Nouveau Cobaye

C'est la honte qui fit s'abaisser la tête de son apprenti. La honte, et quelque chose d'autre, quelque chose qui lui fit légèrement plisser les paupières et ravaler la lueur de larmes neuves. S'il avait remarqué les poils dans les oreilles de son petit-fils, Étoile Foudroyante remarquait désormais la rigidité de ses traits faciaux. Cette étrangeté lui était particulièrement notable car...

eh bien, tout simplement, car ni lui ni Tempête ne partageaient le même sang.

Cette frigidité, il ne lui avait pas léguée. Était-ce par simple mimétisme qu'Étoile Foudroyante se retrouvait avec une quasi-copie de lui-même, ou bien, à l'instar de son apprenti, venait-il accidentellement de se construire un réflet?

— Je... Je suis désolé.
Étoile Foudroyante papillona des cils, momentanément interdit.
— Je ne veux pas te mettre en colère, lui dit Tempête, je... Je ne sais pas ce-... Je ne sais pas ce qui m'a prit. Je veux juste... Enfin je-...

Sa propre vulnérabilité lui était insupportable. Ou alors, c'est qu'il cherchait à changer, une conversation difficile à la fois. L'apprenti se redressa, canalisa sa colère, bomba le torse et osa l'affronter des yeux - une seconde de courage qui s'essoufla aussitôt en fuyant du regard après quoi.

— Désolé, lui dit l'apprenti, incapable de le regarder. Je n'ai pas réfléchi.

En réponse, Étoile Foudroyante descendit la tête, fléchissant des coudes, s'abaissant à la hauteur de son apprenti pour chercher ses yeux des siens.

— C'est euh... C'est pareil pour moi.

Merde.

Il plissa une paupière à la douleur qui venait avec la réalisation. Son sourire se surit, mais il n'en cacha ni la couleur, ni l'asymétrie.

— Je... Je crois que je sous-estime l'emprise qu'a mon influence sur toi. C'est moi qui t'ai insufflé l'idée le premier, non? Je suis désolé, Nuage de Tempête.

Il envoya un petit coup de front à la joue de son petit-fils, prenant soin de mesurer sa force. Au lieu de s'écarter, il s'aplatit le menton sur sa tête, ronflant du nez.

— À part Source, je n'ai eu qu'une seule apprentie à ma charge, et elle n'en garde pas un bon souvenir... J'ai bien enseigné quelques leçons par ci par là, mais... À Roux, il avait appris à grimper. À Ciel, il avait appris à se battre. À Rossignol,...

...C'était quelque chose qu'on m'interdisait — qu'on m'a interdit, pendant des cycles et des cycles. Comme de participer aux Assemblées.

Ce chat qui se trouvait maintenant à la tête du Clan, qui le réformait, une conversation à la fois, une phrase à la fois, ce chat qui n'avait jamais été vu que par son apparence (ou l'apparence que lui donnait toutes ses rumeurs) —

— ...Après tout ce que je t'ai avoué, désires-tu réellement être mon apprenti, Nuage de Tempête?

Réfléchis-y.

HRP:

« C'est euh... C'est pareil pour moi. » L'apprenti écarquilla les yeux, surpris. « Je... Je crois que je sous-estime l'emprise qu'a mon influence sur toi. C'est moi qui t'ai insufflé l'idée le premier, non? Je suis désolé, Nuage de Tempête. »

Un coup de front contre sa joue fit relever les yeux de Tempête. L'air surpris, la gueule entrouverte, il voulu aviser son mentor mais ce dernier glissa son menton au dessus de sa tête, l'empêcher par là même d'accéder à son regard.

« À part Source, je n'ai eu qu'une seule apprentie à ma charge, et elle n'en garde pas un bon souvenir... J'ai bien enseigné quelques leçons par ci par là, mais... ...C'était quelque chose qu'on m'interdisait — qu'on m'a interdit, pendant des cycles et des cycles. Comme de participer aux Assemblées. ...Après tout ce que je t'ai avoué, désires-tu réellement être mon apprenti, Nuage de Tempête?

Réfléchis-y. »

Le presque-plus-chaton resta un instant immobile, bouche-bée. Collé à son grand-père, il ressentait toute la chaleur de son corps contre le sien, entendait vrombir ses veines, battre son cœur. Il abaissa un peu les yeux, ces derniers toujours écarquillés dans une rondeur rappelant ceux des rongeurs qu'il aimait à manger.
Il ressentait sa propre chaleur et entendait vrombir ses veines et battre son cœur. Il rêva peut-être, mais il lui sembla que dans toute cette mélodie que la vie offrait à chaque corps, celle de Foudre et celle de Tempête était sur la même fréquence.

Il ne sut pas dire s'il avait envie que Foudre soit son mentor. Il souffrait auprès de lui, le vieux chat forçait son esprit à des gymnastiques douloureuses. Il avait peur de lui, peur qu'il l'abandonne, qu'il ne le déçoive. Peur de le décevoir. Mais à la manière étrange dont les félins sont attirés par les yeux lumineux des monstres sur le chemin du Tonnerre, lui-même était séduit par l'attrait du danger.
Il y avait quelque chose qui, tout au fond de lui, voulait se frotter à cette souffrance. Quelque chose qui lui hurlait que la récompense en valait le coup.

Et, au fond, il ne pouvait s'empêcher d'aimer Foudre comme s'il eut été son père.

« Peut-être que lorsque j'ai voulu l'être je m'étais construit un reflet de toi. Mais de tous les chats que j'ai rencontré et malgré tout le respect que j'ai pour mes aînés, il n'y a que toi qui me donne envie d'aller au delà de mes limites. » Il marqua une pause, avait débiter sans aucune hésitation. Il en demeura surpris un instant.

« En fait, je ne veux pas être un guerrier puissant ou redoutable. Je veux être un guerrier réellement utile au clan... Et j'ai l'intime conviction qu'il n'y a que toi qui pourra m'apprendre à comprendre ce que ça veut dire. »

Le silence dans lequel ils se plongèrent lui parut comfortable, malgré tous les mots qu'il avait envie de lui dire, tous les concepts qu'il avait envie de lui enseigner, toutes les histoires, vraiment, qu'il brûlait de lui raconter.

Nuage de Tempête était un bien vilain menteur. Comme s'il se fichait réellement de tout ce qui constituait Étoile Foudroyante. Comme s'il se fichait complètement de s'approprier ces morceaux et de trouver un moyen de les y coller à sa propre peau.

L'idée l'aurait bien faite rire si elle ne le terrifiait pas autant.

Plutôt, si elle avait pu le terrifier: tout ce qu'Étoile Foudroyante pouvait ressentir de cette terreur était son coeur qui s'était accéléré. Étaient ses coussinets moites, réchauffés contre la branche, qu'il piétina presque de nervosité. Suivie de cette immobilisation, forcée, forçant à son souffle une cadence ordinaire qui calma toute sa physiologie encombrante.

— Peut-être que lorsque j'ai voulu l'être je m'étais construit un reflet de toi. Mais de tous les chats que j'ai rencontré et malgré tout le respect que j'ai pour mes aînés, il n'y a que toi qui me donne envie d'aller au delà de mes limites.

Mortifiant.

Coup de Foudre n'eut aucun retors à renvoyer, aucune petite pique ou plaisanterie ou déflection verbale. Tout comme la terreur avant elle, le vertige qui le saisit ne se propagea que dans son corps, et pas dans sa tête.

— En fait, je ne veux pas être un guerrier puissant ou redoutable. Je veux être un guerrier réellement utile au clan... Et j'ai l'intime conviction qu'il n'y a que toi qui pourra m'apprendre à comprendre ce que ça veut dire.

Gamin, adolescent, adulte un peu con, et maintenant dans la force de l'âge, enserré au coeur par des souvenirs qui ne lui appartenaient pas et vivant toutes sortes de nouvelles vies répondant à toutes sortes de nouveaux noms, Coup de Foudre, dont la tête était cassée, ne ressentit cette pulsation de joie pure que dans le réchauffement dans ses pattes.

Voilà enfin les mots qu'il avait toujours rêvé d'entendre, et sa tête cassée, sa tête cassée, ne le lui laissait ressentir ce triomphe que par des frissons de chair de poule sous ses poils. Sa peau frémit, faisant s'onduler toutes ses marbrures comme des ondes sur la surface de l'eau.

— Ok.

"Ok"? Allons Papy, où est donc passée ton éloquence.

— ...Un jour je mourrai avec tout mes savoirs. Je ne t'ai pas dit ça seulement car j'étais vexé - c'est ta responsabilité de m'arracher tout ce que je sais avant que ce jour n'arrive.

Sa tête glissa de celle de son petit fils, et ce fut à son tour de regarder l'horizon, de regarder bien au delà de leur campement de leur territoire de Cerfblanc. La proie qu'il chassait ne s'attrapait pas avec les griffes.

— À moi, et à tous les autres guerriers du Clan. Aussi tentante soit la source, je refuse d'être la seule où tu t'abreuves. On s'comprend, Nuage de Tempête?

Son sourire s'aiguisa.

— J'me suis pas pris un éclair dans le dos pour laisser toutes mes convictions crever la gueule ouverte.

« Ok.

...Un jour je mourrai avec tout mes savoirs. Je ne t'ai pas dit ça seulement car j'étais vexé - c'est ta responsabilité de m'arracher tout ce que je sais avant que ce jour n'arrive. » Tempête ne sut dire pourquoi, mais la réponse du félin lui serra le cœur. Il n'en montra rien, toujours si peu expressif lorsqu'il ne s'agissait pas de colère.

Foudre relâcha son étreinte pour observer le lointain et Nuage de Tempête, après l'avoir parcouru du regard, suivit le sien.

« À moi, et à tous les autres guerriers du Clan. Aussi tentante soit la source, je refuse d'être la seule où tu t'abreuves. On s'comprend, Nuage de Tempête ?

J'me suis pas pris un éclair dans le dos pour laisser toutes mes convictions crever la gueule ouverte. » De son sourire, Nuage de Tempête perçu comme une sorte de défi. Il se souvenait bien de cette histoire d'éclair, une punition du Clan des Etoiles. Ces derniers avaient peur, sans doute, des changements que menaçait d'apporter son mentor.

Finalement, la peur n'était pas réservée qu'à ceux qui n'étaient pas encore morts.

« Je ferais de mon mieux, bien sûr. » Il songea un instant à sa mère, Cœur de Puma et à son oncle Brisé. Sa cousine, aussi, serait bientôt une guerrière et serait en mesure de lui apprendre des choses. Cela ne lui sembla pas difficile d'imaginer se renseigner auprès d'autre chats que Foudre, seulement, il savait le besoin pressant d'être en son contact constant, recherchant désespérément sa validation.

« Et hm... Moi, je ferais en sorte de pas m'en prendre un, d'éclair. »

— Tu te trompes, Tempête.

— Rien ne me rendra plus fier que de te voir déroger l'injustice et te réinventer.

— Rentrons.