissait voir une mine amère, et c'est pétri de cette amertume qu'il reprit la parole :

« Mais la réalité était bien plus compliqué que ça... Et comme il pensait avoir raison, ils ne pouvaient pas la voir, la réalité. » Comme lui, souvent.
Mais il y avait quelque chose de tellement confortable à ne pas douter et son esprit rigide en avait besoin. La preuve, à mesure qu'il comprenait que le Clan de la Rivière n'avait pas vilement enlever sa mère, qu'ils n'avaient pas fait cela à des fins malveillantes, il sentait un profond malaise l'envahir, lui donner le tourni.

« Tu crois que moi aussi, je ferme les yeux à ce qui est vrai, parce que la peur m'aveugle, en fait ? »

— Mais la réalité était bien plus compliqué que ça, réalisa Nuage de Tempête. Et comme il pensait avoir raison, ils ne pouvaient pas la voir, la réalité.

Il se tut après quoi, en proie à un curieux sentiment de malaise. Aujourd'hui, son monde s'aggrandissait, sortait de la palissade du campement, s'étendait au delà du contour de la forêt; il changeait de forme, modifiant la lentille rose qu'il se bornait d'avoir à l'égard de celui qu'il avait choisi comme mentor. Il s'en rendait compte, peu à peu. Autant de la lentille rose que celle rouge de sa colère. Toutes ces couleurs qui lui donnaient la berlue et lui renvoyait l'image de toutes sortes de reflets ondoyants — ouais, ça aussi, Coup de Foudre connaissait.

— Tu crois que moi aussi, je ferme les yeux à ce qui est vrai, parce que la peur m'aveugle, en fait ?

... Ce qu'il fallait démontrer.

Étoile Foudroyante ne sourit à personne en particulier. Il se roula sur le ventre pour pointer sa tête à l'envers et ficher ses yeux noirs dans ceux de son cobaye.

— Ha ha hah. Ses babines frémirent de délice, se retroussant sur ses canines affûtées. Tout juste, Auguste ♡

L'une de ses oreilles se plaqua sur sa tête, tandis que l'autre demeura raide et immobile. Sortaient de chacune les broussailles de poils roussis qu'il avait passé toute sa vie à coiffer, ne lui donnant plus l'allure d'un joli-coeur distingué mais d'un hurluberlu mu d'un enthousiasme bizarrement calme.

— Quand la peur vous mord les pattes, votre réflexe est de courir. Vous la fuyez, vous vous refusez de la voir.

Une patte à l'envers sous le menton, prenant ses aises dans sa position saugrenue: Quand c'est moi qu'elle mord, je m'immobilise. Je veux comprendre pourquoi elle me mord, où, comment, quitte à l'imiter dans tout ses gestes jusqu'à ce que j'en sache assez pour savoir où mordre et la lui rendre le mieux.

Tu comprends?

Quand j'avais ton âge, on m'a forcé de veiller pendant le blizzard.


...Selon toi, Nuage de Tempête, qu'est-ce qui oppose la peur?

Ou plutôt, que comptes-tu faire de la tienne...?

« Ha ha hah. Tout juste, Auguste ♡ » Les billes noires, ces iris gonflées de malice, se posèrent comme les yeux d'un hiboux dans les petites fentes intimidées du presque-plus-chaton. Il ne dit rien, mais sembla un peu perdu, ce qui commençait à être une habitude avec son grand-père.

« Quand la peur vous mord les pattes, votre réflexe est de courir. Vous la fuyez, vous vous refusez de la voir. Quand c'est moi qu'elle mord, je m'immobilise. Je veux comprendre pourquoi elle me mord, où, comment, quitte à l'imiter dans tout ses gestes jusqu'à ce que j'en sache assez pour savoir où mordre et la lui rendre le mieux.

Tu comprends?


Quand j'avais ton âge, on m'a forcé de veiller pendant le blizzard.


...Selon toi, Nuage de Tempête, qu'est-ce qui oppose la peur ? » Il resta un instant coit, le fils de Source Fleurie. Il observa ce grand-père, ce mentor, ce modèle, qui jouait encore aux devinettes. C'était fatiguant d'avoir à malaxer son esprit à chaque conversation, Nuage de Tempête aimait ce qui était concret. Mais c'était un entraînement nécessaire et, au fond, il ne détestait pas ça.

Il répondit un peu sans réfléchir, au début :

« Le courage, non ? » Et puis, il marqua une pause et avisa ses pattes, en sortit encore une fois les griffes, les rentra. « La témérité ne s'y oppose pas, s'en est simplement l'absence. Le courage par essence est le fait de l'affronter, en fait. La fuir, comme tu dis et l'ignorer, ce n'est pas vraiment du courage, mais du... Hm-... Du déni. Je crois ? » Il leva de nouveau les yeux vers Foudre, croisa ses grands yeux.

« Tu as eut peur du blizzard ? »

— Le courage, non ?

Étoile Foudroyante ne dit rien.

— La témérité ne s'y oppose pas, c'en est simplement l'absence. Le courage par essence est le fait de l'affronter, en fait. La fuir, comme tu dis et l'ignorer, ce n'est pas vraiment du courage, mais du... Hm-... Du déni. Je crois ?

Leurs regards se croisèrent.

— Tu as eut peur du blizzard ?

Lui à l'envers, l'autre à l'endroit.

— N'importe qui aurait eu peur du blizzard, répondit Étoile Foudroyante, suspendu sur sa branche, battant d'une oreille les souvenirs d'un vent hurlant et le déferlement de la neige qui avait emprisonné les arbres dans des coquilles de gel. Sa patte, sous le menton, se replia contre l'écorce, s'appuyant dessus pour s'arc-bouter davantage.

— Le courage, c'est aussi celui d'admettre ses torts. C'est oser se mouiller la patte et se laisser réaliser qu'on s'est construit un reflet — de nous-mêmes, cette fois.

Nuage de Tempête ne le connaissait pas. Pas vraiment. Il écoutait ses mots et il s'efforçait de comprendre et de tacler tout ces concepts toutes griffes dehors pour s'assurer de n'en échapper aucun, mais il manquait quelque chose d'essentiel au portrait qu'il se faisait de celui qu'il avait choisi comme mentor.

Étoile Foudroyante s'efforça donc de faire les présentations:

— Le blizzard a cassé ma tête, Tempête. Ma peur est différente de la vôtre. Par conséquent, il m'est impossible de faire preuve de "courage".

Logiquement, ça fait de moi un lâche, non? ♡

Ne fallait-il pas d'un lâche pour laisser sa propre fille aux pattes d'un Clan qui n'était pas le sien seulement pour espionner l'autre côté? Ne fallait-il pas un être un lâche pour pousser son apprenti dans de tels retranchements émotionels? Ne fallait-il pas être un lâche de s'en moquer?

— Quand j'ai dit qu'il y avait des solutions à ton problème, avant celle de demander de l'aide, tu sais à quoi j'ai pensé?

Que si tes palmes te gênaient autant, si elles te sont si inutiles — tu te souviens? — qu'est-ce qui t'empêchait de les mutiler?

« N'importe qui aurait eu peur du blizzard. Le courage, c'est aussi celui d'admettre ses torts. C'est oser se mouiller la patte et se laisser réaliser qu'on s'est construit un reflet — de nous-mêmes, cette fois. » Nuage de Tempête ne retint pas sa grimace. Il avait déjà goûter à l'humiliation qu'était celle de reconnaître ses torts. Il avait déjà demandé pardon et il avait détesté ça. Il comprenait qu'il s'agissait d'un mal nécessaire car la mauvaise foi n'est pas utile, mais il supportait mal d'avoir à blesser son égo.

« Le blizzard a cassé ma tête, Tempête. Ma peur est différente de la vôtre. Par conséquent, il m'est impossible de faire preuve de "courage".

Logiquement, ça fait de moi un lâche, non? ♡ » Face à ce ton roucoulant, comme si son mentor se pensait plus malin que tous, Nuage de Tempête fronça les sourcils, offusqué. Il n'était pas d'accord : il ne voulait pas être d'accord. Foudre n'était pas un lâche, il en était tout le contraire.

« Quand j'ai dit qu'il y avait des solutions à ton problème, avant celle de demander de l'aide, tu sais à quoi j'ai pensé?

Que si tes palmes te gênaient autant, si elles te sont si inutiles — tu te souviens? — qu'est-ce qui t'empêchait de les mutiler? »

Le visage du presque-plus-chaton se détendit pour se tendre dans l'autre sens, de surprise, d'abord, puis d'horreur. Dans son regard passa la peur, parce qu'il s'imagina le faire et, qu'un instant, il ne compris pas comment une telle idée aurait put venir à l'esprit d'un chat sain de ce dernier.
Puis, il plissa les yeux et grimaça. Une étrange nausée l'envahit alors qu'il se figurait la douleur et le sang, et les griffes qui butent contre sa peau trop élastique. Il serra les crocs, et alors qu'il aurait dû s'offusquer d'avantage des pensées cruelles de son modèle, il se sentit brutalement coupable de n'être pas assez fort pour le faire.

« ... J'aurais pas put, de toute façon, ça me fait trop peur, en fait. » Dit-il honteusement. « Rien que de l'imaginer me donne mal au ventre. » Et d'une toute petite voix, sans lever les yeux, il ajouta : « Moi je suis lâche.

Toi, c'est différent. » Et, enfin, il releva le museau pour croiser son regard, une nouvelle fois. « Ne pas ressentir la peur comme nous ne veut pas dire que tu la ressens pas, en fait. Tu peux faire preuve de courage et puis... Y'à pas que des lâches et des courageux, j'crois qu'il y a des choses au milieu, en fait. »

Et puis il baissa les yeux sur sa patte, en écarta les doigts contre l'écorce.

« Quand je serais courageux, je le ferais. »

C'est dans ces moments qu'une petite voix entre les oreilles se met à nous répimander. Nous disant de rentrer la langue, taire les mots, écraser la coquille d'une idée; entre les oreilles d'Étoile Foudroyante il n'y avait, malheureusement, que le son de sa voix.

Et sa voix répétait toujours la même question. Une question qui dépendait toujours de la même condition.

— ... J'aurais pas put, de toute façon, ça me fait trop peur, en fait. Rien que de l'imaginer me donne mal au ventre.

Jusque là, la réaction de son apprenti coulait de source.

— Moi je suis lâche.

Malgré la sueur froide qui lui prit des pattes à la tête, Étoile Foudroyante ne battit pas d'un cil.

— Toi, c'est différent, son apprenti lui dit, à l'endroit (à l'envers?), portant dans ses yeux autant d'espoir et d'admiration à son égard qu'il en était inversemment proportionnel du reste du Clan. Ne pas ressentir la peur comme nous ne veut pas dire que tu la ressens pas, en fait. Tu peux faire preuve de courage et puis... Y'a pas que des lâches et des courageux, j'crois qu'il y a des choses au milieu, en fait.

Oui, prendre conscience des pelages qui n'étaient ni blancs ni noirs, sauf que —

— Quand je serais courageux, je le ferais.

Nuage de Tempête se... mutilerait?

Par courage?

Les pupilles du bengal se contractèrent dans ses yeux. Ses paupières se plissèrent à l'instant où son coude se défléchit et propulsa une claque au nez de son apprenti — pas trop forte pour le blesser, mais assez pour espérer lui remettre la tête à l'endroit, bordel.

La scène se miroita parfaitement à un souvenir où feu Renouveau Printanier lui avait réservé le même traitement.

— Non mais tu t'écoutes parler?

Whoa.

Même ton.

Abasourdi, Étoile Foudroyante se para rapidement de sa précédente consternation.

— À ton avis, il arrive quoi à ton corps après avoir arraché les palmes à tes pattes? Une guérison parfaite? Une douleur supportable?

Quel gaspillage.

— Je ne veux pas que tu acceptes tout ce que je te dis, Tempête! Tu vois quel genre d'imbécile je créerais si je faisais de toi mon ombre? Je te l'ai dit:  j'ai   un   blizzard   dans   la   tête.

La branche sur laquelle il s'était suspendu grinça. Étoile Foudroyante pirouetta à l'endroit sur celle de Tempête, en dessous, créant un rebond en s'y posant. Souple, mais solide, la branche soutint le poids ajouté, et le bengal acheva sa pensée: Alors je t'en prie, ne le laisse pas souffler dans la tienne.

« Non mais tu t'écoutes parler ? »

L'enfant sursauta.

« À ton avis, il arrive quoi à ton corps après avoir arraché les palmes à tes pattes? Une guérison parfaite? Une douleur supportable ? »

Il le fixait sans comprendre, les yeux ronds. Il n'y avait pas pensé, cela ne lui était même pas venu à l'esprit. Il voulait le rendre fier. Pas le voir se consterner.

« Je ne veux pas que tu acceptes tout ce que je te dis, Tempête! Tu vois quel genre d'imbécile je créerais si je faisais de toi mon ombre? Je te l'ai dit : j'ai un blizzard dans la tête. » Il revint aux côtés du chaton qui, à présent, rabaissait les yeux vers le sol, plus bas. Beaucoup plus bas. « Alors je t'en prie, ne le laisse pas souffler dans la tienne. »

Un blizzard. Un blizzard dans la tête. Un blizzard dans la tête qui lui donnait une perception du monde, des émotions, déformée- Non, pas déformée. Différente. Différente à quel point ? Était-ce une force, ou une faiblesse ? Un blizzard. Froid, puissant. Un blizzard soufflait, balayait, brisait.
Nuage de Tempête, l'esquisse d'un Blizzard, au fond, garda les yeux abaissés. Il fixait la neige, se maudissait d'avoir été idiot. Car il l'avait été en osant tenir de tels propos. Il n'avait pas réfléchit et à présent, il passait bel et bien pour un imbécile. Mais il voulait le rendre fier, son mentor, son grand-père. Il voulait être utile au clan, être fidèle, mais surtout, il voulait que ce félin marbré qui avait si bien sut éclipsé, prendre la place de son incapable de père, le reconnaisse, le voit, le respecte et le félicite.

Jusqu'à présent, toutes les tortueuses réflexions qui lui avait fait subir s'étaient toujours soldées par un semblant de félicitation. Il souffrait, son esprit trop rigide se tordait dans des craquements d'os, avec la même douleur, mais il finissait pas s'assouplir, par comprendre. Alors, pourquoi n'avait-il pas sut prendre le bon morceau, cette fois ?

« Je... Je suis désolé. » Le chaton déglutit. « Je ne veux pas te mettre en colère, je... Je ne sais pas ce-... Je ne sais pas ce qui m'a prit. Je veux juste... Enfin je-... »

Il détestait ça, se montrer si faible, si bredouillant. Et quoi, encore, il allait se mettre à chialer ?! C'était un apprenti, par un chaton, il devait se comporter en adulte !
Alors, il se redressa et reprit son souffle, bombant fièrement la poitrine, une seconde, avant de reposer les yeux sur son mentor. Et de les détourner aussitôt, comme s'ils brûlaient.

« Désolé. Je n'ai pas réfléchit. »